De 1938 à 1955, Artine Artinian entreprit de poser la question suivante à des auteurs de l'époque : « Que pensez-vous de Maupassant ? ». Après avoir paru dans la presse (Les Nouvelles littéraires), les réponses de ces écrivains français et étrangers ont fait l'objet d'un ouvrage difficile à trouver (Pour et contre Maupassant : enquête internationale, 147 témoignages inédits, Paris, Nizet, 1955, 146 p.).
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I am more than interested to have your letter asking me to put an estimate upon the works of Guy de Maupassant. It happens that I was tremendously interested in his translated short stories and some of his longer works from the time I was in college during the eighties up to and including the time when I handled a short story department on the Chicago Record from 1893 to 1900. I was most enthusiastic about the work of this author because his style was so simple and direct and he did not cumber his manuscript with tedious description or needless adjectives. I loved his brevity and his clarity, and the direct manner in which he scored every point. I am sure that he greatly influenced my style because my friends often told me that I was to be another Maupassant. I never denied that I was somewhat under his influence. I still admire his stories and read them and in my humble opinion he deserves very high ranking in the history of world literature. In other words, he is my kind of an author. [1938] I am afraid I cannot give you any very intelligent reaction to Maupassant. It has now been nearly twenty years since I read anything of this. I can remember reading some of his stories as a young man and liking them and that we were required to read some of his stories in some course somewhere. I am ashamed to say that I cannot remember anything in particular from anything of his that I have read except that I was rather amused and intrigued at the time. This, as you will see, is certainly not of much help as criticism but it is at least honest. To sum it up I think Maupassant has remained with me as a name of great importance about whom, when I come to think of it, I really know nothing at all. I have no doubt that is my loss and I shall dig into him again due to your inquiry. [1938] J'ai le sentiment que Maupassant a eu une influence considérable sur la nouvelle américaine, que, par exemple, notre O'Henry se rattache directement à lui, mais, dans l'ensemble, cette influence n'a pas été bonne. Ce que je pense de la nouvelle à intrigue - que j'ai même appelée nouvelle « à trucs » - ressortit à cette influence. Il me semble que Maupassant insistait beaucoup sur la technique, souvent au détriment de l'élément humain. La figure de Maupassant, vous le savez, est loin d'avoir gardé en France tout son prestige. Il paie assez durement tout ce que son œuvre comporte de trop rapide, de complaisant, de vulgarisateur. Par la probité, l'ampleur et la haute conception de l'art, la figure de Flaubert pèse lourdement sur lui. Il n'est pas jusqu'aux écrivains étrangers, qu'il a lui-même inspirés, qui ne contribuent à gêner son crédit.
Pour les gens de ma génération (celle de Giraudoux, Carco, Duhamel) l'influence de Maupassant a fort peu joué, je crois, du moins directement. Nous nous sommes trouvés, à notre entrée dans la vie littéraire, en réaction naturelle contre le naturalisme, contre ces formes aussi de la nouvelle courte, où Maupassant a excellé, et dont, par mode et imitation, on a tant abusé par la suite, qu'on a galvanisées. Mais la fortune et le succès de Maupassant, pour autant, n'ont pas subi d'éclipse dans le public moyen français ni à l'étranger, qui voit de plus loin, qui appréciait chez cet écrivain que, nous autres, nous oubliions un peu, des qualités de concision, de composition, de simplicité auxquelles notre âge et les circonstances de notre venue au monde littéraire nous rendaient moins sensibles. Aujourd'hui, où le fatras du naturalisme a été absorbé par le temps, je me rends mieux compte, pour ma part, de l'importance de quelques sommets, de Maupassant en particulier. Son langage dépouillé, dru, son observation rigoureuse le préservent des injures des années ; ses nouvelles paysannes surtout, ou du monde des petits bourgeois, continuent, très brillamment, une des plus vigoureuses traditions de notre littérature, celle des conteurs populaires. Maupassant me semble un écrivain qui, dans des limites d'inspiration et d'expression parfois assez étroites, a du moins réussi pleinement et atteint exactement les buts qu'il se proposait. Ce n'est pas un mérite fort commun. [1938] It is a good many years since I read Guy de Maupassant's stories - it being all one can do to keep up with current books - but I have a very clear recollection of their clarity, conciseness, drama, often unexpected climax and beauty of style. With all that - to say nothing of his characterization and the fact that he had interesting stories to tell - I don't see how he can fail to hold a high and permanent place in the history of letters. I should say it is quite certain that many young writers read, study, and do their best to imitate him. He has fathered a large brood.
