Maupassant dans la fiction
Roman, nouvelle, poésie, théâtre





L'internaute trouvera ci-dessous de courts extraits d'oeuvres de fiction de genres et de pays différents où sont cités Maupassant et son oeuvre. Cette rubrique ne prétend pas se substituer aux volumes papier auxquels il est nécessaire de se reporter. Au contraire, elle a été conçue comme une invitation à la lecture, donc comme un retour au livre.


  • AMIC Henri, « Le baron des Pluchettes », nouvelle (1890).

  • ANGLADE Jean, La Maîtresse au piquet, roman (1996).

  • APOLLINAIRE Guillaume

  • ASSOULINE Pierre, Le Portrait, roman (2007).

  • ATWOOD Margaret, Le Tueur aveugle (2002).

  • BABEL Isaac, « Guy de Maupassant » (1932), dans Nouvelles.

  • BEAUCHEMIN Yves, Charles le Téméraire, roman (2004).

  • BLEYS Olivier, Le Fantôme de la tour Eiffel, roman (2002).

  • BLOY Léon, portrait de Vaudoré dans Le Désespéré (1884).

  • BONNETAIN Paul, L'Opium (1886).

  • BOUDARD Alphonse

  • BOURDIN Françoise, Le Testament d'Ariane (2011).

  • BOURGET Paul

  • BRANDRETH Gyles, Oscar Wilde et le meurtre aux chandelles (2008).

  • BROWN Dan, Anges et démons (2005).

  • CAFFIER Michel, La Mémoire du perroquet, roman (1993).

  • CAMUS Renaud, Vie du chien Horla (2003).

  • CASTAING Frédéric, Rouge cendres (2005).

  • CHAMPSAUR Félicien, Dinah Samuel (1882).

  • CONTRUCCI Jean, Les Nouveaux Mystères de Marseille. Le Vampire de la rue des pistoles (2009).

  • DEBRAY Quentin, L'Impatiente de Freud (2002).

  • DENUZIÈRE Maurice

  • DÉON Michel, Madame Rose (1998).

  • DÖBLIN Alfred, Berlin Alexanderplatz (1929).

  • DORIN Françoise, La Mouflette (1994).

  • DUBUT DE LAFOREST Jean-Louis

  • DUTEURTRE Benoît, Les pieds dans l'eau (2008).

  • GAULON Pierre, La Mort en rouge (2013).

  • GIESBERT Franz-Olivier, La Cuisinière d'Himmler (2013).

  • GRAINVILLE Patrick, Falaise des fous (2018).

  • GUENASSIA Jean-Michel

  • GUERS Marie-Josèphe, La Petite Marquis (1993).

  • GUIGON Catherine, Les mystères du Sacré-Coeur. Les Vignes de la République, roman d'aventures (1998).

  • HARRANS Carolus d', « Le Fantôme » (1890).

  • HIGGINS CLARK Mary, « Les Bijoux volés » dans Le Billet gagnant et autres nouvelles (trad. 2002).

  • IZNER Claude

  • JACKSON BRAUN Lilian, Le Chat qui avait un don (2007).

  • JEAN Raymond, La Lectrice (1986).

  • LA VARENDE Jean de, Nez-de-cuir, gentilhomme d'amour (1936).

  • LE BOURHIS Michel, Échancrure (2007).

  • LÉVY André, « Cany-Barville » (2001).

  • LODGE David, L'Auteur ! L'Auteur ! (2004).

  • LORRAIN Jean

  • METALIOUS Grace, Peyton Place [1956].

  • MILLE Raoul, Le Roman de Marie Bashkirtseff (2004).

  • MONSIGNY Jacqueline, La Dame du Bocage (1995).

  • MORAND Paul, « Le Bazar de la charité », dans Fin de siècle (1957).

  • MOSSE Kate, Sépulcre, roman (2008).

  • ORIOL Laurence, Thérèse Humbert (1983).

  • PANCOL Catherine, Un homme à distance (2002).

  • PANDOLFI Ugo, La Vendetta de Sherlock Holmes (2004).

  • PEYRAMAURE Michel

  • RAIMOND C.E. [Elizabeth ROBINS], « Miss de Maupassant » (1895).

  • RIOTOR Léon, Les Taches d'encre (1931).

  • ROMAINS Jules, La Douceur de vivre (1939), t. XVIII des Hommes de bonne volonté.

  • ROUSSEAU François-Olivier, Sébastien Doré, roman (1985).

  • SCHNEIDER Michel, Morts imaginaires (2003).

  • SCHNITZLER Arthur, « Mademoiselle Else » (1924).

  • SIGNOL Christian

  • SIMENON Georges

  • TABUCCHI Antonio, Pereira prétend (1994).

  • TCHEKHOV Anton

  • TRÉBLA, « La troublante aventure de Simonin Peschet », (1920).


    Henri AMIC, « Le Baron des Pluchettes », nouvelle, 1890.
         « Les jours, les semaines, les mois passèrent. Rose devint de plus en plus rêveuse et tout bas elle fut obligée de s'avouer qu'elle pensait chaque jour davantage au séduisant des Pluchettes.
         Or voici ce qui arriva, sur ces entrefaites.
         Le baron Oscar avait rencontré, chez d'anciens amis à lui, la toute charmante vicomtesse de Tourterelles. La dame était coquette, des Pluchettes se montra d'abord empressé, puis galant.
         L'heure de la retraite allait sonner, il demanda à la vicomtesse de lui porter « Sur l'eau » le ravissant volume de Maupassant. La dame fit quelques manières pour la forme puis elle consentit.
         - La vicomtesse de Tourterelles habitait, 5 rue de Prony ; Rose Ottocar occupait le n°7. Des Pluchettes était distrait sans y songer il sonna au n°7. »


