1891, 1892, 1893,
1894, 1895.
- Samedi 9 janvier 1892
Chronique
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M. Guy de Maupassant est arrivé hier matin à Paris, pour être immédiatement conduit à la maison de santé du docteur Blanche.
À ce sujet, le reportage, qui depuis l'arrestation d'Anastay n'avait pas eu grande occasion de se livrer à ses indiscrétions favorites, s'est à nouveau donné carrière. Les journaux mondains servent à leurs lecteurs les détails les plus curieux et les plus circonstanciés sur la maladie de M. de Maupassant et toutes les phases qu'elle a traversées avant d'aboutir à la dernière catastrophe, sur la famille du romancier et les personnes de cette famille qui ont pu être également frappées de folie, sur la conduite enfin de M. de Maupassant lui-même, et sur les effets que cette conduite a dû produire dans le cerveau de l'écrivain, etc., etc.
Parmi les reporters qui remplissent des colonnes entières d'anecdotes de cette espèce ou de considérations de ce genre, il n'en est pas un qui ne connaisse l'état de M. de Maupassant et ne sache que, dans ses intervalles lucides, le malheureux veut absolument lire ce que les journaux racontent de lui. Il est facile de penser combien tous ces détails non seulement sont capables de l'irriter, mais encore peuvent, dans l'état où il se trouve, exercer une influence déplorable sur sa santé et, par contre-coup, sur son intelligence.
Mais voilà dont on se soucie fort peu, et c'est là une réflexion qui ne saurait arrêter une seconde la plume du reporter, affamé de nouvelles, et surtout de nouvelles inédites et piquantes.
D'ailleurs, quel que soit le jugement qui puisse être porté sur M. de Maupassant, la pitié aujourd'hui devrait faire place à tout autre sentiment. On discutera plus tard l'usage que cet écrivain a fait de son grand talent ; en ce moment, on ne peut s'empêcher de ressentir une impression de tristesse à la vue de ce talent éteint d'une manière subite par ce terrible mal de la folie !
Dans l'une des feuilles qui livrent au public le plus grand nombre de détails, le reporter termine son article (si l'on doit appeler article tous ces racontars entassés sans ordre), en disant que la mère de M. de Maupassant se trouve en ce moment à Nice, et que l'on a grand soin d'éloigner d'elle toute espèce de journaux.
Nous le comprenons !
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