Je réponds bien volontiers à la question que vous m'avez fait l'honneur de me poser. J'ai l'impression que la gloire de Maupassant subit actuellement une éclipse. Pour user d'une expression ecclésiastique, je dirais volontiers qu'elle ne fait plus partie de la littérature militante, et n'est pas entrée encore dans la littérature triomphante. Il serait tout à fait intéressant de consulter les éditeurs de ses oeuvres, et de connaître par eux la courbe des tirages et des ventes. On constaterait ainsi, de façon concrète, le plus ou moins d'attrait qu'il conserve au regard du grand public, dont le jugement n'est peut-être pas identique à celui de la critique professionnelle, mais ne doit cependant pas être négligé. Quel sera l'arrêt de la postérité ? Il serait bien téméraire d'essayer, maintenant, de le formuler. A mon sens, pourtant, il conviendrait d'établir une nette distinction entre Maupassant, conteur, et Maupassant, romancier. Le conteur est du premier ordre ; il a écrit quelques-unes des meilleures nouvelles que nous possédions (quoiqu'il y ait peut-être chez Duvernois plus de sensibilité et d'humanité profonde). Romancier, il ne s'est pas élevé au même niveau. A parcourir de longs espaces, son inspiration s'essouffle un peu. Incomparable observateur et traducteur du détail typique, il n'échappe ni à l'artifice ni à la convention lorsqu'il lui faut mener, de bout en bout, une oeuvre de longue haleine. Enfin, il se « démode », symptôme grave qui nous prouve que, dans ses romans, il n'a pas toujours atteint le général et l'universel. On peut fort bien concevoir que le jour soit proche où l'on n'éprouvera plus le besoin de lire Notre Coeur ou Une Vie. Mais on ne conçoit pas que l'on puisse jamais se passer de lire Madame Bovary ou L'Education Sentimentale. On n'ose exprimer un pronostic. Je m'en tiens donc à l'énoncé d'une simple impression personnelle : les nouvelles de Maupasant méritent de survivre, mais il est indifférent que ses romans ne survivent pas. [1939] « On lit Maupassant volontiers, on le relit rarement » : c'est à cette formule, peut-être un peu simpliste, que je réduirais pour mon compte la situation actuelle d'un grand nouvelliste, que mon adolescence mettait très haut, que la jeunesse d'aujourd'hui place sans doute trop bas. Des profils arrêtés mais sans "dessous", des anecdotes criantes de vérité mais à peine différentes d'un fait divers ; une certaine absence de clair-obscur qui s'ajouterait à la nette délinéation des êtres et des choses que lui proposait son maître Flaubert ; enfin, s'il s'agit des romans et non plus des nouvelles, une simplicité un peu indigente qui pousse à une longueur inutile un épisode sans complications réelles : tel est, ce me semble, le jugement que nous sommes disposés à prononcer au sujet de Maupassant.
Je vous remercie d'avoir bien voulu m'interroger au sujet de Guy de Maupassant. Je ne sais, cependant, si je suis bien qualifié pour vous répondre. Je fais partie de la toute dernière génération littéraire, qui lit peu les romans du siècle dernier ou les lit avec humeur, parce qu'elle n'y retrouve aucun des problèmes qui l'intéressent.
Veuillez donc me joindre à la liste des admirateurs de Maupassant. [1950] Maupassant est un merveilleux ouvrier. C'est un artisan qui a réussi des chefs-d'oeuvres.
Je dois être, à la vérité, assez peu sensible à l'art de Maupassant, puisque ce sont ses romans que je préfère, alors que les suffrages de ses admirateurs me semblent aller davantage à ses nouvelles et à ses contes. Je me sens beaucoup plus près de son contemporain, Normand comme lui, Barbey d'Aurevilly. Barbey, Maupassant, Flaubert, c'est tout de même une trilogie qui compte pour une province unique. Il en est peu dont la couronne puisse s'enorgueillir de tels fleurons. [1954] Nul écrivain n'est plus représentatif de son époque que Guy de Maupassant : canotiers, sport naissant et dames en falbalas.
Actuellement, on doit tenir pour nulle l'influence de Maupassant. Quelques auteurs peuvent se réclamer isolément de lui. Ils sont en dehors du mouvement.
Maupassant appartient à tous les temps. Il est pour moi le plus grand prosateur que la France ait produit. Il surpasse Flaubert comme styliste et Bourget comme psychologue dans ses grands romans Bel-Ami, Notre cœur, Fort comme la mort et Une vie. Nul ne l'a atteint dans la plastique et la vigueur des images, nul ne l'a dépassé dans l'intime beauté et la mélodie de la langue. Peu de gens, en dehors de la France, lisent aujourd'hui Zola, mais de jeunes écrivains, dans le monde entier, peuvent toujours apprendre avec Maupassant.