    Jean ANGLADE, La Maîtresse au piquet, roman, Paris, Presses de la cité, 1996, p.314-315.
    Frédérique, institutrice parisienne, s'installe en Auvergne. Elle y rencontre Vincent, un ouvrier métallurgiste dont elle tombe amoureuse, et lui fait découvrir la littérature.
         « Et ce fut là, sans doute, la raison principale qui me retint de tout plaquer : je ne pouvais abandonner ce pauvre garçon à mi-parcours de sa métamorphose. Régulièrement, je l'approvisionnais en livres. Il protestait : « J'ai pas encore fini le dernier. » Je disais : « Pour me faire plaisir !... » Il finissait par me céder. Et je m'apercevais qu'il les lisait bel et bien, ne se contentait pas de les feuilleter. Je lui fis connaître Barbusse, Maupassant, Vallès, Dostoïevski. Chaque auteur accepté était pour moi une victoire. »


    Guillaume APOLLINAIRE
    - « La Grenouillère », dans Il y a, Paris, Gallimard, Poésie, 1969, p.58.

    La Grenouillère

    Au bord de l'île on voit
    Les canots vides qui s'entre-cognent
    Et maintenant
    Ni le dimanche ni les jours de la semaine
    Ni les peintres ni Maupassant ne se promènent
    Bras nus sur leurs canots avec des femmes à grosse poitrine
                            Et bêtes comme chou
    Petits bateaux vous me faites bien de la peine
    Au bord de l'île


    - « Le Rabachis », Oeuvres en prose, textes établis, présentés et annotés par Michel Décaudin, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1977, t. I, p.528-533.
    « Le Rabachis » fait partie des contes retrouvés d'Apollinaire. Nous donnons ici l'incipit et quelques extraits.
         « C'était au cours de l'hiver de 1911, dans un salon bien parisien. […]
         On mangea quelques gâteaux sans farine et l'on but du porto ; puis, dans l'intention de prendre des notes en vue d'un ouvrage intitulé : Comment le déroulement à rebours des films cinématographiques influe sur les moeurs, je m'en allais à la Bibliothèque nationale. […] Un monsieur sévère me parla en ces termes :
         « Vous voudriez quelques scénarios de cinématographe, monsieur ? Et cette demande est formulée de telle façon qu'il nous est impossible de la satisfaire… […]
         – Faites donc ! me dit le bibliothécaire. Faites donc !... »
         Et il reprit une lecture interrompue, celle des Contes de la Bécasse, de Maupassant. »


    Pierre ASSOULINE, Le Portrait, roman, Paris, Gallimard, 2007, p.200-201. (Reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur)
    Ce roman met en scène le portrait de Betty de Rothschild qui assiste à l'histoire de toute sa famille.
    « Les Rothschild comme les autres sont en danger. Plus encore que les autres, tant pour ce qu'ils représentent que pour ce qu'ils possèdent. En les arrêtant, on emprisonne un symbole et un bouc émissaire. Inouï ce que le simple énoncé de notre nom peut véhiculer comme fantasme dans le peuple comme parmi l'élite. Ce pauvre Maupassant n'y a pas échappé, mais au moins avait-il l'excuse de la maladie mentale, lui qui, dans son délire à la clinique du docteur Blanche, répétait entre deux hurlements : « Les Rothschild n'ont-ils pas payé ma pension ? » ».


    Margaret ATWOOD, Le Tueur aveugle, roman, traduit de l'anglais (Canada) par Michèle Albaret-Maatsch, Paris, Robert Laffont, Pavillons, 2002, p.187. [titre original : The Blind Assassin (2000)].
           « Les mathématiques selon M. Erskine étaient relativement simples : il fallait qu'on sache tenir nos comptes, c'est-à-dire qu'on puisse additionner et retrancher et gérer une comptabilité en partie double.
           Le français se résumait à des formes verbales et à Phèdre et englobait des maximes concises, formulées par des auteurs connus. Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait – Estienne ; C'est de quoi j'ai le plus peur que la peur – Montaigne ; Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point – Pascal ; L'histoire, cette vieille dame exaltée et menteuse – Maupassant ; Il ne faut pas toucher aux idoles : la dorure en reste aux mains – Flaubert ; Dieu s'est fait homme; soit. Le diable s'est fait femme – Victor Hugo. Et cetera. »


