Pour ou contre Maupassant




De 1938 à 1955, Artine Artinian entreprit de poser la question suivante à des auteurs de l'époque : « Que pensez-vous de Maupassant ? ». Après avoir paru dans la presse (Les Nouvelles littéraires), les réponses de ces écrivains français et étrangers ont fait l'objet d'un ouvrage difficile à trouver (Pour et contre Maupassant : enquête internationale, 147 témoignages inédits, Paris, Nizet, 1955, 146 p.).


Ade - Allen - Anderson - Arland - Arnoux - Atherton - Bailly - Baldensperger - Bazin - Benda - Benjamin - Benoît - Bernard - Billy - Blancpain - Bojer - Bordeaux - Bourget-Pailleron - Brittain - Bromfield - Bruneau - Buchan - Cabell - Cahuet - Caillois - Caldwell - Camus - Canby- Carré - Céline - Cendrars - Chadourne - Charpentier - Claudel - Cobb - Croce - Curtis - Daudet - Deharme - Dekobra - Dhôtel - Dorgelès - Dos Passos - Dreiser - Drieu La Rochelle - Druon - Duhamel - Dupé - Durtain - Erskine - Estang - Estaunié - Farell - Farrère - Ferber - Fisher - Frank - Frondaie - Gale - Gibbs - Gide - Giono - Giraud - Glasgow - Glesener - Gracq - Green - Groussard - Guilloux - Guérard - Gunnarson - Hamsun - Hansen - Hazard - Hermant - Hilton - Huxley - Jouhandeau - Krutch - Lacretelle - Lalou - Larbaud - Lefèvre - La Varende - Leacock - Lemonnier - Lengyel - Lewis - Lichtenberger - Lucas - De Madariaga - Mann Heinrich - Mann Thomas - Maran - Marcel - Martin Du Gard - Masefield - Maugham - Maurois - Maynial - Mencken - Merle - Mille - Miller - Miomandre - Montherlant - Mumford - Murry - Nemirovsky - O'Faolain - Paul - Paulhan - Peyre - Pommier - Pourtalès - Powys - Priestley - Rachilde - Rascoe - Romains - Rostand - Roussel - Rousseaux - Salten - Saroyan - Schlumberger - Seillière - Sheean - Sigaux - Sillanpaa - Simenon - Sinclair - Steegmuller - Suckow - Swinnerton - Tarkington - Tharaud - Thérive - Undset - Valéry - Van Der Meersch - Van Doren - Vercel - Walpole - Werfel - William - Zweig Arnold - Zweig Stefan



  • George ADE

         I am more than interested to have your letter asking me to put an estimate upon the works of Guy de Maupassant. It happens that I was tremendously interested in his translated short stories and some of his longer works from the time I was in college during the eighties up to and including the time when I handled a short story department on the Chicago Record from 1893 to 1900. I was most enthusiastic about the work of this author because his style was so simple and direct and he did not cumber his manuscript with tedious description or needless adjectives. I loved his brevity and his clarity, and the direct manner in which he scored every point. I am sure that he greatly influenced my style because my friends often told me that I was to be another Maupassant. I never denied that I was somewhat under his influence. I still admire his stories and read them and in my humble opinion he deserves very high ranking in the history of world literature. In other words, he is my kind of an author. [1938]

  • Hervey ALLEN

         I am afraid I cannot give you any very intelligent reaction to Maupassant. It has now been nearly twenty years since I read anything of this. I can remember reading some of his stories as a young man and liking them and that we were required to read some of his stories in some course somewhere. I am ashamed to say that I cannot remember anything in particular from anything of his that I have read except that I was rather amused and intrigued at the time. This, as you will see, is certainly not of much help as criticism but it is at least honest. To sum it up I think Maupassant has remained with me as a name of great importance about whom, when I come to think of it, I really know nothing at all. I have no doubt that is my loss and I shall dig into him again due to your inquiry. [1938]

  • Sherwood ANDERSON, Les Nouvelles littéraires, 1950.

         J'ai le sentiment que Maupassant a eu une influence considérable sur la nouvelle américaine, que, par exemple, notre O'Henry se rattache directement à lui, mais, dans l'ensemble, cette influence n'a pas été bonne. Ce que je pense de la nouvelle à intrigue - que j'ai même appelée nouvelle « à trucs » - ressortit à cette influence. Il me semble que Maupassant insistait beaucoup sur la technique, souvent au détriment de l'élément humain.

  • Marcel ARLAND

         La figure de Maupassant, vous le savez, est loin d'avoir gardé en France tout son prestige. Il paie assez durement tout ce que son œuvre comporte de trop rapide, de complaisant, de vulgarisateur. Par la probité, l'ampleur et la haute conception de l'art, la figure de Flaubert pèse lourdement sur lui. Il n'est pas jusqu'aux écrivains étrangers, qu'il a lui-même inspirés, qui ne contribuent à gêner son crédit.
         Je ne crois pas pourtant que son procès soit définitivement jugé. Ses dons incontestables de conteur, la forme si peu emphatique que prend son pessimisme, tout cela, le jour où l'on éliminera le vaste déchet de son œuvre pour ne garder qu'une dizaine de nouvelles, lui assurera sans doute une place qui, pour ne pas être au premier rang, n'en sera pas moins stable (immédiatement après Mérimée, dont il diffère d'ailleurs sur tant de points). [1938]

  • Alexandre ARNOUX

         Pour les gens de ma génération (celle de Giraudoux, Carco, Duhamel) l'influence de Maupassant a fort peu joué, je crois, du moins directement. Nous nous sommes trouvés, à notre entrée dans la vie littéraire, en réaction naturelle contre le naturalisme, contre ces formes aussi de la nouvelle courte, où Maupassant a excellé, et dont, par mode et imitation, on a tant abusé par la suite, qu'on a galvanisées. Mais la fortune et le succès de Maupassant, pour autant, n'ont pas subi d'éclipse dans le public moyen français ni à l'étranger, qui voit de plus loin, qui appréciait chez cet écrivain que, nous autres, nous oubliions un peu, des qualités de concision, de composition, de simplicité auxquelles notre âge et les circonstances de notre venue au monde littéraire nous rendaient moins sensibles. Aujourd'hui, où le fatras du naturalisme a été absorbé par le temps, je me rends mieux compte, pour ma part, de l'importance de quelques sommets, de Maupassant en particulier. Son langage dépouillé, dru, son observation rigoureuse le préservent des injures des années ; ses nouvelles paysannes surtout, ou du monde des petits bourgeois, continuent, très brillamment, une des plus vigoureuses traditions de notre littérature, celle des conteurs populaires. Maupassant me semble un écrivain qui, dans des limites d'inspiration et d'expression parfois assez étroites, a du moins réussi pleinement et atteint exactement les buts qu'il se proposait. Ce n'est pas un mérite fort commun. [1938]

  • Gertrude ATHERTON

         It is a good many years since I read Guy de Maupassant's stories - it being all one can do to keep up with current books - but I have a very clear recollection of their clarity, conciseness, drama, often unexpected climax and beauty of style. With all that - to say nothing of his characterization and the fact that he had interesting stories to tell - I don't see how he can fail to hold a high and permanent place in the history of letters. I should say it is quite certain that many young writers read, study, and do their best to imitate him. He has fathered a large brood.
         One of these « some days » I shall read him again. [July 2, 1941]

  • Auguste BAILLY

         Je réponds bien volontiers à la question que vous m'avez fait l'honneur de me poser. J'ai l'impression que la gloire de Maupassant subit actuellement une éclipse. Pour user d'une expression ecclésiastique, je dirais volontiers qu'elle ne fait plus partie de la littérature militante, et n'est pas entrée encore dans la littérature triomphante. Il serait tout à fait intéressant de consulter les éditeurs de ses oeuvres, et de connaître par eux la courbe des tirages et des ventes. On constaterait ainsi, de façon concrète, le plus ou moins d'attrait qu'il conserve au regard du grand public, dont le jugement n'est peut-être pas identique à celui de la critique professionnelle, mais ne doit cependant pas être négligé. Quel sera l'arrêt de la postérité ? Il serait bien téméraire d'essayer, maintenant, de le formuler. A mon sens, pourtant, il conviendrait d'établir une nette distinction entre Maupassant, conteur, et Maupassant, romancier. Le conteur est du premier ordre ; il a écrit quelques-unes des meilleures nouvelles que nous possédions (quoiqu'il y ait peut-être chez Duvernois plus de sensibilité et d'humanité profonde). Romancier, il ne s'est pas élevé au même niveau. A parcourir de longs espaces, son inspiration s'essouffle un peu. Incomparable observateur et traducteur du détail typique, il n'échappe ni à l'artifice ni à la convention lorsqu'il lui faut mener, de bout en bout, une oeuvre de longue haleine. Enfin, il se « démode », symptôme grave qui nous prouve que, dans ses romans, il n'a pas toujours atteint le général et l'universel. On peut fort bien concevoir que le jour soit proche où l'on n'éprouvera plus le besoin de lire Notre Coeur ou Une Vie. Mais on ne conçoit pas que l'on puisse jamais se passer de lire Madame Bovary ou L'Education Sentimentale. On n'ose exprimer un pronostic. Je m'en tiens donc à l'énoncé d'une simple impression personnelle : les nouvelles de Maupasant méritent de survivre, mais il est indifférent que ses romans ne survivent pas. [1939]