J'ai beaucoup entendu parler de Guy de Maupassant par mon maître et ami Paul Bourget qui avait été lié avec lui. Maupassant avait abusé de la vie et senti venir la folie.
Je réponds bien volontiers à votre question sur l'oeuvre de Maupassant et la place qu'il convient de lui attribuer dans les lettres françaises.
I am sorry to be unable to help in your study of Guy de Maupassant, but I am afraid that I cannot claim sufficient knowledge of him to make my opinion of any value. A few stories read at long intervals in English translation do not, I fear, qualify me to act his critic. [October 12, 1938] Maupassant n'est pas un écrivain que j'admire beaucoup. En tant que technicien, il est excellent - trop excellent peut-être. Ses romans m'ont toujours paru peu profonds et artificiels, et ses nouvelles souvent si réduites à un squelette qu'elles finissaient par ressembler à des truquages techniques.
Maupassant n'a pas vieilli et, dans l'ensemble, son oeuvre est intacte.
His Excellency the Lord Tweedsmuir asks me to say he is very interested in your forthcoming study of Guy de Maupassant. He has always been a strong admirer of de Maupassant, and when he began to write as a young man he was much under his influence. He considers him, on the whole, the world's greatest writer of short stories - the true short story which moves to a clear dramatic issue, and is not merely a fleeting impression. [1938] Some thirty years ago, I read all of Maupassant, and in the days when we used to admire the well-made, self-complete incident, tacitly disconnected from both past and future, is a convention, or rather a confection, unrelated to human existence. I still think that ; and, as one consequence of this belief, I doubt if I have opened a book by Maupassant during the last quarter of a century. [1941] Guy de Maupassant, plus grand et plus décisif comme conteur que comme romancier, a mis, dans chacune de ses fortes nouvelles, tout un aspect du drame humain et de la comédie humaine. Bien que son art ni sa technique ne puissent le rapprocher de Voltaire ou d'Anatole France - pour choisir des exemples dans la seule littérature fançaise - Maupasant, comme Voltaire et comme Anatole France, a prouvé qu'un écrivain de grand talent et de pénétrante vision peut, en quelques pages, traiter d'une vérité éblouissante, les thèmes que tant de romanciers, même célèbres, ont développé avec moins de bonheur en de vastes récits. [1938] J'ai lu pas mal de Maupassant en traduction et je suis persuadé que cela valait mieux pour moi. Ma conviction est que Maupassant est irremplaçable et que, par conséquent, son œuvre sera toujours parmi les œuvres littéraires essentielles. J'ai peu pratiqué Maupassant. J'ai lu tout ce qu'il a écrit. Je ne l'ai, je crois, jamais relu. Je n'en aime, en fait, que les derniers contes. Pour le reste, son esthétique m'est étrangère. Je ne suis touché, en général, ni par les œuvres qui s'éloignent tout à fait de la réalité, ni par celles qui, comme l'œuvre de Maupassant, s'y tiennent tout près. Le grand art, pour moi, est à mi-chemin. C'est pourquoi Maupassant reste, pour beaucoup d'entre nous, un artiste honnête et estimable qui a exprimé assez exactement une époque et une société d'ailleurs pauvres en grandes œuvres. Mais il n'est pas un grand créateur, comme Balzac, par exemple, l'était. [1954] I think you may safely state that Maupassant had a most extraordinary influence upon young Americans who like myself were trying to write short stories in the early nineteen hundreds. He is widely read, widely imitated, and extremely influantial in establishing the type of short story which was successul for so many years. [1938] Les lettres américaines sont en retard d'environ 50 ans sur les lettres européennes, qui ont fait, depuis un demi-siècle, leur maladie naturaliste. Maupassant n'offre plus pour nous, actuellement, aucun intérêt. Tout a été dit, rabâché - en thèses, en des cours, en controverses - sur le sémillant nouvelliste. Je crois, évidemment, que les romanciers américains, sont encore à la traîne de Maupassant. Cela leur passera.
La destinée critique de Maupassant ? Une apologétique exagérée de son vivant, surtout de la part des femmes, puis, aujourd'hui, un oubli par trop injuste. A mon avis, Maupassant est un de nos grands peintres de la société française et d'une époque qui nous paraissent, il est vrai, tellement défuntes aujourd'hui, avec leur décor au gaz, aux « tournures », barbes et moustaches ! N'empêche que c'est un grand écrivain et que les historiens ne pourront se passer de son témoignage dans l'avenir.