    Isaac BABEL, « Guy de Maupassant » (1932), p.193-203 dans Nouvelles, précédé de Contes d'Odessa, traduit du russe par A. Bloch et M. Minoustchine, Paris, Gallimard, NRF, Du Monde entier, 1967, 252 p.
         « Pendant l'hiver de 1916, je me retrouverai à Pétersbourg avec un faux passeport et sans le sou. Alexis Kazantzev, un professeur de littérature russe, m'hébergea chez lui. […]
         « A Noël, nous eûmes de la chance. L'avocat Benderski qui possédait la maison d'éditions « Alcyon », avait décidé de publier une nouvelle édition des oeuvres de Maupassant. Raïssa, la femme de l'avocat, s'était chargée de les traduire. Ce projet grandiose n'aboutit à rien.
         On demanda à Kazantzev qui faisait des traductions de l'espagnol, s'il ne connaissait pas une personne capable d'aider Raïssa Mikhaïlovna. Kazantzev leur parla de moi.
         Vêtu d'un veston emprunté, je me rendis le lendemain chez les Benderski. […]
         – Maupassant est l'unique passion de ma vie, me dit Raïssa.
         S'efforçant de réprimer le balancement de ses fortes hanches, elle sortit de la pièce et revint avec la traduction de Miss Harriet. Dans sa traduction, il ne restait pas trace de la phrase de Maupassant, libre, fluide, traversée par un long souffle de passion. Raïssa Benderski écrivait avec une correction fastidieuse, dans un style lâche et sans vie, comme les Juifs, autrefois, écrivaient en russe.
         J'emportai le manuscrit chez moi et, dans la mansarde de Kazantzev, au milieu des dormeurs, je passai la nuit à pratiquer des percées dans la prose de Raïssa Benderski. […]
         Le lendemain matin, je rapportai le manuscrit corrigé. Raïssa ne mentait pas, lorsqu'elle parlait de sa passion pour Maupassant. Elle resta assise, sans mouvement, les mains jointes, pendant que je lisais ; ses mains satinées glissaient vers le sol, son front pâlissait, la dentelle entre ses seins écrasés s'écartait et palpitait. […]
         Les rayons vitreux du soleil de Pétersbourg tombaient sur le tapis fané et inégal. Vingt-neuf volumes de Maupassant étaient posés sur une étagère au-dessus de la table. De ses doigts dansants, le soleil touchait le dos en maroquin des livres, tombeau magnifique d'un coeur humain.
         On nous servit du café dans des tasses bleues et nous nous mîmes à traduire Idylle. Tout le monde se souvient de ce récit dans lequel un jeune charpentier affamé tète le sein d'une grosse nourrice pour la soulager de son trop-plein de lait. Cela se passait dans un train allant de Nice à Marseille, par une journée torride, à midi, au pays des roses, dans la patrie des roses, où les champs de fleurs descendent jusqu'au rivage de la mer... »
         Après le Nouvel An, les deux soeurs de Raïssa arrivèrent de Kiev. J'apportai un jour le manuscrit de L'Aveu et, n'ayant pas trouvé Raïssa chez elle, je revins le soir. Ils étaient en train de dîner dans la salle à manger. Des rires argentins et hennissants, une rumeur de voix masculines, pleines d'une allégresse exagérée, provenaient de là-bas. Dans les maisons riches qui n'ont pas de traditions, les dîners sont toujours bruyants. […] Raïssa entra et vint à moi en robe de bal, le dos nu. Ses pieds marchaient avec maladresse dans ses petits souliers vernis qui vacillaient.
         – Je suis ivre, mon cher. Et elle tendit vers moi ses bras couverts de chaînes de platine et d'étoiles d'émeraude.
         Son corps ondulait comme le corps d'un serpent qui se dresse vers le plafond au son de la musique. Elle secouait sa tête bouclée en faisant tinter ses bagues, et s'affala soudain dans un fauteuil orné de sculptures russes anciennes. Des cicatrices rougeoyaient sur son dos poudré. […]
         – Je veux travailler, balbutia Raïssa, en étirant ses bras nus, nous avons sauté toute une semaine…
         Elle apporta de la salle à manger une bouteille et deux coupes. Ses seins reposaient en liberté dans sa robe de soie en forme de sac ; leurs mamelons se dressaient sous la soie qui les couvrait…
         – Une bouteille rarissime, dit Raïssa en versant le vin, un muscat de 83. Mon mari me tuera, quand il le saura… […] Je suis ivre, mon cher… Que faisons-nous aujourd'hui ?
         – Aujourd'hui, c'est L'Aveu
         – Donc, L'Aveu. Le soleil est le héros de ce récit, le soleil de France… Des gouttes de soleil en fusion, en tombant sur la rousse Céleste, s'étaient changées en taches de son. Les rayons verticaux du soleil, le vin et le cidre de pommes avaient poli la trogne du cocher Polyte. Deux fois par semaine, Céleste allait à la ville vendre de la crème, des oeufs et de la volaille. Pour le transport, elle donnait à Polyte dix sous pour elle et quatre pour son panier. Et à chaque voyage, Polyte demandait à la rousse Céleste, en clignant de l'oeil : « Quand donc que nous allons rigoler un brin, ma belle ? – Qu'est-ce que vous dites, m'sieu Polyte » Tressautant sur son siège, le cocher expliqua : « Une rigolade, c'est une rigolade, pardi… une rigolade fille et garçon, pas besoin de musique… – Je n'aime pas ce genre de plaisanteries, m'sieu Polyte », répondit Céleste en éloignant du gars ses jupes qui pendaient sur de forts mollets vêtus de bas rouges. Mais ce diable de Polyte ne faisait que rire à gorge déployée, que toussoter : « Un jour nous y viendrons, à la rigolade, ma belle », et des larmes de gaieté, roulaient sur son visage rouge brique, couleur de sang et de vin.
         Je vidai encore une coupe du rarissime muscat. Raïssa choqua son verre contre le mien.
         La femme de chambre aux yeux pétrifiés traversa la pièce et disparut.
         – Ce diable de Polyte… En deux ans, Céleste lu avait payé quarante-huit francs. Cela faisait deux francs de moins que cinquante. A la fin de la deuxième année, alors qu'ils étaient seuls dans la diligence et que Polyte, qui avait bu un coup de cidre avant le départ, lui demandait suivant son habitude : « C'est pas encore pour aujourd'hui, la rigolade, mamzelle Céleste ? » Elle répondit en baissant les yeux : « Je suis à vot' disposition m'sieu Polyte… »
         Raïssa s'affala sur la table en riant aux éclats. Ce diable de Polyte
         Une rosse blanche était attelée à la diligence. La rosse blanche aux lèvres roses de vieillesse se mit à aller au pas. Le joyeux soleil de France enveloppa le coche, abrité du reste du monde par sa capote roussie. Un gars et une fille, pour eux pas besoin de musique…
         Raïssa me tendit une coupe. C'était la cinquième.
         – Mon vieux, à Maupassant…
         – C'est pas encore aujourd'hui la rigolade, ma belle…
         Je me penchai vers Raïssa et l'embrassai sur les lèvres. Elles frémirent et se gonflèrent.
         – Vous êtes drôle, grommela Raïssa entre ses dents, en reculant.
         Elle se pressa contre le mur, en écartant ses bras nus. Des taches pourpres s'allumèrent sur ses épaules et ses bras. De tous les dieux jamais mis en croix, c'était le plus séduisant.
         – Donnez-vous le peine de vous asseoir, m'sieu Polyte…
         Elle m'indiqua un fauteuil bleu oblique, de style slave. Son dossier était fait d'un lacis de bandes de bois sculptées, avec des pendeloques peintes. Je me traînai vers lui en trébuchant.
         La nuit avait placé devant ma jeunesse affamée une bouteille de muscat de 83 et vingt-neuf livres, vingt-neuf pétards bourrés de pitié, de génie, de passion… Je bondis, renversai ma chaise, heurtai l'étagère. Les vingt-neuf tomes s'écroulèrent sur le tapis, leurs pages volèrent, ils tombèrent sur leur tranche… et la rosse blanche de mon destin se mit à aller au pas.
         – Vous êtes drôle, grogna Raïssa.
         Je quittai la maison de granit de la rue Moïka entre onze heures et minuit, avant que les soeurs et le mari rentrent du théâtre. […]
         A la maison, Kazantzev dormait. […] Je me couchai sans faire de bruit pour ne pas réveiller Kazantzev, rapprochai de moi la lampe et me mis à lire le livre d'Edouard Maynial La Vie et l'Oeuvre de Guy de Maupassant. […]