  • Fernand BALDENSPERGER

         « On lit Maupassant volontiers, on le relit rarement » : c'est à cette formule, peut-être un peu simpliste, que je réduirais pour mon compte la situation actuelle d'un grand nouvelliste, que mon adolescence mettait très haut, que la jeunesse d'aujourd'hui place sans doute trop bas. Des profils arrêtés mais sans "dessous", des anecdotes criantes de vérité mais à peine différentes d'un fait divers ; une certaine absence de clair-obscur qui s'ajouterait à la nette délinéation des êtres et des choses que lui proposait son maître Flaubert ; enfin, s'il s'agit des romans et non plus des nouvelles, une simplicité un peu indigente qui pousse à une longueur inutile un épisode sans complications réelles : tel est, ce me semble, le jugement que nous sommes disposés à prononcer au sujet de Maupassant.
         Nous en jugions tout autrement vers 1890, quand Notre Coeur et Fort comme la Mort semblaient tellement en progrès sur la matérialisation de la vie par les naturalistes de stricte doctrine - et tellement plus sincères que les produits des successeurs d'Octave Feuillet !
         Pour que ce discrédit relatif semblât le verdict équitable de la postérité, il a fallu l'action de bien des causes, et tout d'abord la disparition des prestiges « scientifiques » en littérature : le naturalisme ayant atténué sa doctrine, le réalisme plus humain de Maupassant a perdu par comparaison quelques-uns de ses avantages.
         En ce qui me concerne personnellement, je dois dire que certaines impressions ont dû jouer au détriment de l'individualité même de cet auteur. J'ai connu Henri Amic, compagnon de voyage dévoué de l'auteur de Sur l'eau, et j'ai compris par lui quelle nature un peu courte était Maupassant devant la vie et la nature. J'ai rencontré Mme E.S., l'une de ses... inspiratrices, et il m'a semblé percevoir ce qu'il y avait de limité dans les tendances de Bel-Ami.
         Ai-je eu tort de me laisser impressionner par ces éléments tout subjectifs ? Mais où est l'astronome complètement à l'abri de ses équations personnelles ? Où est le lecteur assuré de ne jamais juger sous l'influence de quelque référence ? L'histoire littéraire peut être impartiale ; l'affirmation des goûts se doit d'être équitable - et je crois l'avoir été dans ces quelques lignes. [3 octobre 1939]

  • Hervé BAZIN, Les Nouvelles littéraires, 1950.

         Je vous remercie d'avoir bien voulu m'interroger au sujet de Guy de Maupassant. Je ne sais, cependant, si je suis bien qualifié pour vous répondre. Je fais partie de la toute dernière génération littéraire, qui lit peu les romans du siècle dernier ou les lit avec humeur, parce qu'elle n'y retrouve aucun des problèmes qui l'intéressent.
         Maupassant demeure pour moi un étonnant styliste, précis, sobre et efficace. Son réalisme me touche moins qu'il n'a dû toucher ses contemporains : il a beaucoup vieilli et manque un peu d'arrière-plan. Ce réalisme est aussi terriblement littéraire. J'avoue préférer à l'auteur de Une Vie ou de La Maison Tellier celui des Contes de la Bécasse. Depuis Maupassant, il n'existe, en effet, personne qui ait porté aussi loin l'art de la nouvelle, genre inconsidérément tenu pour miné par les romanciers d'aujourd'hui.

  • Julien BENDA

         Veuillez donc me joindre à la liste des admirateurs de Maupassant. [1950]

  • René BENJAMIN

         Maupassant est un merveilleux ouvrier. C'est un artisan qui a réussi des chefs-d'oeuvres.
         A l'âge où l'art n'était pour moi qu'une fidèle interprétation de la nature, il m'a semblé qu'il était un des plus forts et des plus saisissants parmi nos conteurs.
         Pourtant, il n'occupe aujourd'hui qu'une place d'arrière dans ma bibliothèque.
         C'est que les grands poètes, je veux dire tous ceux qui, par la poésie, le drame, le roman, ont relié la vie naturelle à la vie surnaturelle, donnent un sens à la première par le mystère de la seconde, c'est que les grands poètes, dis-je, ont dans ma vie pris depuis la première place et que je ne vois pas le moyen de ranger parmi eux l'admirable et borné Maupassant. [1938]

  • Pierre BENOÎT

         Je dois être, à la vérité, assez peu sensible à l'art de Maupassant, puisque ce sont ses romans que je préfère, alors que les suffrages de ses admirateurs me semblent aller davantage à ses nouvelles et à ses contes. Je me sens beaucoup plus près de son contemporain, Normand comme lui, Barbey d'Aurevilly. Barbey, Maupassant, Flaubert, c'est tout de même une trilogie qui compte pour une province unique. Il en est peu dont la couronne puisse s'enorgueillir de tels fleurons. [1954]

  • Marc BERNARD

         Nul écrivain n'est plus représentatif de son époque que Guy de Maupassant : canotiers, sport naissant et dames en falbalas.
         Ses romans et ses nouvelles sont à sa ressemblance : puissants et clairs, courts et robustes, d'une sensibilité animale. Il appartient à la grande lignée des réalistes français, si continûment féconde depuis Balzac, Stendhal, Flaubert et Zola. Il est de la race des écrivains lucides jusqu'à la cruauté, qui sacrifient tout à la vérité.
         Face au baroque de Huysmans, Barbey d'Aurevilly et Léon Bloy, il se dresse, trapu et net, solide comme un chêne. Classique à sa manière.
         Comme son maître, Emile Zola, il est l'un des plus illustres représentants de ce qu'on pourrait appeler la littérature physiologique, où le corps tient une place éminente. Pour lui, comme pour Zola, il n'est point d'arrière-plan métaphysique ; tout est du domaine rationnel, chaque angoisse a une cause directe, qui relève de la réalité immédiate. Le surnaturel est rigoureusement absent de ce monde à deux dimensions. De là, la netteté, la lumière droite qui baigne toute son oeuvre, parfois l'impression d'étouffement qu'elle nous donne. [1954]

  • André BILLY

         Actuellement, on doit tenir pour nulle l'influence de Maupassant. Quelques auteurs peuvent se réclamer isolément de lui. Ils sont en dehors du mouvement.
         Les Français d'aujourd'hui s'étonnent souvent de l'importance attachée par les étrangers à Maupassant, notamment en Russie et en Allemagne.
         La critique moderne ne le trouve ni poète, ni artiste, ni philosophe, et c'est pourquoi elle le rejette. Dans une certaine mesure, elle a tort. Il y a dans Maupassant des pages excellentes, tant par l'écriture que pour le sentiment humain profond. Sur l'eau, Pierre et Jean, Une vie font partie du patrimoine littéraire français.
         Il y a aussi à envisager, dans Maupassant, son cas personnel, si déconcertant et si douloureux, et sur lequel il reste tant à dire. [1950]

  • Johan BOJER, Les Nouvelles littéraires, 1950.

         Maupassant appartient à tous les temps. Il est pour moi le plus grand prosateur que la France ait produit. Il surpasse Flaubert comme styliste et Bourget comme psychologue dans ses grands romans Bel-Ami, Notre cœur, Fort comme la mort et Une vie. Nul ne l'a atteint dans la plastique et la vigueur des images, nul ne l'a dépassé dans l'intime beauté et la mélodie de la langue. Peu de gens, en dehors de la France, lisent aujourd'hui Zola, mais de jeunes écrivains, dans le monde entier, peuvent toujours apprendre avec Maupassant.
         Pour moi, Bel-Ami est le plus bel ouvrage français en prose. Je relis ce livre sans cesse et y trouve toujours de nouvelles choses à admirer. Et, si aujourd'hui, comme vieil écrivain, j'ai un peu appris, c'est de Guy de Maupassant que je le tiens.
         Que la jeunesse se soit détournée de lui, c'est naturel. Tout travailleur intellectuel désire trouver sa propre voie et cherche, par suite, le plus loin possible de la grande route. C'est peut-être un bénéfice pour lui-même, mais non pour d'autres.