La gloire de Maupassant a subi une éclipse au lendemain de la dernière guerre, alors qu'on était tout à la psychologie subtile de Proust, qu'on faisait du surréalisme et de la fiction hallucinée ou rêveuse. Mais son objectivité revient en faveur. Le miroir est de dimensions restreintes qu'il promène - non sur la grand'route - mais sur les sentiers de la vie. Ce n'en est pas moins un miroir fidèle. Le tain ne s'en écaille pas avec le temps. Un classique Boule-de-Suif demeure, peut-être, un des chefs-d'oeuvre, sinon le chef-d'oeuvre de la nouvelle. Aussi bien, le réalisme de ce probe et solide conteur a-t-il fait école, à l'étranger, en Angleterre, notamment. Il ne faudrait pas me pousser beaucoup, cependant, pour me faire dire qu'il n'était pas aussi impassible qu'on l'a prétendu. Il y a trace de son pessimisme foncier dans ses écrits les plus subjectifs, en apparence ; et cela ajoute, à mon sens, à la force de leur action sur l'esprit. Moins artiste que son maître Flaubert, Maupassant trouve, en revanche, de ces traits qui viennent de la profondeur de l'observation subconsciente : Une vie, Fort comme la Mort, Pierre et Jean, etc... [1938] Je ne prends aucune espèce d'intérêt à Guy de Maupassant. [1950] Among short story writers I would rate Maupassant in the first seven or eight, with Kipling, Stevenson, Harte, O'Henry, Stockton, Clemens, Balzac. [1938] Je crois l'importance littéraire de Maupassant tout à fait considérable, mais il me paraît impossible de l'isoler, historiquement et littérairement, de tout le groupe des écrivains « naturalistes » dont Flaubert, Daudet, Zola… sont les chefs. Je veux dire qu'il n'y a peut-être pas une « influence spécifique » de Maupassant. Son influence se confond avec celle de la constellation à laquelle il appartient. L'originalité propre de cet auteur éclate surtout dans ses nouvelles. Je tiens les Contes de la Bécasse pour un ouvrage très grand, et presque inégalé dans son genre. Les romans ont vieilli, surtout d'un point de vue technique. Toutefois, leur succès populaire ne se dément pas : et c'est justice. Maupassant, que j'ai rencontré souvent chez mon père, dans ma jeunesse, n'a pas une grande place dans les lettres françaises, qu'il ignorait. C'est un bon disciple de Flaubert, qui a écrit deux belles choses : Sur l'eau, bréviaire du pessimisme - son eau étant noire - et La Petite Roque. Son manque de culture est flagrant. Son talent médiocre, énervé par la paralysie générale, jette parfois des étincelles. Il était comme Loti, comblé de ridicules, avec des dons de phrase courte et frottée incontestables.
Guy de Maupassant, malgré sa réelle perfection reste pour moi un univers sans secret. Dans ses récits, la véritable histoire commence là où, pour lui, elle se termine. [1954] Dans la littérature française, Guy de Maupassant restera le roi de la nouvelle.
L'après-guerre avec sa tête vide, ses nerfs à vif et sa soif de curiosité s'est tout naturellement porté vers des amours nouvelles et a justement oublié les maîtres qu'admiraient ses devanciers.
Quoique j'aie lu beaucoup de ses nouvelles quand j'étais jeune, je ne sache pas qu'elles aient produit une grande impression sur moi. Je ne puis me tromper, car je n'ai pas relu Maupassant depuis des années, mais je ne pense pas qu'il y ait dans son œuvre quelque chose de nouveau qui ne figure pas chez les grands romanciers français, Balzac et Flaubert. Mr. Dreiser has your letter with regard to Maupassant and he asked me to answer it. He has read a great deal of Maupassant, in English, and considers him one of the world's great writers. He feels that Maupassant is too much neglected today, and that he has had far more influence with modern writers, especially with those who write popular magazine stories, than is generally recognized. He feels that the influence has not been of great value, however, inasmuch as these newer writers have tried to imitate Maupassant's tone, and have missed his peculiar insight and emotional sincerity. [1938] Je me défendais mal contre l'ennui quand je lisais les romans de Maupassant, ou quand je lisais plusieurs de ses contes de suite. L'ennui, qui menace déjà chez Flaubert à cause de la sécheresse du cœur et de l'esprit, du manque de puissance profonde de création, l'a définitivement emporté à mes yeux de quarante-cinq ans. Je n'oserais essayer de relire Bel-Ami ou Une Vie. Oh ! non.
Que puis-je vous dire de Maupassant qui ne soit presque une banalité ?