         Cette nuit-là, j'appris d'Edouard Maynial que Maupassant était né en 1850 d'un gentilhomme normand et de Laure Lepoitevin, cousine germaine de Flaubert. A l'âge de vingt-cinq ans, il ressentit les premières atteintes d'une syphilis héréditaire. Sa fécondité et sa gaieté naturelles résistèrent à la maladie. Au début, il souffrait de maux de tête et de crises d'hypocondrie. Puis le spectre de la cécité se dressa devant lui. Sa vue baissait. Il prit la manie de soupçonner tout le monde, de fuir les gens et devint chicaneur. Il luttait avec fureur, sillonnait la Méditerranée sur un yacht, fuyait en Tunisie, au Maroc, en Afrique centrale… et écrivait sans relâche. Lorsqu'il eut atteint la gloire, il se trancha la gorge dans sa quarantième année, perdit tout son sang, mais resta en vie. On l'enferma dans un asile d'aliénés. Il y marchait à quatre pattes et dévorait ses propres excréments. La dernière inscription dans la triste chronique de sa maladie mentionne : « Monsieur de Maupassant va s'animaliser. » Il mourut à quarante-deux ans. Sa mère lui survécut.
         Je lus le livre jusqu'à la fin et me levai. Le brouillard s'était approché de la fenêtre, me cachant l'univers. Mon coeur se serra. Le pressentiment de la vérité m'effleura. »


    Yves BEAUCHEMIN, Charles le Téméraire, roman (2004), t. I, Un temps de chien, Monaco, Éditions du Rocher, 2005, p.552-554.
    Né en 1966 dans un quartier populaire de Montréal, Charles Thibodeau est un jeune garçon un peu perdu qui s'attache à plusieurs familles. Pour Noël, la jeune Céline cherche un cadeau à lui faire. C'est Parfait Michaud, le notaire dont la bibliothèque bien remplie émerveille Charles, qui trouve le cadeau idéal.
         « Et alors, quel livre me conseillez-vous de lui acheter, monsieur Michaud ?
         Le notaire se rejeta dans son fauteuil :
         – That is the question, comme dirait notre cher vieil Hamlet.
         Et il se mit à fixer le plafond d'un air absorbé. […]
         – J'ai trouvé ! s'écria-t-il tout à coup joyeusement. Quoique… ça risque d'être un peu cher…
         – Qu'est-ce que c'est ?
         – Les nouvelles complètes de Guy de Maupassant, chez Albin Michel. Une très belle édition en deux tomes sur papier fin, un vrai trésor. Les tomes se vendent peut-être séparément. Je me rappelle que Charles a lu La maison Tellier, un recueil paru dans le « Livre de poche », et qu'il l'avait beaucoup aimé. Veux-tu que je téléphone à une librairie ?
         Au bout de trois appels, il trouva ce qu'il cherchait. Les tomes se vendaient séparément, vingt-deux dollars chacun.
         – C'est parfait, décida Céline, j'achète le premier. Réservez-le moi, s'il vous plaît. […]
         – Si tu veux, j'irai te le chercher, ma belle. J'ai justement affaire au centre-ville demain.
         – Vous êtes sûr que ça va lui faire plaisir ? Vraiment plaisir ?
         – Je pense que oui, répondit le notaire en plissant les yeux avec un sourire satisfait. […]
         Depuis cette nuit de Noël où elle lui avait remis, toute rougissante, ce recueil de nouvelles de Maupassant qu'il avait dévorées en trois jours, un pacte silencieux avait été scellé entre eux. Confus de n'avoir aucun cadeau à lui offrir en retour, Charles avait attendu au jour de l'An pour lui présenter – presque en cachette – un joli bracelet d'argent rehaussé d'agates […]. »