  • Henry BORDEAUX

         J'ai beaucoup entendu parler de Guy de Maupassant par mon maître et ami Paul Bourget qui avait été lié avec lui. Maupassant avait abusé de la vie et senti venir la folie.
         Ses contes et nouvelle sont de la plus parfaite facture. Précis et nets, ils sont clairs et brutaux comme des procès-verbaux mais d'un réalisme assez court. Contrairement à l'opinion commune, je leur préfère ses romans, Pierre et Jean, Une vie, Notre Cœur où son sens de l'amour et de la mort s'élargissait. Il laisse un grand nom dans les lettres françaises, avec une veine d'un art achevé et d'une spiritualité incomplète. [1938]

  • Robert BOURGET-PAILLERON

         Je réponds bien volontiers à votre question sur l'oeuvre de Maupassant et la place qu'il convient de lui attribuer dans les lettres françaises.
         Guy de Maupassant a été, comme vous le savez, l'un des maîtres de la nouvelle au XIXe siècle et son influence s'exerce encore de nos jours sur ce genre littéraire. Les nouvelles d'un Pierre Mille, d'un Henri Duvernois, voire même d'une Colette, s'en ressentent visiblement. Cet art d'aborder le sujet de front et dans la plus stricte économie de mots, ce réalisme qui mène irrésistiblement au sensuel, cette rigueur constante de trait, cette honnêteté imperturbable d'artisan sont bien dans la manière de l'auteur de Notre Coeur. Maupassant romancier a d'ailleurs tracé la voie à ses successeurs d'aujourd'hui. Des oeuvres comme Pierre et Jean, Bel-Ami, ont fort peu vieilli. Je n'en dirais pas autant de Fort comme le Mort, qui a malheureusement fait école auprès de certains romanciers mondains.
         J'ajoute que Maupassant, de son vivant, obtint assez vite les faveurs de la critique. Quand parurent les Soirées de Médan, Jean Richepin salua Boule-de-Suif comme la meilleure des nouvelles qui composaient le volume. C'était également l'avis de Flaubert, le maître de Maupassant et d'Emile Zola qui avait été le promoteur de ce recueil. Maupassant, âgé de trente ans alors, n'avait écrit que quelques pièces de vers et un petit poème intitulé Au Bord de l'Eau, dont les qualités n'étaient goûtées que de ses amis. Boule-de-Suif fut son premier succès et un succès décisif. [1938]

  • Vera BRITTAIN

         I am sorry to be unable to help in your study of Guy de Maupassant, but I am afraid that I cannot claim sufficient knowledge of him to make my opinion of any value. A few stories read at long intervals in English translation do not, I fear, qualify me to act his critic. [October 12, 1938]

  • Louis BROMFIELD, Les Nouvelles littéraires, 1950.

         Maupassant n'est pas un écrivain que j'admire beaucoup. En tant que technicien, il est excellent - trop excellent peut-être. Ses romans m'ont toujours paru peu profonds et artificiels, et ses nouvelles souvent si réduites à un squelette qu'elles finissaient par ressembler à des truquages techniques.
         Je pense qu'il a une certaine valeur pour les écrivains qui devraient étudier sa manière, pour l'oublier ensuite.

  • Charles BRUNEAU

         Maupassant n'a pas vieilli et, dans l'ensemble, son oeuvre est intacte.
         Alors que Victor Hugo est, pour beaucoup, l'auteur de Notre-Dame de Paris, alors que le nom de Flaubert appelle celui de Madame Bovary, c'est, quand le Français cultivé songe à Maupassant, dix, vingt contes qui surgissent dans la mémoire, les uns plaisants (Toine), d'autres délicatement mélancoliques (Mademoiselle Perle), quelques-uns tragiques (Le Horla).
         Quel est donc le secret de cette étonnante survie ? C'est, je pense, la qualité de la langue et du style.
         Le mot de style a deux sens. Il désigne la façon de s'exprimer qui, à une époque, caractérise tous les artistes en général, et les écrivains en particulier. Avoir attrapé le style à la mode c'est, pour l'habile homme, le succès immédiat, voire la célébrité, et, parfois, la gloire. Mais, quand une nouvelle génération surgit, il se crée une nouvelle mode et c'en est fait de l'ancienne. Dans une province éloignée, l'enterrement d'un notable fait sortir de cartons poussiéreux toute une collection de chapeaux hauts-de-forme qui font la joie des Parisiens de passage ; chacun d'eux correspond à une époque littéraire. Chapeaux et romans sont ridicules parce qu'ils appartiennent visiblement à une époque révolue : 1900, 1870, 1848, 1830...
         Mais chaque artiste possède aussi un style qui lui est propre, qui le met à part de tous ses contemporains. Le style de Maupassant consiste, si j'ose dire, à n'en pas avoir. Son français est le français de toujours - celui d'aujourd'hui, celui de demain. Maupassant a suivi le conseil de Flaubert : la phrase colle à la pensée aussi étroitement que le gant de peau s'ajuste à la main. Et c'est ainsi que les contes de Maupassant - contes réalistes et contes fantastiques, contes parisiens et contes normands - sont dans la langue et dans le ton qui conviennent sans incorrections gratuites et sans recherches prétentieuses, sans sécheresse excessive et sans longueurs inutiles. Maupassant semble même, dans un genre qu'il serait injuste de prendre pour un genre mineur, avoir dépassé son maître. Alors que la phrase de Flaubert, trop travaillée, nous semble souvent un peu tendue, celle de Maupassant atteint à une aisance et à une simplicité parfaites. On songe, en lisant les Contes, à une barque qui, poussée par une bonne brise d'arrière - l'image est de Flaubert - file allègrement entre des rives verdoyantes. [1950]

  • John BUCHAN (Letter from Secretary)

         His Excellency the Lord Tweedsmuir asks me to say he is very interested in your forthcoming study of Guy de Maupassant. He has always been a strong admirer of de Maupassant, and when he began to write as a young man he was much under his influence. He considers him, on the whole, the world's greatest writer of short stories - the true short story which moves to a clear dramatic issue, and is not merely a fleeting impression. [1938]

  • James Branch CABELL

         Some thirty years ago, I read all of Maupassant, and in the days when we used to admire the well-made, self-complete incident, tacitly disconnected from both past and future, is a convention, or rather a confection, unrelated to human existence. I still think that ; and, as one consequence of this belief, I doubt if I have opened a book by Maupassant during the last quarter of a century. [1941]

  • Albéric CAHUET

         Guy de Maupassant, plus grand et plus décisif comme conteur que comme romancier, a mis, dans chacune de ses fortes nouvelles, tout un aspect du drame humain et de la comédie humaine. Bien que son art ni sa technique ne puissent le rapprocher de Voltaire ou d'Anatole France - pour choisir des exemples dans la seule littérature fançaise - Maupasant, comme Voltaire et comme Anatole France, a prouvé qu'un écrivain de grand talent et de pénétrante vision peut, en quelques pages, traiter d'une vérité éblouissante, les thèmes que tant de romanciers, même célèbres, ont développé avec moins de bonheur en de vastes récits. [1938]

  • Erskine CALDWELL, Les Nouvelles littéraires, 1950.

         J'ai lu pas mal de Maupassant en traduction et je suis persuadé que cela valait mieux pour moi. Ma conviction est que Maupassant est irremplaçable et que, par conséquent, son œuvre sera toujours parmi les œuvres littéraires essentielles.