Il y a vingt ans peut-être, lors d'une réunion du Pen Club à Paris, réunion à laquelle assistaient Pirandello, Miguel de Unamuno, James Joyce, et beaucoup d'autres écrivains illustres, le romancier norvégien Johan Bojer se leva et fit un discours au cours duquel il fut amené à féliciter la France parce qu'elle avait, dans l'époque moderne, engendré d'admirables narrateurs comme Guy de Maupassant. En entendant cette phrase, tous les jeunes écrivains français qui se trouvaient massés au fond de la salle manifestèrent par des rires leur étonnement.
L'amitié de Flaubert et de Maupassant reste célèbre dans l'histoire des Lettres. A cette affection, le solitaire de Croisset joignit les conseils qu'un illustre aîné peut donner à son cadet. Je crois, pourtant, qu'on ne doive pas exalter outre-mesure l'influence que l'un eut sur l'autre. S'il est bien que l'auteur de Madame Bovary ait été l'émondeur sévère d'un jeune talent où les restes d'un vague romantisme se diluaient dans les premiers symptômes du naturalisme mal appris encore, avec déjà ces frissons voluptueux révélant l'un des aspects de la vraie nature de l'écrivain - qu'on se souvienne du poème Les Lavandières - il est bien également que l'éducateur n'ait pas réussi, en admettant qu'il l'ait voulu, à insensibiliser les besoins d'humaine manifestation, de son ami.
J'ai pour Maupassant la plus vive et la plus profonde admiration, entretenue par des lectures qui pour moi sont toujours nouvelles. Une oeuvre complexe et d'apparence simple, comme la vie...
Guy de Maupassant is one of my great admirations. I doubt if we have had a better story-teller. What I think of him as a craftsman was very well expressed by Somerset Maugham in the introduction to the collection of his own stories, « East and West ».
Maupassant est à coup sûr le maître incontesté de la Nouvelle, et son influence fut considérable en son temps, notamment sur la littérature russe. Son style d'un pur classicisme, n'ayant pas vieilli, je crois que cette influence, pour être moins prononcée, restera durable. Quant à mes rapports avec lui, rapports tout à son honneur, je me permets de vous renvoyer au récit tout à fait exact qu'en est fait par Camille Cé dans son livre « Regards sur l'œuvre d'Edouard Estaunié », pages 56 et 578. [1938] J'ignore profondément les réactions successives de la critique, tant française, qu'étrangère, en ce qui concerne l'oeuvre de Guy de Maupassant. Et je ne m'en soucie pas le moins du monde. Guy de Maupassant fut un très grand écrivain français, à mon sens supérieur à Flaubert lui-même, c'est dire qu'au XIXe siècle que je ne reconnais, comme écrivains français plus grands que lui, que Loti, Balzac, et Musset. Il fut de son vivant salué comme un très grand homme. Après sa mort, sa renommée dut subir l'éclipse habituelle. Il est entré aujourd'hui dans sa gloire définitive. On le lit beaucoup, régulièrement. Et c'est un brevet d'ignorance en France que de ne pas connaître son oeuvre.
My reading of de Maupassant was confined, as I remember it, to the outstanding short stories, the stories that, in my young girlhood, were presented as master pieces. When I first read them I hadn't the faintest plan to be a writer myself. I haven't read him in years. I still think that certain of his short stories are masterly ; superb examples of the short-story form. It seems to me that today he still ranks as a short-story master, if only for the half-dozen stories on which hundreds of would-be writers have hung their own story imitations. [1941] Maurice Barrès, dont j'ai été, dans ma jeunesse, le collaborateur et l'ami, s'étonnait quand on lui disait que Maupassant avait à l'étranger une très considérable réputation : il le trouvait un bon conteur, mais confiné dans de bien médiocres sujets. Cette opinion a été pendant assez longtemps partagée par d'autres maîtres.
Il me paraît que l'Angleterre et l'Allemagne (que la Russie même) ont porté sur l'oeuvre de Maupassant un jugement plus favorable que n'a fait la France. C'est aussi que Maupassant n'a eu, en France, qu'une assez médiocre lignée de nouvellistes et de conteurs ; tandis que son influence indéniable a été des meilleures sur certains éminents auteurs étrangers. Ces auteurs étaient riches d'un fonds généreux et manquaient peut-être un peu de ce que Maupassant avait à l'excès et pouvait leur apprendre : le métier. Nombre des courts récits de Maupassant sont d'un métier admirable, d'une extraordinaire habileté de présentation et d'une langue très rare. On pourrait les prendre comme modèles. Il est quelques-uns de ces récits qui sont même beaucoup plus et mieux que de simples réussites formelles, en particulier Boule de suif est, dans son genre, un chef d'oeuvre.