    Olivier BLEYS, Le Fantôme de la tour Eiffel, roman, Paris, Gallimard, 2002, p.305.
         « Au début de 1888, le journal Le Matin faisait sensation en titrant : « La Tour s'affaisse ! » Ni plus ni moins, l'article sommait Eiffel d'interrompre les travaux. D'autres feuilles signalaient l'inclinaison dangereuse du pylône, sans s'accorder toutefois sur le sens de cette défaillance : « La Tour ploie vers la Seine ! » soutenaient les uns ; « Non, c'est vers l'avenue de Suffren qu'elle penche ! » affirmaient les autres. Personne, en revanche, ne la voyait s'infléchir du côté du Champ-de-Mars et de l'Ecole militaire – sans doute parce que personne n'habitait là.
         Ces attaques verbales se doublaient, chez les artistes encore, de démonstrations variées d'hostilité : Verlaine passager d'un fiacre lui commandait un détour pour ne pas rencontrer l'odieux pylône de métal ; Maupassant avait accoutumé de dîner dans un restaurant du premier étage – non pour jouir du point de vue, mais parce que c'était le seul endroit à Paris d'où l'on n'aperçût pas la Tour… »
         Qu'on malmenât ainsi son oeuvre irritait Gustave Eiffel, mais au fond ne lui déplaisait pas. »


    Léon BLOY, Le Désespéré (1886), IVe partie « L'Epreuve diabolique », LVIII.
    Portrait de Gilles de Vaudoré, poète romancier.
           « Pour ce qui est de Vaudoré, c'est le plus heureux des hommes. Tout ce que la médiocrité de l'esprit, la parfaite absence du cœur et l'absolu scepticisme, peuvent donner de félicité à un mortel lui fut octroyé.
           On l'appelle, volontiers, l'un des maîtres du roman contemporain, par opposition à Ohnet, toujours envisagé comme un point extrême des plus dégradantes comparaisons. Toutefois, il serait assez difficile de préciser la différence de leurs niveaux. Leur public est autre, sans doute. Mais ils disent les mêmes choses, dans la même langue, et sont équitablement payés d'un succès égal.
           Seulement, Vaudoré l'emporte infiniment par les supériorités inaccessibles de son impudeur. Ce médiocre devina, du premier coup, son destin. Sans tâtonner une minute, il choisit la bâtardise et l'étalonnat. Telles sont les deux clefs par lesquelles il est entré dans son paradis actuel.
           Aimé d'un aveugle maître qui crut, sans doute, à l'aurore d'un génie naissant, non seulement il lui soutira une nouvelle fameuse écrite presque entièrement de la main du vieil artiste et qui, signée du nom Vaudoré, commença la réputation du jeune plagiaire, – mais après la mort du patron il répandit par le monde que ce défunt l'avait engendré, n'hésitant pas à déshonorer sa propre mère, que le progéniteur supposé ne connut peut-être jamais. Au moyen de ces industries, il parvint à se remplir d'un atome vivifiant de la gloire d'un des romanciers les plus puissants sur les générations nouvelles, et il hérita de tout son crédit.
           Un aussi démesuré triomphe ne suffisant pas encore à ce pédicule de grand homme, il inaugura le sport fructueux de l'étalonnat. Jusqu'à ce novateur, on s'était contenté de faire l'amour vertueusement ou paillardemment, mais dans l'obscurité convenable aux salauderies préliminaires de la putréfaction. Quand on sortait de cette ombre, comme le fit le marquis de Sade, c'était pour attenter délibérément à quelque loi d'équilibre primordial, en risquant sa vie ou sa liberté. Le bâtard volontaire ignore ce genre de grandeur, comme il ignore tous les autres. Il a simplement imaginé de forniquer, de temps en temps, après-devant experts, pour obtenir un renom d'écrivain viril et subjuguer la curiosité des femmes. Remarquablement doué, paraît-il, ce romancier ithyphallique a colligé lessuffrages des arbitres les plus rigides et les princesses russes les plus retroussées sont accourues, déferlantes et pâmées, du fond des steppes, jusqu'à ses pieds, pour lui apporter la saumure de tout l'Orient…
           Les confrères, quelque pénétrés de respect pour l'énormité du succès, le nomment entre eux, volontiers, le tringlot de la littérature. Telle est, en vérité, la physionomie précise du personnage et tel son degré de distinction. C'est un sous-officier du train et même un sous-off. Petit, trapu, teint rouge et poil châtain, il porte la moustache et la mouche et a des diamants à sa chemise. C'est le traditionnel bellâtre de garnison qui affole les caboulotières et qui ne parvient pas à se remettre de son effronté bonheur. Un désir infini d'être cru Parisien jusqu'au bout des ongles est la soif cachée de cet indécrottable provincial.
           Etonnamment dénué d'esprit et de toute compréhension de l'esprit des autres, il est impossible de rencontrer un être plus incapable d'exprimer un semblant d'idée, ou d'articuler un seul traître mot sur quoi que ce soit, en dehors de son éternelle préoccupation bordelière. La parfaite stupidité de ce jouisseur est surtout manifestée par des yeux de vache ahurie ou de chien qui pisse, à demi noyés sous la paupière supérieure et qui vous regardent avec cette impertinence idiote que ne paierait pas un million de claques.
           Ce n'est pas lui qui s'exténuera jamais pour tenter de faire un beau livre, ou pour écrire seulement une bonne page ! – Je ne tiens qu'à l'argent, dit-il, sans se gêner, parce que l'argent me permet de m'amuser. Les artistes consciencieux sont des imbéciles.
           En conséquence, il est admiré de la juiverie parisienne qui le reçoit avec honneur, ce dont il crève de jubilation. Quand il est invité chez Rothschild, le tringlot en informe, quinze jours, la terre entière. C'est, à cette école, sans aucun doute, qu'il a puisé la science des affaires. On l'a vu, à Etretat, vendant des terrains à des confrères qu'il savait gênés, pour les racheter ensuite, à vil prix.
           Sa vanité, d'ailleurs, est à son image. Son hôtel de l'avenue de Villiers est d'une esthétique mobilière de dentiste suédois ou de concierge d'hippodrome. Que penser, par exemple, de portières de soie bleu-ciel, rehaussées de broderies d'or orientales, d'un divan de même style, d'un traîneau hollandais en bois sculpté, faisant office de chaise longue et capitonné de bleu clair, enfin, d'une immense peau d'ours blanc sur des tapis de Caramanie, probablement achetés au Louvre ?
           – C'est l'appartement d'un souteneur Caraïbe, disait un observateur exact. On aime croire que c'est en ce lieu qu'il a écrit cette autobiographie d'un cynisme si inconscient, que Falstaff n'aurait pas osé signer, – où il s'offre en exemple à tous les maquereaux inexpérimentés qui pourraient avoir besoin de lisières. »


