1891, 1892, 1893,
1894, 1895.
- Samedi 9 janvier 1892
GUY DE MAUPASSANT
Chez le docteur Blanche. - Sa blessure. - Son état mental.
M. Guy de Maupassant, dont on connaît la tentative de suicide, est arrivé hier à Paris et a été conduit aussitôt à la maison de santé du docteur Blanche, rue Berton, à Paris.
Le directeur de cette maison, M. le docteur Meuriot, que nous avons vu ce matin, a commencé par nous dire :
- Ce que quelques-uns de vos confrères racontent à propos des accès de folie furieuse de M. de Maupassant, est complètement inexact. Il n'a eu, de toute la journée d'hier, aucun accès de ce genre.
- Et ce matin ?
- Ce matin, son accablement est moins grand. Je viens précisément de le quitter ; j'ai été toute la matinée auprès de lui. Hier il avait refusé de prendre toute espèce de nourriture. Du reste, il s'y refuse tous les jours, et depuis sa tentative de suicide, il n'a mangé absolument que deux ailes de poulet.
Ce matin, j'ai réussi, non sans peine à lui faire manger un chaud-froid de poulet avec des pruneaux. Quant à la boisson, il ne veut que l'eau.
- Et sa blessure ?
- Oh ! nous répond le docteur Meuriot, elle n'offre plus aucun danger.
La blessure, qu'il s'est faite au côté gauche du cou, n'était pas d'ailleurs très grave ; elle n'avait atteint ni la veine ni la jugulaire, et n'avait affecté que le peaucier. M. de Maupassant a été pansé là-bas, par le docteur Valcourt.
A son arrivée ici, la plaie suppurait légèrement ; j'ai enlevé les derniers points de suture et fait un pansement sec.
Pour ce qui est de l'état mental de M. de Maupassant, il est par malheur beaucoup plus grave, et je ne puis pas, pour l'instant, vous dire grand'chose à ce sujet.
Je suis obligé de me retrancher jusqu'ici derrière un diagnostic, qui n'est pas encore formulé, et qui ne peut l'être, du jour au lendemain, à la légère. Les phénomènes que présente l'état de M. de Maupassant sont si graves et si complexes que j'ai besoin de plusieurs jours pour les bien étudier.
Vous comprenez qu'il faut un certain temps pour cela ; car je ne puis tourmenter le malade qui, aujourd'hui, a conscience de son état. Il sait qu'il est ici et m'a bien reconnu. Mais il est toujours sous l'empire de ses idées délirantes et il est très abattu.
- En fin de compte, insistons-nous, ne pourriez-vous dès aujourd'hui, avant de pouvoir formuler un diagnostic certain, dire quelque chose qui rassurât les nombreux amis de M. de Maupassant ?
- Tout ce que je puis dire, riposte le docteur Meuriot, c'est que l'état de M. de Maupassant, sur lequel je ne puis encore me prononcer en connaissance de cause, n'est pas désespéré. Tout espoir de le sauver n'est pas perdu, cela, vous pouvez le répéter.
Mais, quant à savoir ce qu'il adviendra au juste et quel sera le sort du pauvre malade, il faut attendre pour être fixé.
C'est sur ces paroles - si peu consolantes qu'elles soient - que nous avons pris congé du docteur Meuriot. Puisse le faible espoir qu'il nous a exprimé se réaliser pleinement d'ici peu.
- M. DAUMESNIL.
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