Je n'ai fait que parcourir quelques contes de Guy de Maupassant et ne saurai rien en dire. Ma lecture est très ancienne, je ne l'ai jamais relu. Je n'ai aucun livre de Maupassant dans ma bibliothèque. Je ne peux vous servir que comme phénomène de carence. J'espère, à ce titre, ne pas vous être tout à fait inutile. [1950] Je l'ai peu lu et ne suis guère attiré par lui. S'il est vrai, comme on l'assure, que beaucoup d'Américains ont appris à écrire dans ses nouvelles, pour ma part, j'avais lu celles de Poë avant les siennes : il n'était plus question de m'y intéresser beaucoup. L'art de ses nouvelles m'a toujours semblé un art de table d'hôte ; où l'effet ne manque jamais : gros, visible, réussi. Je l'ai référé, je crois, définitivement, après avoir lu Sur l'eau, où la ressource de cet art tout extérieur lui manque, et où il est réduit à son propre suc : pauvreté, médiocrité, inintérêt. Sa vogue à l'étranger me paraît d'ailleurs en tout point justifiée ; nul auteur plus propre à faire accéder de plain-pied à une sorte de basic French littéraire, où manquent tous les éléments subtils. [1954] Vous me demandez ce que je pense de Guy de Maupassant. Je serais tenté de vous répondre que je n'en pense rien. Entre seize et vingt ans je l'ai lu avec un intérêt extrême pour des raisons qui n'étaient pas toutes d'ordre littéraire, mais depuis cette épopque, son oeuvre est pour moi un livre qui m'est tombé des mains d'un seul coup et que je n'ouvrirai sans doute jamais. Simplement, il ne m'intéresse pas. Le monde dans lequel il a vécu et qu'ils s'est efforcé de peindre, ne m'attire en aucune manière. Je pense, bien entendu, au monde de Bel Ami. Il y a, je le sais bien, ses paysans normands, mais ceux-là m'ennuyent encore plus que les gens du monde et du demi-monde qui avaient à ses yeux une réalité extraordinaire et qui à mes yeux, n'en ont aucune. Je ne puis entrer dans ce petit univers assommant. Ces réserves faites, et elles sont graves, je reconnais qu'il savait raconter une histoire comme très peu d'hommes savent le faire aujourd'hui. Après plus d'années que je n'ai envie d'en faire le compte, je me souviens, je crois, de presque tous ses récits. C'est un éloge qui en vaut un autre. [1954] Je n'ai pas relu une page de Maupassant depuis peut-être trente ans, mais je me souviens que, dans ma jeunesse, je l'ai beaucoup pratiqué, et avec grande passion. Je lui dois sûrement quelque chose. J'ai toujours eu un grand respect pour ce maître sans doute mineur, mais l'un des premiers dans son art. [1955] In answer to your question I can tell you that I have read all the works of Maupassant, most of the books several times and some of them I am still reading at least every tenth year. My reading was in Danish translation.
A mon âge - et pour autant qu'il s'agit d'une langue étrangère - je ne puis vous exprimer dans le détail mon opinion sur Maupassant. Il n'est pas de mes préférés. Il était un épigone et n'écrivait ni mieux ni moins bien que la plupart des écrivains français de son temps. Pour mon compte, je professe à l'égard de Maupassant une admiration très fidèle. Je le trouve plus humain que Flaubert, plus sensible, plus nuancé, moins prisonnier d'une doctrine, moins esclave d'une attitude.
I read a fair amount of Maupassant in French when I was at college : enjoyed the ingenious way in which the short stories « clicked » to their epigrammatic conclusions, but I could never think of them as a very exalted form of literature. « Une Vie » struck me as much overrated when I read it : a book that proposed to be more than ordinarily true, but being in reality a bit bogus and theatrical. I don't know what I should think of I re-read it now. [1938] En ce qui me concerne, je place très haut Guy de Maupassant conteur. Il y a bien longtemps que je ne l'ai pas relu, mais je pense qu'il me plairait toujours autant. A propos de mon livre de nouvelles, Tentations, certains critiques, et non des moindres, ont évoqué Maupassant. Je n'en ai été ni flatté ni mécontent ; ces comparaisons ont toujours quelque chose de fantaisiste. Mais cela vous amusera peut-être de voir par vous-même ce que vous en pensez. It is very kind of you to ask for my views on Maupassant, and I only wish I had something worth while to reply. At the moment my books are in London and I am in the depths of the country, but I am returning in January, and I will refresh my memory with Maupassant, whom I haven't read some little time, though like many other people I could once read him almost daily. Perhaps on a re-reading I may get some impressions worth sending you. As he appears to me now, I fear it is as nothing more than a very brilliant dresser-up of the faits-divers which are the theme of so many of his stories. No doubt I do him wrong ; he was an early enthusiasm of mine, like Swinburne, who has also faded somewhat from his pristine gilt. Of course I still think « Bel Ami » a masterpiece, and so is « Boule-de-Suif », but I'm not quite sure whether his gospel of selecting a bit of life and working on it like a skilful window-dresser is sound or not. [1938] Maupassant est un écrivain de tout premier ordre.