  • Albert CAMUS

         J'ai peu pratiqué Maupassant. J'ai lu tout ce qu'il a écrit. Je ne l'ai, je crois, jamais relu. Je n'en aime, en fait, que les derniers contes. Pour le reste, son esthétique m'est étrangère. Je ne suis touché, en général, ni par les œuvres qui s'éloignent tout à fait de la réalité, ni par celles qui, comme l'œuvre de Maupassant, s'y tiennent tout près. Le grand art, pour moi, est à mi-chemin. C'est pourquoi Maupassant reste, pour beaucoup d'entre nous, un artiste honnête et estimable qui a exprimé assez exactement une époque et une société d'ailleurs pauvres en grandes œuvres. Mais il n'est pas un grand créateur, comme Balzac, par exemple, l'était. [1954]

  • Henry Seidel CANBY

         I think you may safely state that Maupassant had a most extraordinary influence upon young Americans who like myself were trying to write short stories in the early nineteen hundreds. He is widely read, widely imitated, and extremely influantial in establishing the type of short story which was successul for so many years. [1938]

  • Louis-Ferdinand CÉLINE

         Les lettres américaines sont en retard d'environ 50 ans sur les lettres européennes, qui ont fait, depuis un demi-siècle, leur maladie naturaliste. Maupassant n'offre plus pour nous, actuellement, aucun intérêt. Tout a été dit, rabâché - en thèses, en des cours, en controverses - sur le sémillant nouvelliste. Je crois, évidemment, que les romanciers américains, sont encore à la traîne de Maupassant. Cela leur passera.
         Maupassant a été l'inspirateur de l'article « enlevé », « sensible », « pimpant », dont tous les journalistes actuels, du monde entier, usent et abusent.
         Quant au fond même, il est nul, comme tout ce qui est systématiquement « objectif ». Tout doit nous éloigner de Maupassant. La route qu'il suivait, comme tous les naturalistes, mène à la mécanique, aux usines Ford, au cinéma - Fausse Route ! [1938]

  • Blaise CENDRARS, Les Nouvelles littéraires, 1950.

         La destinée critique de Maupassant ? Une apologétique exagérée de son vivant, surtout de la part des femmes, puis, aujourd'hui, un oubli par trop injuste. A mon avis, Maupassant est un de nos grands peintres de la société française et d'une époque qui nous paraissent, il est vrai, tellement défuntes aujourd'hui, avec leur décor au gaz, aux « tournures », barbes et moustaches ! N'empêche que c'est un grand écrivain et que les historiens ne pourront se passer de son témoignage dans l'avenir.
         Il est aussi victime de sa forme, tout comme O'Henry et ses short stories en Amérique.
         Personnellement, j'ai eu une aventure avec un grand éditeur américain : Mr. P… étant de passage à Paris et lui ayant recommandé d'éditer un volume choisi des meilleurs contes de Maupassant, et pour le convaincre lui ayant fait lire une excellente traduction de Bel-Ami, Mr. P… m'a traité de… cochon !

  • John CHARPENTIER

         La gloire de Maupassant a subi une éclipse au lendemain de la dernière guerre, alors qu'on était tout à la psychologie subtile de Proust, qu'on faisait du surréalisme et de la fiction hallucinée ou rêveuse. Mais son objectivité revient en faveur. Le miroir est de dimensions restreintes qu'il promène - non sur la grand'route - mais sur les sentiers de la vie. Ce n'en est pas moins un miroir fidèle. Le tain ne s'en écaille pas avec le temps. Un classique Boule-de-Suif demeure, peut-être, un des chefs-d'oeuvre, sinon le chef-d'oeuvre de la nouvelle. Aussi bien, le réalisme de ce probe et solide conteur a-t-il fait école, à l'étranger, en Angleterre, notamment. Il ne faudrait pas me pousser beaucoup, cependant, pour me faire dire qu'il n'était pas aussi impassible qu'on l'a prétendu. Il y a trace de son pessimisme foncier dans ses écrits les plus subjectifs, en apparence ; et cela ajoute, à mon sens, à la force de leur action sur l'esprit. Moins artiste que son maître Flaubert, Maupassant trouve, en revanche, de ces traits qui viennent de la profondeur de l'observation subconsciente : Une vie, Fort comme la Mort, Pierre et Jean, etc... [1938]

  • Paul CLAUDEL

         Je ne prends aucune espèce d'intérêt à Guy de Maupassant. [1950]

  • Irvin S. COBB

         Among short story writers I would rate Maupassant in the first seven or eight, with Kipling, Stevenson, Harte, O'Henry, Stockton, Clemens, Balzac. [1938]

  • Jean-Louis CURTIS, Les Nouvelles littéraires, 1950.

         Je crois l'importance littéraire de Maupassant tout à fait considérable, mais il me paraît impossible de l'isoler, historiquement et littérairement, de tout le groupe des écrivains « naturalistes » dont Flaubert, Daudet, Zola… sont les chefs. Je veux dire qu'il n'y a peut-être pas une « influence spécifique » de Maupassant. Son influence se confond avec celle de la constellation à laquelle il appartient. L'originalité propre de cet auteur éclate surtout dans ses nouvelles. Je tiens les Contes de la Bécasse pour un ouvrage très grand, et presque inégalé dans son genre. Les romans ont vieilli, surtout d'un point de vue technique. Toutefois, leur succès populaire ne se dément pas : et c'est justice.

  • Léon DAUDET, Les Nouvelles littéraires, 1950.

         Maupassant, que j'ai rencontré souvent chez mon père, dans ma jeunesse, n'a pas une grande place dans les lettres françaises, qu'il ignorait. C'est un bon disciple de Flaubert, qui a écrit deux belles choses : Sur l'eau, bréviaire du pessimisme - son eau étant noire - et La Petite Roque. Son manque de culture est flagrant. Son talent médiocre, énervé par la paralysie générale, jette parfois des étincelles. Il était comme Loti, comblé de ridicules, avec des dons de phrase courte et frottée incontestables.
         Je ne pense guère à lui, et mon cas est celui de presque tous mes contemporains cultivés. Quant à le relire, merci bien ! [1938]

  • Lise DEHARME

         Guy de Maupassant, malgré sa réelle perfection reste pour moi un univers sans secret. Dans ses récits, la véritable histoire commence là où, pour lui, elle se termine. [1954]

  • Maurice DEKOBRA

         Dans la littérature française, Guy de Maupassant restera le roi de la nouvelle.
         Peu d'écrivains ont su, comme lui, condenser en quelques pages des thèmes presque toujours originaux, captivants et qui retiennent l'attention du lecteur jusqu'à la dernière ligne.
         Sa puissance d'invention n'a eu d'égale que la pureté de son style. Quel modèle incomparable pour les jeunes écrivains, pour tous ceux qui admirent la langue de Voltaire, de Chateaubriand et de Renan. Le style de Guy de Maupassant est concis, pur, limpide, sans bavures, sans afféterie surannée.
         Il est aussi loin du gongorisme et de l'écriture « artiste » chers aux amis d'Edmond de Goncourt que de la langue banale, plate et sans saveur de ses contemporains, Octave Feuillet et André Theuriet, entre autres.
         Les nouvelles de Guy de Maupassant ressemblent à ces joyaux rares que les orfèvres de jadis ciselaient avec amour dans le silence de leurs échoppes. [1938]

  • Roland DORGELÈS, Les Nouvelles littéraires, 1950.

         L'après-guerre avec sa tête vide, ses nerfs à vif et sa soif de curiosité s'est tout naturellement porté vers des amours nouvelles et a justement oublié les maîtres qu'admiraient ses devanciers.
         Guy de Maupassant a été de ceux qui ont le plus souffert de cette injuste révision. Les jeunes l'ont honni, ou oublié, ce qui est pire.
         Mais il est assez grand pour survivre à cette éclipse et beaucoup de romans tapageurs auront disparu qu'on relira encore ces contes puissants et colorés qui ont marqué de leur empreinte trente ans de littérature française.

  • John DOS PASSOS, Les Nouvelles littéraires, 1950.

         Quoique j'aie lu beaucoup de ses nouvelles quand j'étais jeune, je ne sache pas qu'elles aient produit une grande impression sur moi. Je ne puis me tromper, car je n'ai pas relu Maupassant depuis des années, mais je ne pense pas qu'il y ait dans son œuvre quelque chose de nouveau qui ne figure pas chez les grands romanciers français, Balzac et Flaubert.

  • Theodore DREISER (Letter from Secretary).

         Mr. Dreiser has your letter with regard to Maupassant and he asked me to answer it. He has read a great deal of Maupassant, in English, and considers him one of the world's great writers. He feels that Maupassant is too much neglected today, and that he has had far more influence with modern writers, especially with those who write popular magazine stories, than is generally recognized. He feels that the influence has not been of great value, however, inasmuch as these newer writers have tried to imitate Maupassant's tone, and have missed his peculiar insight and emotional sincerity. [1938]

  • Pierre DRIEU LA ROCHELLE, Les Nouvelles littéraires, 1950.

