Dans l'avertissement « Au lecteur » de ce roman, Nouveau et Bossuet insèrent deux lettres d'encouragements de deux écrivains « placés aux deux pôles extrêmes de l'opinion politique » : J.-H. ROSNY aîné - « "Boule-de-zinc" est bien amusant. Je l'ai accompagné dans son périple avec plaisir. C'est un type, bien choisi, très suivi, - et les types sont rares en littérature ! » - et Léon DAUDET - « Excusez-moi ; je suis bien en retard pour vous remercier de l'envoi de votre
Boule-de-zinc qui m'a beaucoup intéressé et diverti. Le livre est plein de verve et d'observations très justes. Le personnage central est très heureusement typifié, ce qui est la grande et principale difficulté romanesque dans un ouvrage comme le vôtre. Enfin, le drame et la comédie s'y entrelacent, comme dans la vie même. Encore une fois, tous mes compliments. ». Nous livrons ici l'incipit (p.9-10) du roman qui ressemble fort, malgré le titre proche de
Boule de suif, à celui de
Bel-Ami. Le héros en est Froidefeu.
I
Un soir de la fin d'août, comme il descendait la Chaussée d'Antin, vers sept heures, Froidefeu s'arrêta pour rallumer un cigare qui, décidément, charbonnait.
Dans la rue déserte, la chaleur restait accablante, malgré la disparition du soleil. Les commis des rares boutiques qui se fussent ouvertes par cette morne journée de dimanche, fermaient leurs devantures, en hâte, se bornant à mettre la main devant la manivelle que le poids des volets de fer faisait tournoyer.
En haut, vers l'église de la Trinité, de petits nuages, couleur de suie, glissant rapidement, semblaient s'effilocher contre le campanile, tandis qu'à l'autre extrémité de la rue, vers le carrefour La Fayette, le ciel gardait un bleu d'un ton cru, presque violent. Le bitume des trottoirs semblait s'amollir sous les pas assourdis et Froidefeu, tout en marchant, s'amusait à y imprimer le bout de sa canne.
Brusquement, à la hauteur de la rue de Provence, il tomba sur son ami Dumoulin qui, le visage épanoui, les mains tendues, lui apprit une nouvelle des plus importantes pour le relèvement de leurs affaires : Arthur Machelor, le multimillionnaire, le grand raffineur de pétrole, dont la générosité fastueuse de nabab parisien était connue de tous, se présentait aux prochaines élections législatives dans la circonscription de Boulogne-sur-Seine, où se trouvait une de ses principales usines.
Froidefeu, les yeux allumés, allait demander des détails que déjà son compagnon l'avait entraîné vers le boulevard et, quelques minutes après, ils étaient attablés, face au théâtre du Vaudeville, dont les larges affiches orange annonçaient la réouverture en septembre.
C'était, ce Froidefeu - de son métier, agent électoral - ce qu'on peut imaginer de plus extraordinaire et de plus amusant comme aventurier.
Fils d'un petit fabricant de sacs en papier établi, vers 1860, dans le faubourg de Lhoumeau qui borde la gare d'Angoulême, il avait commencé ses premières études, comme demi-boursier, au lycée impérial. Il était en train d'y épeler, plutôt mal que bien, le grec et le latin, quand, un soir de janvier, il en fut congédié à la suite d'un chahut forcené compliqué d'incendie dont il avait été l'animateur.