    Paul BONNETAIN, L'Opium, Paris, Charpentier, 1886, IV, Chapitre 20.
    « Entre deux pipes, je feuilletais un volume : « Des vers », de Guy de Maupassant. »


    Alphonse BOUDARD
    -
    Chère visiteuse, roman, Monaco, Éditions du Rocher, 1999, p.77.
    Dans les années 50, Hortense de Wilfried, grande aristocrate, décide de devenir visiteuse de prison afin de renoncer à sa vie facile et futile. Elle tombe amoureuse de Gilles Dastel, braqueur de banques.
         « Que pouvait-il lui conseiller l'abbé… de réciter son chapelet plusieurs fois de suite ? On n'était déjà plus au temps où les pécheresses se flagellaient, portaient le cilice mortificateur. Elle pensait à ça en se passant le gant de crin pour le raffermissement de ses cuisses. Et sa pensée s'est envolée vers lui, elle pouvait pas s'en empêcher. Que faisait-il dans sa cellule ? Il lisait, lui avait-il dit, et dans ce domaine il était déjà goûteux de bonne littérature… Dumas, Balzac, Maupassant. Elle s'était promis de lui faire découvrir Stendhal… »

    - Les Trois Mamans du petit Jésus, roman, Paris, Grasset, 2000, p.21 et p.66.
    Par une nuit de Noël de 1895, un nouveau-né est abandonné dans une corbeille à la porte de La Cigale d'or, célèbre maison close de la rue Brantôme. Les pensionnaires recueillent l'enfant et le prénomment Jésus, puis Noël.
         « La Cigale d'or, c'était pas une maison de premier plan comme alors Le Chabanais qui ne recevait au propre comme au figuré que les membres du Jockey-Club. Dans la bonne moyenne… de la cuisse pour petits-bourgeois, commerçants du voisinage, bureaucrates, courtiers en ceci cela… de la roture à l'aise. Ça roulait pas sur la joncaille au début de cette République troisième du nom. Certains clients se privaient de dessert, de cigarettes, de sorties en famille pour aller à La Cigale d'or se faire éponger, fouetter, embrocher au gode… j'en passe et des plus féroces. Reçus dans les amabilités… le petit salon… toujours trois ou quatre personnes qui venaient proposer leurs appas. Marie, Claudine, Gertrude, Amélie… le choix. Rien de très original. Tout ça fut rapporté, maintes et maintes… Maupassant, Goncourt, Elisa et les gravures et les chefs-d'oeuvre de Lautrec, n'en déplaise au déplaisant Figaro littéraire. »

         « Troisième maman, Lucie s'était éloignée en acceptant une placarde à Yvetot en Normandie… un petit claque champêtre, genre maison Tellier, fréquenté par des propriétaires terriens, des maquignons, des péquenots riches et cupides… des rougeauds, des boit-sans-soif. Pas très raffinés question licence… des hommes qui se comportent avec les femmes comme avec leurs bestiaux. Tout dire ! »


    Françoise BOURDIN, Le Testament d'Ariane, Paris, Belfond, 2011, p.57 et 156.
    Ariane Nogaro, veuve et sans enfants, lègue tous ses biens à sa nièce Anne. La jeune femme découvre bientôt la bastide des Landes dont elle est désormais propriétaire.
         « Sur l'une des tables de chevet, près d'une lampe à l'abat-jour flambant neuf, se trouvait un livre à la reliure de cuir. Anne s'approcha et vit qu'il s'agissait des Contes de la peur et de l'angoisse de Maupassant. Elle esquissa un sourire, amusée par les idées loufoques d'Ariane. Ce livre lui était-il destiné, ainsi que la chambre, comme un ultime clin d'oeil de sa tante d'au-delà de la tombe ? »
         « Anne reposa le cahier sur la table de nuit, à côté des Contes de l'angoisse de Maupassant qu'elle n'avait toujours pas lus. Autour d'elle, la maison était silencieuse, son frère, son fils et son copain Charles devaient dormir. À Castets, Paul dormait-il lui aussi ?
         Elle se leva et alla ouvrir une des fenêtres, celle qui donnait sur l'arrière de la maison, là où les arbres étaient plus proches. Une chouette poussait son cri à intervalles réguliers, avec une sorte d'entêtement sinistre. La nuit paraissait très sombre, sans aucune étoile visible, et les hautes silhouettes des premiers pins se distinguaient à peine. Anne essaya d'imaginer Ariane arpentant la forêt, s'approchant peut-être des anciennes terres des Nogaro et continuant à soupirer après sa bastide perdue, hors de portée. Quand avait-elle rédigé ce cahier ? Il ne portait aucune date mais sans doute avait-elle commencé à l'écrire lorsqu'elle était revenue chez elle. »


    Paul BOURGET
    - Une idylle tragique : mœurs cosmopolites, Paris, Alphonse Lemerre, 1896, chapitre 9, p.340-342.
    Ce roman comporte le portrait d'un écrivain qui ressemble à Maupassant comme un frère… Lors d'une fête à Monte-Carlo, en effet, apparaît un auteur normand.
    « Chaque variété de l'espèce était représentée : le sportsman le plus célèbre par son adresse au tir aux pigeons coudoyait un explorateur venu en Provence pour se reposer de cinq années passées « dans les ténèbres de l'Afrique », et tous deux causaient avec un romancier Parisien du plus beau talent, un hercule Normand à visage de faune, la lèvre heu­reuse, les yeux railleurs, qui devait, quelques hivers plus tard, dans cette même ville, assister vivant à une mort pire que la mort, à l'irréparable naufrage de sa magnifique intelligence. […] Au romancier Parisien, il [l'archiduc Henri-François] venait de réciter une strophe de son premier volume, un recueil de vers trop oublié ».