         Je me défendais mal contre l'ennui quand je lisais les romans de Maupassant, ou quand je lisais plusieurs de ses contes de suite. L'ennui, qui menace déjà chez Flaubert à cause de la sécheresse du cœur et de l'esprit, du manque de puissance profonde de création, l'a définitivement emporté à mes yeux de quarante-cinq ans. Je n'oserais essayer de relire Bel-Ami ou Une Vie. Oh ! non.
         Pourrais-je relire les contes ? Je ne l'ai pas fait depuis longtemps. Car je n'attends rien de ces histoires de paysans dégénérés ou de mondains dégénérés. Seul le souvenir de quelques contes plus largement humains me touche encore : l'histoire de cette vieille fille anglaise qui tombe amoureuse d'un peintre sur une plage… Miss Harriet, je crois ? Il paraît que Sur l'eau est mieux que tout le reste. Mais je ne l'ai jamais lu.
         Somme toute, mon indifférence à Maupassant va jusqu'à la malveillance. Car il est un des piliers les plus solides de la conception conventionnelle qu'on se fait de l'esprit français : un réalisme trop étroit, qui exclut des parties entières de la nature humaine.
         Ce que j'aime en France de tout mon amour, c'est une tradition plus abondante et somme toute plus libre. Le mysticisme qui magnifiait le réalisme français au Moyen Age n'apparaît plus chez Flaubert et surtout chez Maupassant que dans le culte de l'art, mais non dans l'objet de l'art. Voilà qui est contraire à tout humanisme vrai, où la nature d'un côté, la divinité de l'autre pénètrent la conception seulement sociale de l'homme.
         Mes dieux sont donc chez les poètes de cette époque plus que chez les romanciers. Foin de Flaubert, Zola, de Maupassant, mais adoration pour les plus grands poètes français depuis le Moyen Age : Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Mallarmé (et Apollinaire, et Claudel, et Jammes).
         Du côté du roman, le seul modèle que j'admets entièrement et passionnément, c'est Stendhal. C'est, à mon avis, le seul auteur de grands romans français, si Balzac est un grand romancier.
         Vous me direz : Maupassant nous intéresse comme conteur, non comme romancier. Alors comme conteurs, Mérimée, Barbey d'Aurevilly sont plus grands.
         Ce qui est curieux, c'est que je suis de souche normande comme Maupassant et Flaubert et que je ne suis pas satisfait par leur esprit, bien que pratiquement ce que je fais se rapproche d'eux.
         Il y a en moi une aspiration poétique qui s'accomplit mal ; sans doute primée par le milieu français. Il y a un esprit nordique chez certains qui est écrasé par la discipline de la Seine et de la Loire. Cet esprit n'a pu exploser que chez Rimbaud et quelques autres, grâce à la lecture de la poésie anglaise. Il y aurait beaucoup à dire là-dessus.

  • Maurice DRUON

         Que puis-je vous dire de Maupassant qui ne soit presque une banalité ?
         Qu'il est un des tout premiers romanciers français et sûrement le plus grand conteur ?
         Que Bel-Ami est l'un des chefs-d'oeuvre du roman universel ?
         Que le style de Maupassant, parce qu'il est d'une extrême clarté, d'une extrême et précise simplicité, résiste indéfiniment au temps, lequel est impitoyable pour les « précieux » ?
         Si Maupassant était attaqué, comme on aimerait le défendre ! Mais qui songe à l'attaquer ?
         Une chose surtout me frappe dans la destinée de Maupassant. Cet homme dont l'oeuvre, à un ou deux contes près, se déroule dans un univers psychologique normal, eût lui-même une vie mentale angoissée, hallucinée, et, à la fin, glissa dans la déraison et la démence.
         Y a-t-il, de cette constation, des perspectives plus lointaines et plus générales à tirer sur l'organisation psychique du génie créateur - ou tout au moins de certains génies créateurs ?
         Je pose la question, sans m'aventurer à la résoudre. [1950]

  • Georges DUHAMEL, Les Nouvelles littéraires, 1950.

         Il y a vingt ans peut-être, lors d'une réunion du Pen Club à Paris, réunion à laquelle assistaient Pirandello, Miguel de Unamuno, James Joyce, et beaucoup d'autres écrivains illustres, le romancier norvégien Johan Bojer se leva et fit un discours au cours duquel il fut amené à féliciter la France parce qu'elle avait, dans l'époque moderne, engendré d'admirables narrateurs comme Guy de Maupassant. En entendant cette phrase, tous les jeunes écrivains français qui se trouvaient massés au fond de la salle manifestèrent par des rires leur étonnement.
         Ces jeunes écrivains ne savaient pas et ne pouvaient pas savoir l'influence exercée par Guy de Maupassant à l'étranger. Guy de Maupassant représente indiscutablement le réalisme du XIXe siècle à son point d'accomplissement, rien de plus, mais rien de moins.
         La leçon de Maupassant, bien qu'elle soit moins innombrable que la leçon d Flaubert, a été mieux entendue à l'étranger que la leçon de Flaubert. Une grande partie de la littérature romanesque américaine, est sortie de Maupassant. Les jeunes écrivains français ne le savent pas, il ne faut pas se lasser de le leur dire, ne serait-ce que par sentiment de la justice.

  • Gilbert DUPÉ

         L'amitié de Flaubert et de Maupassant reste célèbre dans l'histoire des Lettres. A cette affection, le solitaire de Croisset joignit les conseils qu'un illustre aîné peut donner à son cadet. Je crois, pourtant, qu'on ne doive pas exalter outre-mesure l'influence que l'un eut sur l'autre. S'il est bien que l'auteur de Madame Bovary ait été l'émondeur sévère d'un jeune talent où les restes d'un vague romantisme se diluaient dans les premiers symptômes du naturalisme mal appris encore, avec déjà ces frissons voluptueux révélant l'un des aspects de la vraie nature de l'écrivain - qu'on se souvienne du poème Les Lavandières - il est bien également que l'éducateur n'ait pas réussi, en admettant qu'il l'ait voulu, à insensibiliser les besoins d'humaine manifestation, de son ami.
         Maupassant reçut de Flaubert, de forts secrets de style, le don du dépouillement l'horreur des étalages du moi, la densité de l'écriture, tout en conservant une personnalité de fier lignage. S'il fut l'un des plus parfaits conteurs de la langue française, il fut, en même temps, l'observateur à la fois compatissant et humain, des misères ou des faiblesses de l'homme, et ce n'est que plus tard que l'atteignit cette inquiétude dont son œuvre ressentit les nervosités.
         Il est vain d'assigner une place aux écrivains puisque c'est un rôle dont se charge, presque toujours fort bien, la justicière postérité. Pourtant, avec ma certitude, je mets Maupassant très haut, près des plus grands, parmi ceux qu'on lira toujours, l'un des meilleurs exemples formels proposés aux mainteneurs de notre tradition, mon maître ; en tous cas, le seul modèle que veuille suivre mon humble effort. [1950]

  • Luc DURTAIN

         J'ai pour Maupassant la plus vive et la plus profonde admiration, entretenue par des lectures qui pour moi sont toujours nouvelles. Une oeuvre complexe et d'apparence simple, comme la vie...
         Maupassant a connu, depuis la guerre jusque vers 1930-1932, la plus absolue des éclipses critiques. C'était un nom presque obscène que le sien ! On se déshonorait en le prononçant. C'était l'époque des fausses profondeurs, des « manques » qui prenaient figure de révélations !
         Comment il est ressorti à la lumière ? Je crois y avoir joué par hasard, un certain rôle.
         A un important dîner du P.E.N. Club français, je me trouvais auprès de Johan Bojer, l'écrivain que vous connaissez. Nous en vînmes à parler, à propos de Strindberg, de la très profonde influence exercée par Maupassant sur l'auteur de la Chambre Rouge. Et je lui dis mon indignation de voir le mépris où était tenu Maupassant à l'époque actuelle. Au dessert, Bojer se leva, porta un toast magnifique à Maupassant, et dit son importance dans les lettres scandinaves. Stupéfaction ! Inquiétudes ! A partir de ce moment-là, les jeunes commencent à « découvrir Maupassant. » [1938]

  • John ERSKINE

         Guy de Maupassant is one of my great admirations. I doubt if we have had a better story-teller. What I think of him as a craftsman was very well expressed by Somerset Maugham in the introduction to the collection of his own stories, « East and West ».
         I have read all of Maupassant constantly - short stories, novels, plays, even the verse. I read him in French. [1938]

  • Edouard ESTAUNIÉ

         Maupassant est à coup sûr le maître incontesté de la Nouvelle, et son influence fut considérable en son temps, notamment sur la littérature russe. Son style d'un pur classicisme, n'ayant pas vieilli, je crois que cette influence, pour être moins prononcée, restera durable. Quant à mes rapports avec lui, rapports tout à son honneur, je me permets de vous renvoyer au récit tout à fait exact qu'en est fait par Camille Cé dans son livre « Regards sur l'œuvre d'Edouard Estaunié », pages 56 et 578. [1938]