I have hardly read Maupassant at all, but then I am a very poor reader of novels. This disqualifies me for giving an opinion on his influence on Spanish Letters. Yet from all I know of contemporary Spanish novelists, I do not think that he has left a deep trace in our lieterary life. [1938] Ihre Frage nach meinem Verhältnis zu Maupassant will ich in aller Einfachheit dahin beantworten, daß ich das Werk dieses Franzosen für im wahren Sinn des Wortes unsterblich halte und überzeugt bin, daß er durch die Jahrhunderte als einer größten Meister der Novelle gelten wird, die in der Dichtung der Menschheit glänzen. [1938] Je tiens Maupassant pour un de nos grands conteurs-nés, un peu court de souffle, un peu monocorde, mais excellent écrivain, fabulateur ingénieux, incomparablement maître de son métier, sachant toujours se tenir aux frontières, du réalisme et de la poésie, et qui a plusieurs fois prouvé magistralement qu'il possédait le sens du tragique dans la vie quotidienne, ce qui, selon moi, est le signe, d'un vrai tempérament de romancier. Il lui a sans doute manqué d'avoir plus de sévérité envers lui-même, plus de densité, peut-être, dans sa vie intérieure. Il a peut-être eu le malheur de vivre en un temps où la vie n'était pas assez difficile !... Dr. Masefield asks me to thank you for your letter, and to say that the late Guy de Maupassant has always been, and is now, much read and admired in England and though perhaps his short stories are the most enjoyed, his novels also are widely read. [1938] I don't know that I can say more than I have said.
Je l'ai beaucoup lu dans ma jeunesse. J'ai beaucoup admiré sa technique et, étant moi-même né en Normandie, j'ai pu apprécier la vérité superficielle de ses peintures. Mais je dois reconnaître que ses contes, si bien faits, me touchent assez peu. On a dit de Lamartine qu'il avait trop de génie pour se donner la peine d'avoir du talent ; on pourrait dire de Maupassant qu'il avait trop de talent pour se donner la peine d'avoir du génie. Ce dont je conserve le souvenir le plus vif, c'est la longue nouvelle intitulée Yvette. Là l'émotion l'emporte sur l'habileté. Les dernières pages aussi (celles du commencement de la folie) sont émouvantes. Maupassant never interested me greatly and so I have not read all of his books. Those that I have tackled have always been in English translation. My opinion is that Maupassant's place in literature is relatively low. He was an extremely ingenious man, but it seems to me there is little in his work that is worth remembering. [1938] Maupassant reste, je crois, un écrivain très important, non pas seulement par son œuvre, mais par sa méthode. Il fut le premier, non peut-être à employer consciemment ce style de récit qui dissimule la psychologie au lieu de l'étaler, et veut que le caractère surgisse, non de l'analyse du romancier, mais des actes et des propos des personnages. Il a exposé cette esthétique avec une lucidité et une concision parfaites dans la préface de Pierre et Jean. Préface qui réduit à néant l'hypothèse de certains critiques qui veulent voir dans la technique du roman objectif l'influence du cinéma. Non que cette influence soit niable, mais elle fut secondaire et tardive. Maupassant, de ce point de vue, peut donc légitimement apparaître comme le précurseur du roman moderne, ou du moins du roman moderne « objectif ». J'ajoute qu'il l'est aussi par sa rapidité, son sens du pathétique et de l'absurde, son humour sous-jacent et ce savoureux mélange de brutalité apparente et de tendresse pudique.
Je suis désolé de ne pouvoir répondre dans le sens que vous voulez sans doute, à votre enquête sur Guy de Maupassant. J'ai pour cet écrivain une répulsion profonde, malgré son talent étonnant de conteur. Les sujets de sa prédilection, l'atmosphère dont il les baigne et surtout la sèche et misérable conception de la vie qu'ils supposent m'inspirent une sorte d'horreur. Il est pour moi l'incarnation du naturalisme... Je fais un peu exception pour les oeuvres de la fin, qui ont la signification tragique d'une revanche : revanche d'un monde dont il avait toujours méconnu l'existence et qui ne pouvait pénétrer en lui que par l'effraction de la folie.