    - « Le Nègre » (janvier 1905), « Le Coeur et le métier », dans Les Deux Soeurs, Paris, Plon, 1905, p.241-242.
    À propos de la pièce La Belle-Fille de Jacques Tournade :
    « La pièce méritait de produire, sinon ce grand effet, au moins une certaine impression. Comme elle remonte à plus de dix années et que les triomphes des premières, voire ceux des centièmes, tombent à Paris dans un profond oubli, dès la saison suivante, il ne sera pas inutile d'en rappeler la donnée : une belle-fille haïe par sa belle-mère et apprenant sur elle un terrible secret. Cette belle-mère a eu autrefois une liaison avec le meilleur ami de son mari. Cet ami est le père du fils. La belle-fille est tentée de se venger en dénonçant sa persécutrice. Elle découvre alors que son pseudo-beau-père a tout su et qu'il n'a rien dit, à cause de cet enfant qui n'était pas le sien, mais qu'il adorait, et la belle-fille se tait aussi pour ne pas toucher aux rapports de son mari et de celui qu'il croit son père. Il y avait, dans cette comédie, un peu de cette forte saveur bourgeoise qui se retrouve dans Pierre et Jean, le chef-d'oeuvre peut-être de Maupassant. Si les critiques dramatiques qui bavardaient durant l'entr'acte eussent eu cette réflexion que personne n'a le temps d'avoir dans ce hâtif métier, ils se fussent posés cette énigme : comment et où Tournade, un amateur littéraire de vingt-six ans, grandi dans l'atmosphère si intensément frelatée où évoluait sa famille, avait-il pu s'imprégner des moeurs les plus contraires à celles des grands industriels qui font du chic à Paris ? »


    Gyles BRANDRETH, Oscar Wilde et le meurtre aux chandelles, Paris, 10/18, Grands détectives, 2008, p.338.
    Oscar Wilde s'apprête à écrire Le Portrait de Dorian Gray quand il découvre le corps d'un jeune garçon. Il tente de faire la lumière sur le meurtre rituel de Billy Wood. Il y est question de Robert Sherard, ami de Wilde, qui rencontra Maupassant.
    « Quoique, en vérité, [je ne lui obéis] pas tout à fait… Veronica et moi ne parlâmes pas de Millais et de Maupassant, mais de l'amour et des poèmes qu'il inspire. Je citais Baudelaire et Byron. Elle évoquait Wordsworth (pour me flatter), John Keats et Mrs. Browning. »


    Dan BROWN, Anges et démons [Angels and demons], roman traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Daniel Roche, Paris, Jean-Claude Lattès, 2005, 571 p.
    A propos du Jugement dernier, fresque de Michel-Ange à la Chapelle Sixtine.
    « Guy de Maupassant avait écrit dans un récit que cette fresque semblait la décoration d'une baraque foraine peinte par un charbonnier ignorant. »
    Allusion au jugement dépréciatif de Maupassant devant le chef-d'oeuvre de la Sixtine Il giudizio universale.


    Michel CAFFIER, La Mémoire du perroquet, roman, Paris, Grasset, 1993, p.221-223.
    Une histoire de famille dans laquelle un vieux professeur en sait davantage que le perroquet de la tante de 90 ans et, en plus, connaît Flaubert.
         La pièce aménagée dans un ancien grenier ressemble à une bibliothèque privée. D'un côté, un mur d'étagères lourdes de livres, bien rangés. Dans le fond, derrière deux fauteuils et une table basse, des gravures, des portraits d'écrivains. Bertrand reconnaît Hugo, Sainte-Beuve, Edmond de Goncourt. Sous la fenêtre, vers l'arrière de la maison, un lit. Entre deux portes un flipper est perché sur ses pattes fines […].
         – Waterzoï quand même, crie le Vieux Prof en passant la dernière marche de l'escalier. Nous sommes deux amateurs de littérature à apprécier le court-bouillon de poisson. Ceci me rappelle cela : André Glucksmann, bavard, certes, mais intelligent, lucide et courageux, choisit jadis pour sujet de son agrégation le thème de la guerre, omniprésent depuis dans ses écrits et son discours. Il proposa le sujet à Raymond Aron qui lui dit : « Alors nous serons désormais deux en France à connaître Clausewitz. » Bertrand, vous et moi, nous partageons la lotte, le poireau coupé et la carotte hachée.
         – Il est temps que je m'y mette, dit Georgina.
         – Ce logement perché vous convient-il ?
         – Monsieur ! je vivrais là très volontiers. Ne serait-ce que pour le flipper.
         – Je ne vous le fais pas dire. Vous avez ici la Comédie humaine, Dumas en Bouquins, les théâtres d'Anouilh, Giraudoux, Maupassant, Hugo. Et vous me dites quoi ? Gorgar ! Écoutez… »