  • Claude FARRÈRE

         J'ignore profondément les réactions successives de la critique, tant française, qu'étrangère, en ce qui concerne l'oeuvre de Guy de Maupassant. Et je ne m'en soucie pas le moins du monde. Guy de Maupassant fut un très grand écrivain français, à mon sens supérieur à Flaubert lui-même, c'est dire qu'au XIXe siècle que je ne reconnais, comme écrivains français plus grands que lui, que Loti, Balzac, et Musset. Il fut de son vivant salué comme un très grand homme. Après sa mort, sa renommée dut subir l'éclipse habituelle. Il est entré aujourd'hui dans sa gloire définitive. On le lit beaucoup, régulièrement. Et c'est un brevet d'ignorance en France que de ne pas connaître son oeuvre.
         En résumé, je classe Guy de Maupassant parmi les dix ou douze premiers écrivains français du XIXe. [1938]

  • Edna FERBER

         My reading of de Maupassant was confined, as I remember it, to the outstanding short stories, the stories that, in my young girlhood, were presented as master pieces. When I first read them I hadn't the faintest plan to be a writer myself. I haven't read him in years. I still think that certain of his short stories are masterly ; superb examples of the short-story form. It seems to me that today he still ranks as a short-story master, if only for the half-dozen stories on which hundreds of would-be writers have hung their own story imitations. [1941]

  • Pierre FRONDAIE

         Maurice Barrès, dont j'ai été, dans ma jeunesse, le collaborateur et l'ami, s'étonnait quand on lui disait que Maupassant avait à l'étranger une très considérable réputation : il le trouvait un bon conteur, mais confiné dans de bien médiocres sujets. Cette opinion a été pendant assez longtemps partagée par d'autres maîtres.
         Quand j'étais un enfant, par contre, la fortune littéraire de Maupassant était à son apogée en France, et ma mère, je me le rappelle, se délectait de ses ouvrages. C'était avant 1900.
         Mon opinion personnelle serait que Guy de Maupassant a des chances de revivre (du moins en partie) quand aura cessé l'effet encore sensible, de certains tirs de barrage. Ils datent de la jalousie des Goncourt. Maupassant souffre peut-être aussi de l'injustice de Léon Daudet. (Injustice due, je pense, à un excès d'amour filial pour son père Alphonse Daudet).
         La chance de Maupassant aura sans doute été de mourir jeune. Sinon, vivant aussi longtemps que son contemporain Paul Bouget, je ne crois pas qu'il ait su se renouveler et s'amplifier. Il voyait plus qu'il ne comprenait. Son art était sensuel, jamais intellectuel. Enfin, il lui a manqué la poésie sans laquelle rien n'est vraiment mémorable. Je ne veux pas dire, vous m'entendez bien, qu'il était incapable d'écrire en vers (on a de lui quelques versifications négligeables), mais que l'essence de la poésie lui demeurait étrangère. En somme, il fut un conteur né, un écrivain solide, sans coup d'aile. Pourtant, un don magnifique, irremplaçable, et qui le sauvera de l'oubli : la vie. Elle lui a dicté quelques courts chefs-d'oeuvre. [1939]

  • André GIDE, Les Nouvelles littéraires, 3 août 1950, p.1

         Il me paraît que l'Angleterre et l'Allemagne (que la Russie même) ont porté sur l'oeuvre de Maupassant un jugement plus favorable que n'a fait la France. C'est aussi que Maupassant n'a eu, en France, qu'une assez médiocre lignée de nouvellistes et de conteurs ; tandis que son influence indéniable a été des meilleures sur certains éminents auteurs étrangers. Ces auteurs étaient riches d'un fonds généreux et manquaient peut-être un peu de ce que Maupassant avait à l'excès et pouvait leur apprendre : le métier. Nombre des courts récits de Maupassant sont d'un métier admirable, d'une extraordinaire habileté de présentation et d'une langue très rare. On pourrait les prendre comme modèles. Il est quelques-uns de ces récits qui sont même beaucoup plus et mieux que de simples réussites formelles, en particulier Boule de suif est, dans son genre, un chef d'oeuvre.
         Ce qui nous retient de considérer Maupassant comme un vrai maître, c'est, je crois, l'inintérêt presque total de sa propre personnalité. N'ayant rien de particulier à dire, ne se sentant chargé d'aucun message, voyant le monde et nous le présentant un peu en noir, mais sans indice de réfraction originale, il reste pour nous (ce qu'il prétendait être) un remarquable et impeccable ouvrier des lettres. Il est à chacun de ses lecteurs la même chose et ne parle à aucun d'eux en secret.

  • Jean GIONO

         Je n'ai fait que parcourir quelques contes de Guy de Maupassant et ne saurai rien en dire. Ma lecture est très ancienne, je ne l'ai jamais relu. Je n'ai aucun livre de Maupassant dans ma bibliothèque. Je ne peux vous servir que comme phénomène de carence. J'espère, à ce titre, ne pas vous être tout à fait inutile. [1950]

  • Julien GRACQ

         Je l'ai peu lu et ne suis guère attiré par lui. S'il est vrai, comme on l'assure, que beaucoup d'Américains ont appris à écrire dans ses nouvelles, pour ma part, j'avais lu celles de Poë avant les siennes : il n'était plus question de m'y intéresser beaucoup. L'art de ses nouvelles m'a toujours semblé un art de table d'hôte ; où l'effet ne manque jamais : gros, visible, réussi. Je l'ai référé, je crois, définitivement, après avoir lu Sur l'eau, où la ressource de cet art tout extérieur lui manque, et où il est réduit à son propre suc : pauvreté, médiocrité, inintérêt. Sa vogue à l'étranger me paraît d'ailleurs en tout point justifiée ; nul auteur plus propre à faire accéder de plain-pied à une sorte de basic French littéraire, où manquent tous les éléments subtils. [1954]

  • Julien GREEN

         Vous me demandez ce que je pense de Guy de Maupassant. Je serais tenté de vous répondre que je n'en pense rien. Entre seize et vingt ans je l'ai lu avec un intérêt extrême pour des raisons qui n'étaient pas toutes d'ordre littéraire, mais depuis cette épopque, son oeuvre est pour moi un livre qui m'est tombé des mains d'un seul coup et que je n'ouvrirai sans doute jamais. Simplement, il ne m'intéresse pas. Le monde dans lequel il a vécu et qu'ils s'est efforcé de peindre, ne m'attire en aucune manière. Je pense, bien entendu, au monde de Bel Ami. Il y a, je le sais bien, ses paysans normands, mais ceux-là m'ennuyent encore plus que les gens du monde et du demi-monde qui avaient à ses yeux une réalité extraordinaire et qui à mes yeux, n'en ont aucune. Je ne puis entrer dans ce petit univers assommant. Ces réserves faites, et elles sont graves, je reconnais qu'il savait raconter une histoire comme très peu d'hommes savent le faire aujourd'hui. Après plus d'années que je n'ai envie d'en faire le compte, je me souviens, je crois, de presque tous ses récits. C'est un éloge qui en vaut un autre. [1954]

  • Louis GUILLOUX

         Je n'ai pas relu une page de Maupassant depuis peut-être trente ans, mais je me souviens que, dans ma jeunesse, je l'ai beaucoup pratiqué, et avec grande passion. Je lui dois sûrement quelque chose. J'ai toujours eu un grand respect pour ce maître sans doute mineur, mais l'un des premiers dans son art. [1955]

  • Gunnar GUNNARSON

         In answer to your question I can tell you that I have read all the works of Maupassant, most of the books several times and some of them I am still reading at least every tenth year. My reading was in Danish translation.
         I consider Guy de Maupassant to be one of the greatest short-story writers of the world, perhaps the greatest. [1938]

  • Knut HAMSUN, Les Nouvelles littéraires, 1950.

         A mon âge - et pour autant qu'il s'agit d'une langue étrangère - je ne puis vous exprimer dans le détail mon opinion sur Maupassant. Il n'est pas de mes préférés. Il était un épigone et n'écrivait ni mieux ni moins bien que la plupart des écrivains français de son temps.

  • Paul HAZARD.

         Pour mon compte, je professe à l'égard de Maupassant une admiration très fidèle. Je le trouve plus humain que Flaubert, plus sensible, plus nuancé, moins prisonnier d'une doctrine, moins esclave d'une attitude.
         Quant à la place que Maupassant occupe dans la littérature, c'est une question de fait, non d'opinion personnelle. Je crois que les critiques ne cessent de s'occuper de lui : c'est un signe heureux. Se lit-il encore beaucoup ? Seuls, ses éditeurs pourraient vous répondre, vous répondre par des chiffres. Il est assurément dans la bibliothèque de tout lettré ! [1938]

  • Aldous HUXLEY

         I read a fair amount of Maupassant in French when I was at college : enjoyed the ingenious way in which the short stories « clicked » to their epigrammatic conclusions, but I could never think of them as a very exalted form of literature. « Une Vie » struck me as much overrated when I read it : a book that proposed to be more than ordinarily true, but being in reality a bit bogus and theatrical. I don't know what I should think of I re-read it now. [1938]

  • Frédéric LEFÈVRE, Les Nouvelles littéraires, 1950.