J'avoue n'avoir lu aucune critique, ni française ni étrangère sur Guy de Maupassant et même connaître assez mal l'œuvre de cet écrivain. Ce que j'en ai lu paraît être du bon « roman réaliste » dans le style du XIXe siècle. Quant à la réputation de Maupassant à l'étranger, elle semble très surfaite aux lettrés français, qui ont plutôt tendance à sourire. Je crois qu'en France, actuellement, il a moins d'influence que dans les pays anglo-saxons ou dans la Russie d'avant-guerre. Cela tient, sans doute, à deux causes : d'abord, Maupassant est surtout remarquable comme auteur de nouvelles, et les nouvelles, à mon regret, n'ont plus beaucoup de lecteurs ici.
Je ne connais pas un seul écrivain qui donne au même point que Maupassant le sentiment que la littérature est chose aisée, qui va de soi.
Guy de Maupassant fut certainement un des plus grands conteurs de son époque. Ses nouvelles sont encore imprégnées du naturalisme en vogue dans ce temps-là, mais une psychologie nouvelle s'en dégage dans ce sens qu'il fait sortir d'un drame une espèce de morale plus haute que la terreur (ou le dégoût) qui en émane. Ce qui a pu nuire le plus à ce très grand écrivain, c'est la folie un peu bien spéciale de sa fin. Mais qu'importe la manière dont on s'en va ! Par la valeur de son oeuvre, il reste. [1938] I believe I have read every word by and about him, and would accord him first place in the realm of the short story. [1938] Le dépit que j'éprouvais, enfant, à l'égard de ceux qui acceptaient le monde, je le sentais et le déplorais, sans savoir l'exprimer, jusqu'au jour où je découvris Guy de Maupassant, qui, d'un conte à l'autre, m'a parlé de tout. Cette découverte se place à la fin d'un hiver, époque pour moi de grand silence intérieur. Ce mutisme était en partie dû à la saison, à l'ennui de la ville que j'habitais, à la stupidité et à l'inutilité des gens ; d'autre part, je n'avais que quatorze ans, j'étais très pauvre, sans amis, solitaire et désespérément désireux de comprendre.
En réponse à votre enquête, je puis vous dire que l'influence directe de Maupassant sur moi est nulle, mais l'ascendant indirect, inconscient, a pu être grand. Mon maître Juhani Aho a été très impressionné par Maupassant, et je lui dois beaucoup. En général, la littérature et les arts finnois des années 1880-1890 étaient très sensibles à une œuvre telle que celle de Maupassant, et aujourd'hui, j'ai développé l'héritage de ces années. J'ai toujours professé, pour ma part, que Maupassant est victime, en France, d'une injustice, car on est loin de lui donner aujourd'hui la place qui devait être la sienne et que les étrangers, surtout en Europe centrale et orientale, ne lui chicanent pas.
I have discussed Maupassant in a chapter of my book « Mammon-art », which I send you. I personally read Maupassant at the time that I taught myself French, which was between the ages of 18 and 21.
Je tiens Maupassant pour le premier des conteurs français, l'égal, dans le récit en prose, de La Fontaine dans la fable. [1938] Je ne pense pas avoir rien lu de lui depuis que j'étais une gamine. Je crois me rappeler que j'avais trouvé ses petites nouvelles cyniques parfaites, mais ses romans - Une Vie, Mont-Oriol - entachés d'une sorte de sentimentalité que je jugeais malsaine. Mais c'était il y a trente ans… Je ne suis ni romancier ni critique ; j'ai assez peu lu Maupassant, et ce peu, il y a bien longtemps, hélas ! que je l'ai lu. Je dois vous avouer que je ne suis pas grand lecteur et que je n'ai le temps - ni, peut-être, le goût - de lire des romans. Sans doute, ai-je, à un degré fâcheux, le sentiment de l'arbitraire…
I have read all the Maupassant in English ; perhaps two or three volumes all together in French, when I wanted to give particular attention in this or that story. He and Chekhov seem to me to be unequaled masters of the modern short story, in whatever language. [1938] Jeune étudiant et soldat d'infanterie pendant la grande guerre, j'ai parcouru l'Europe Centrale et Orientale. Un écrivain français y était connu à lui seul plus que tous les autres à la fois : Maupassant. En Russie, la littérature française était d'abord la littérature qui comptait Maupassant.
My idea of de Maupassant is that, at his best, he is perfect - in his own way - which is raw, crude, over-colored. They are stories of a brilliant, observant, gesticulating animal of the Zoo.
Guy de Maupassant bedeutet für mich einen der originellsten Dichter aller Zeiten. Er hat, was nur den allerwenigsten Künstlern gelingt, eine neue, vor ihm nicht bestehende Form erschaffen und sie mit einem Inhalt gefüllt, der so üppig und gefährlich so krass und zart, so dämmrig und klar ist wie die Natur in Person. Maupassant, das ist einer der unbestchlichen Meister der Wahrheit. [1938] |