Tout au fond de la diligence, près de Boule de suif, du côté des hommes, était assis un homme assez célèbre. Son vrai nom, personne ne le connaissait mais tout le monde savait qu'il était peintre et que les gens de la ville l'avaient surnommé « l'artiste ». C'était un homme très doué et tellement passionné par la nature qu'avant la guerre, il passait ses journées à peindre des forêts, des natures mortes, des animaux… Il devait sa notoriété au fait qu'il avait refusé de peindre un soldat prussien en uniforme et qu'il avait failli être fusillé. Il ne parlait pas beaucoup et préférait s'exprimer par la peinture et les croquis. Malgré son talent, il avait du mal à vivre de son art car sa peinture se vendait mal, ses tableaux étant trop chers pour les Rouennais. C'était son frère, un boulanger, qui l'aidait à survivre en lui fournissant de la nourriture, quelquefois même un endroit pour dormir.
     Il avait l'air vieux, fatigué par le temps ; sa peau était froissée comme une de ses feuilles de croquis qu'il écrasait dans ses mains avant de les jeter. Il avait les cheveux bruns, coiffés sur le côté, et un petit chapeau sur la tête. Ses yeux étaient verts avec une teinte de jaune, comme s'il les avait créés de son propre pinceau, ce qui donnait à son regard une certaine froideur. Son nez en forme de ballon et sa bouche sèche et ridée étaient comme collés l'un à l'autre. Son visage ressemblait à un tableau de jeune artiste débutant tant il était bizarre.
     Il voulait se rendre en Angleterre car les soldats prussiens lui avaient brûlé toutes ses toiles et la rumeur disait que son métier serait bien plus reconnu là-bas.