         En ce qui me concerne, je place très haut Guy de Maupassant conteur. Il y a bien longtemps que je ne l'ai pas relu, mais je pense qu'il me plairait toujours autant. A propos de mon livre de nouvelles, Tentations, certains critiques, et non des moindres, ont évoqué Maupassant. Je n'en ai été ni flatté ni mécontent ; ces comparaisons ont toujours quelque chose de fantaisiste. Mais cela vous amusera peut-être de voir par vous-même ce que vous en pensez.

  • D.-B. Wyndham LEWIS

         It is very kind of you to ask for my views on Maupassant, and I only wish I had something worth while to reply. At the moment my books are in London and I am in the depths of the country, but I am returning in January, and I will refresh my memory with Maupassant, whom I haven't read some little time, though like many other people I could once read him almost daily. Perhaps on a re-reading I may get some impressions worth sending you. As he appears to me now, I fear it is as nothing more than a very brilliant dresser-up of the faits-divers which are the theme of so many of his stories. No doubt I do him wrong ; he was an early enthusiasm of mine, like Swinburne, who has also faded somewhat from his pristine gilt. Of course I still think « Bel Ami » a masterpiece, and so is « Boule-de-Suif », but I'm not quite sure whether his gospel of selecting a bit of life and working on it like a skilful window-dresser is sound or not. [1938]

  • André LICHTENBERGER

         Maupassant est un écrivain de tout premier ordre.
         Autant que je puis m'en rendre compte, la critique étrangère lui a accordé plus généralement que celle de son pays la place qui lui appartient.
         Sa langue, moins laborieusement travaillée que celle de Flaubert et autrement pure que celle de Zola, porte la marque exacte de notre génie, et fait de lui, pour l'enseignement du français, un maître qui égale nos grands classiques. [1938]

  • Salvador DE MADARIAGA

         I have hardly read Maupassant at all, but then I am a very poor reader of novels. This disqualifies me for giving an opinion on his influence on Spanish Letters. Yet from all I know of contemporary Spanish novelists, I do not think that he has left a deep trace in our lieterary life. [1938]

  • Thomas MANN

         Ihre Frage nach meinem Verhältnis zu Maupassant will ich in aller Einfachheit dahin beantworten, daß ich das Werk dieses Franzosen für im wahren Sinn des Wortes unsterblich halte und überzeugt bin, daß er durch die Jahrhunderte als einer größten Meister der Novelle gelten wird, die in der Dichtung der Menschheit glänzen. [1938]

  • Roger MARTIN DU GARD, Les Nouvelles littéraires, 3 août 1950.

         Je tiens Maupassant pour un de nos grands conteurs-nés, un peu court de souffle, un peu monocorde, mais excellent écrivain, fabulateur ingénieux, incomparablement maître de son métier, sachant toujours se tenir aux frontières, du réalisme et de la poésie, et qui a plusieurs fois prouvé magistralement qu'il possédait le sens du tragique dans la vie quotidienne, ce qui, selon moi, est le signe, d'un vrai tempérament de romancier. Il lui a sans doute manqué d'avoir plus de sévérité envers lui-même, plus de densité, peut-être, dans sa vie intérieure. Il a peut-être eu le malheur de vivre en un temps où la vie n'était pas assez difficile !...

  • John MASEFIELD (Letter from Secretary)

         Dr. Masefield asks me to thank you for your letter, and to say that the late Guy de Maupassant has always been, and is now, much read and admired in England and though perhaps his short stories are the most enjoyed, his novels also are widely read. [1938]

  • W. Somerset MAUGHAM

         I don't know that I can say more than I have said.
         You certainly know more than I about the contemporary critical attitude toward Maupassant. He has suffered through the current, higly uncritical estimation in which Chekov is held. But Chekov wasn't really as good as they think he is now. [1938]

  • André MAUROIS, Les Nouvelles littéraires, 1950.

         Je l'ai beaucoup lu dans ma jeunesse. J'ai beaucoup admiré sa technique et, étant moi-même né en Normandie, j'ai pu apprécier la vérité superficielle de ses peintures. Mais je dois reconnaître que ses contes, si bien faits, me touchent assez peu. On a dit de Lamartine qu'il avait trop de génie pour se donner la peine d'avoir du talent ; on pourrait dire de Maupassant qu'il avait trop de talent pour se donner la peine d'avoir du génie. Ce dont je conserve le souvenir le plus vif, c'est la longue nouvelle intitulée Yvette. Là l'émotion l'emporte sur l'habileté. Les dernières pages aussi (celles du commencement de la folie) sont émouvantes.

  • H.-L. MENCKEN

         Maupassant never interested me greatly and so I have not read all of his books. Those that I have tackled have always been in English translation. My opinion is that Maupassant's place in literature is relatively low. He was an extremely ingenious man, but it seems to me there is little in his work that is worth remembering. [1938]

  • Robert MERLE, Les Nouvelles littéraires, 1950.

         Maupassant reste, je crois, un écrivain très important, non pas seulement par son œuvre, mais par sa méthode. Il fut le premier, non peut-être à employer consciemment ce style de récit qui dissimule la psychologie au lieu de l'étaler, et veut que le caractère surgisse, non de l'analyse du romancier, mais des actes et des propos des personnages. Il a exposé cette esthétique avec une lucidité et une concision parfaites dans la préface de Pierre et Jean. Préface qui réduit à néant l'hypothèse de certains critiques qui veulent voir dans la technique du roman objectif l'influence du cinéma. Non que cette influence soit niable, mais elle fut secondaire et tardive. Maupassant, de ce point de vue, peut donc légitimement apparaître comme le précurseur du roman moderne, ou du moins du roman moderne « objectif ». J'ajoute qu'il l'est aussi par sa rapidité, son sens du pathétique et de l'absurde, son humour sous-jacent et ce savoureux mélange de brutalité apparente et de tendresse pudique.
         Je ne sais si les Français reconnaissent toute sa taille. Les Français aiment bien qu'on leur mette les points sur les i, et précisément Maupassant ne met jamais les points sur les i. Je remarque qu'on cite moins souvent son nom dans les revues que ceux de Balzac ou de Stendhal. Pourtant, de tous les romanciers du XIXe siècle, il est, certes, le plus présent, le plus moderne.

  • Francis de MIOMANDRE

         Je suis désolé de ne pouvoir répondre dans le sens que vous voulez sans doute, à votre enquête sur Guy de Maupassant. J'ai pour cet écrivain une répulsion profonde, malgré son talent étonnant de conteur. Les sujets de sa prédilection, l'atmosphère dont il les baigne et surtout la sèche et misérable conception de la vie qu'ils supposent m'inspirent une sorte d'horreur. Il est pour moi l'incarnation du naturalisme... Je fais un peu exception pour les oeuvres de la fin, qui ont la signification tragique d'une revanche : revanche d'un monde dont il avait toujours méconnu l'existence et qui ne pouvait pénétrer en lui que par l'effraction de la folie.
         Bref, imaginez ce que peut penser de Maupassant un homme dont l'idéal est Jean-Paul et les pré-romantiques allemands. [1938]

  • Henry de MONTHERLANT, Les Nouvelles littéraires, 1950.

         J'avoue n'avoir lu aucune critique, ni française ni étrangère sur Guy de Maupassant et même connaître assez mal l'œuvre de cet écrivain. Ce que j'en ai lu paraît être du bon « roman réaliste » dans le style du XIXe siècle. Quant à la réputation de Maupassant à l'étranger, elle semble très surfaite aux lettrés français, qui ont plutôt tendance à sourire.

  • Irène NEMIROVSKY

         Je crois qu'en France, actuellement, il a moins d'influence que dans les pays anglo-saxons ou dans la Russie d'avant-guerre. Cela tient, sans doute, à deux causes : d'abord, Maupassant est surtout remarquable comme auteur de nouvelles, et les nouvelles, à mon regret, n'ont plus beaucoup de lecteurs ici.
         Ensuite, Maupassant s'est attaché plus à décrire les moeurs de son temps que ce qu'on appelle les « sentiments éternels » et ceci, qui contribue au succès de l'auteur de son vivant, lui nuit dans les quelques cinquante ou cent années qui suivent sa mort ; les moeurs sont surannées et pas encore historiques. [1938]

  • Jean PAULHAN, Les Nouvelles littéraires, 1950.

         Je ne connais pas un seul écrivain qui donne au même point que Maupassant le sentiment que la littérature est chose aisée, qui va de soi.
         Je crois donc qu'il joue, et jouera, un grand rôle dans l'histoire littéraire. Personne plus qu'un écrivain n'a besoin d'être encouragé.

  • RACHILDE

         Guy de Maupassant fut certainement un des plus grands conteurs de son époque. Ses nouvelles sont encore imprégnées du naturalisme en vogue dans ce temps-là, mais une psychologie nouvelle s'en dégage dans ce sens qu'il fait sortir d'un drame une espèce de morale plus haute que la terreur (ou le dégoût) qui en émane. Ce qui a pu nuire le plus à ce très grand écrivain, c'est la folie un peu bien spéciale de sa fin. Mais qu'importe la manière dont on s'en va ! Par la valeur de son oeuvre, il reste. [1938]

  • Burton RASCOE

         I believe I have read every word by and about him, and would accord him first place in the realm of the short story. [1938]

  • William SAROYAN, Les Nouvelles littéraires, 1950.

         Le dépit que j'éprouvais, enfant, à l'égard de ceux qui acceptaient le monde, je le sentais et le déplorais, sans savoir l'exprimer, jusqu'au jour où je découvris Guy de Maupassant, qui, d'un conte à l'autre, m'a parlé de tout. Cette découverte se place à la fin d'un hiver, époque pour moi de grand silence intérieur. Ce mutisme était en partie dû à la saison, à l'ennui de la ville que j'habitais, à la stupidité et à l'inutilité des gens ; d'autre part, je n'avais que quatorze ans, j'étais très pauvre, sans amis, solitaire et désespérément désireux de comprendre.
         Au lieu de mettre fin à mon mutisme intérieur, les contes de Maupassant l'intensifièrent, l'approfondirent et, au lieu de me rendre heureux, ils me rendirent plus triste encore que je n'étais. Cependant, c'était une tristesse toute différente qui portait en soi un pouvoir de bonheur que je croyais plus important pour moi que toute autre chose au monde que j'eusse pu découvrir, recueillir, apprendre ou voler.
         J'étais reconnaissant à cet homme d'avoir vécu et écrit à la façon d'un chercheur. Et j'étais reconnaissant à la chance qui me permit de découvrir Maupassant. Son œuvre me donna le monde et conféra à mon existence un sens qui semblait avoir la bonne fortune de durer. Je savais que lui et moi n'étions pas très différents l'un de l'autre et que ce qu'il avait pu faire, je devais pouvoir le réussir aussi. J'ai toujours été un écrivain. Mais c'est Maupassant qui m'a poussé à travailler sérieusement.

  • F. E. SILLANPAA, Les Nouvelles littéraires, 1950.

         En réponse à votre enquête, je puis vous dire que l'influence directe de Maupassant sur moi est nulle, mais l'ascendant indirect, inconscient, a pu être grand. Mon maître Juhani Aho a été très impressionné par Maupassant, et je lui dois beaucoup. En général, la littérature et les arts finnois des années 1880-1890 étaient très sensibles à une œuvre telle que celle de Maupassant, et aujourd'hui, j'ai développé l'héritage de ces années.

  • Georges SIMENON, Les Nouvelles littéraires, 1950.

         J'ai toujours professé, pour ma part, que Maupassant est victime, en France, d'une injustice, car on est loin de lui donner aujourd'hui la place qui devait être la sienne et que les étrangers, surtout en Europe centrale et orientale, ne lui chicanent pas.
         A une époque où la littérature s'encombrait presque toujours d'idéologies (Victor Hugo, Zola, etc. Anticléricalisme, comtisme, scientisme…) et où les querelles d'école passaient au premier plan (style artiste des Goncourt, naturalisme, etc.), Maupassant m'apparaît comme le plus sincère et le plus direct, comme le plus inspiré, si je puis dire, des écrivains français, comme celui qui s'est le moins laissé atteindre par les recherches et les attitudes à la mode.
         Je pense aussi qu'à un moment où l'homme de lettres n'était qu'un homme de lettres il a été un des rares à vivre et à puiser dans la vie. (N'est-ce pas vers le même temps que Zola, avant d'écrire un chapitre réaliste, passait quelques heures dans une forge ou dans un atelier d'ébéniste et notait soigneusement le nom de chaque outil ?)
         Maupassant, à mes yeux, se rapproche autant qu'il est possible de l'artiste pur, un peu à la façon de Van Gogh avec qui je lui trouve des affinités.
         Mais tout ceci n'est qu'une opinion d'un homme qui se défend d'avoir des idées.

  • Upton SINCLAIR

         I have discussed Maupassant in a chapter of my book « Mammon-art », which I send you. I personally read Maupassant at the time that I taught myself French, which was between the ages of 18 and 21.
         The French writers which have had the most influence on my work were Zola and Hugo. [1938]

  • Jérôme et Jean THARAUD

         Je tiens Maupassant pour le premier des conteurs français, l'égal, dans le récit en prose, de La Fontaine dans la fable. [1938]

  • Sigrid UNDSET, Les Nouvelles littéraires, 1950.

         Je ne pense pas avoir rien lu de lui depuis que j'étais une gamine. Je crois me rappeler que j'avais trouvé ses petites nouvelles cyniques parfaites, mais ses romans - Une Vie, Mont-Oriol - entachés d'une sorte de sentimentalité que je jugeais malsaine. Mais c'était il y a trente ans…

  • Paul VALÉRY, Les Nouvelles littéraires, 1950.

         Je ne suis ni romancier ni critique ; j'ai assez peu lu Maupassant, et ce peu, il y a bien longtemps, hélas ! que je l'ai lu. Je dois vous avouer que je ne suis pas grand lecteur et que je n'ai le temps - ni, peut-être, le goût - de lire des romans. Sans doute, ai-je, à un degré fâcheux, le sentiment de l'arbitraire…
         Voilà bien des négations, dont je m'excuse…

  • Carl VAN DOREN

         I have read all the Maupassant in English ; perhaps two or three volumes all together in French, when I wanted to give particular attention in this or that story. He and Chekhov seem to me to be unequaled masters of the modern short story, in whatever language. [1938]

  • Roger VERCEL

         Jeune étudiant et soldat d'infanterie pendant la grande guerre, j'ai parcouru l'Europe Centrale et Orientale. Un écrivain français y était connu à lui seul plus que tous les autres à la fois : Maupassant. En Russie, la littérature française était d'abord la littérature qui comptait Maupassant.
         Aujourd'hui, en France, alors que tant d'auteurs ont vieilli, Maupassant gagne tous les jours des admirateurs et des imitateurs nouveaux.
         J'avoue, pour ma part, qu'avec Flaubert, il a été mon maître d'écriture et d'observation et que le plus grand éloge que j'aie jamais reçu est celui que me décerna, voici quelques années, la Revue des Deux Mondes, en prononçant son nom à côté du mien.
         Pourquoi cette universalité et cette influence ?
         Parce que Maupassant a une étonnante sensibilité, presque morbide, et qu'il en est toujours le maître. Parce que c'est encore un prodigieux artiste, doué d'un infaillible instinct pour découvrir le détail qui crée la vie. Parce que la simplicité des moyens qu'il met en œuvre leur confère une puissance énorme : le temps ne mord pas sur un style dépouillé d'avance, comme l'est le sien. C'est une raison en même temps de sa diffusion à l'étranger : il est facile à traduire parce qu'il ne dit que l'essentiel. [1938]

  • Hugh WALPOLE

         My idea of de Maupassant is that, at his best, he is perfect - in his own way - which is raw, crude, over-colored. They are stories of a brilliant, observant, gesticulating animal of the Zoo.
         When he isn't at best, he misses badly. The great thing about him is that a lot of the stories now are faded specimens under rather dusty glass. This is of course my personal feeling - not at all dogmatic. [1938]

  • Franz WERFEL

         Guy de Maupassant bedeutet für mich einen der originellsten Dichter aller Zeiten. Er hat, was nur den allerwenigsten Künstlern gelingt, eine neue, vor ihm nicht bestehende Form erschaffen und sie mit einem Inhalt gefüllt, der so üppig und gefährlich so krass und zart, so dämmrig und klar ist wie die Natur in Person. Maupassant, das ist einer der unbestchlichen Meister der Wahrheit. [1938]



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