    Renaud CAMUS, Vie du chien Horla, Paris, P.O.L., 2003, p.33-34.
    Le narrateur décrit la vie du labrador noir nommé Horla.
         « Cependant c'était l'année des H, on s'en est sans doute avisé. Le maître avait toujours aimé les trois nouvelles de Maupassant qui dans leur titre ont le nom Horla. À vrai dire, c'est le nom lui-même qui lui plaisait surtout. Deux fois il désigne un être surnaturel, un succube d'une espèce ou d'une autre, qui vide l'eau des carafes de la table de chevet, la nuit, et voyage sur un grand voilier, à l'instar de Nosferatu. La troisième fois c'est un aérostat. Dans un cas comme dans l'autre, le Horla est assez inquiétant. Un Horla qui ne ferait pas peur, on l'imagine assez mal. Et malgré le goût qu'il avait pour les deux syllabes de ce mot le maître n'eût jamais imaginé d'appeler Horla son chien blond. Mais un chien noir de la tête aux pieds ?
         Ce chien noir-là était tout de même trop aimable. Que serait un Horla qui lècherait toutes les mains ?
         Par chance il y avait des bois, ce fut dit, non loin du pigeonnier. Le dernier arrivé de la petite meute les pratiquait assidûment. Il aimait à s'y cacher. Toutefois il voulait aussi qu'on le retrouvât. Aussi s'asseyait-il en leur sein, mais pas très loin du bord. De là il regardait les champs, attendant qu'on vienne le chercher. C'était une sorte de jeu. Son pelage noir, lorsque la nuit montait de la terre, se confondait avec l'obscurité, qui peu à peu gagnait les taillis. Bientôt il n'avait plus de corps. Et lorsqu'on s'approchait de la lisière de la petite forêt, on voyait seulement deux yeux fixes, très lumineux, dorés, suspendus dans le vide, et qui brillaient entre les branches.
         C'était une vision effrayante, ces deux yeux sans corps dans les bois. Et lui semblait prendre plaisir à l'offrir, puisque d'aller s'asseoir là-bas était devenu de sa part une habitude, que ne partageaient pas les autres chiens. Donc il pouvait bel et bien faire peur. Ainsi furent levées les dernières hésitations. Excès de gentillesse ou pas, il allait être le Horla. »


    Frédéric CASTAING, Rouge cendres, Paris, Ramsay, 2005, p.84-85.
    Lors de la foire du livre ancien de New York, un libraire parisien spécialisé dans les autographes est sollicité par une milliardaire américaine pour constituer un monopole de la mémoire écrite. Il s'agit de rafler en France un maximum de manuscrits originaux sur le marché de l'art comme dans les bibliothèques publiques. Un polar étonnant…
         « Une semaine après, ils avaient mis en vente Le Horla, de Maupassant. Le manuscrit original. Le Horla, vous en avez tous entendu parler au moins une fois, au lycée. On avait déjà envoyé à New York les manuscrits de Bel-Ami, de Une vie et de Boule de Suif. Il nous fallait Le Horla.
         Seulement, les professeurs, les conservateurs, tous les coupeurs de cheveux en quatre s'étaient déchaînés. Et que Le Horla, c'était un trésor national. Et que si l'État laissait partir Le Horla après Boule de Suif et Bel-Ami, c'est toute la recherche sur Maupassant qu'allait s'exiler aux États-Unis.
         Ils faisaient circuler une pétition. On s'était partagé le travail.
         Joe avait le nom de tous ces intellectuels. Il les suivait dans la rue et il les bousculait en s'excusant. Une fois, deux fois, le matin, le soir, dans le métro, avant de traverser dans les clous. Il choisissait les plus âgés et il les terrorisait. Quelques-uns avaient retiré leur signature.
         Jonathan, lui, il avait pris tout le monde à contre-pied. Il faisait dire partout… Marre de Paris et du parisianisme ! Maupassant, c'est la Normandie ! Maupassant, c'est Rouen ! Il faut décentraliser la culture, redonner à nos belles régions ce qui leur revient ! Rendez Maupassant à la Normandie !
         Nos amis en avaient remis une louche sur la décentralisation et le monde moderne. Bref, Rouen devait acheter et tout le monde s'était calmé. Seulement la belle région, on savait tout ça dans le détail, elle avait d'autres priorités, des ronds-points, des échangeurs…
         Et le jour de la vente, qui avait acheté le Maupassant, dans l'indifférence générale ? C'est facile ! Réfléchissez… Augustin évidemment ! Augustin, notre homme de paille ! Et pour une bouchée de pain Le Horla ! Quelle fête on avait fait, ce soir-là. »


    Jean CONTRUCCI, Les Nouveaux Mystères de Marseille. Le Vampire de la rue des pistoles, roman, Paris, Jean-Claude Lattès, 2009, p.377-378.
    En avril 1907, à Marseille, dans le vieux quartier du panier, Raoul Signoret, reporter au Petit Provençal, mène l'enquête sur un fait divers sanglant.
         « Le quai de la Tourette était l'un des endroits parmi les plus ventés de Marseille. Pris en étau entre les murailles du Fort Saint-Jean et la butte Saint-Laurent qui lui faisait face, bordée par le canal reliant le Vieux-Port à la Joliette, il formait un couloir où le vent maître s'engouffrait pour redoubler de force et de violence. On y avait vu des piétons jetés à terre sous la rafale et des voitures à chevaux renversées avec leur chargement dans les eaux du canal par un coup de boutoir inattendu. Au débouché de ce corridor, la résille de poutres et de câbles d'acier qui haubanaient la silhouette dégingandée du pont à transbordeur aux quais du Lacydon jouait de la harpe sur tous les tons, de toutes ses poutrelles, entretoises et grillages. Le vent sifflait, miaulait, crachait sa colère tel un chat enragé comme s'il voulait jeter à bas l'immense araignée de fer dressée sur ses pattes grêles à quatre-vingt-cinq mètres au-dessus des eaux du Vieux-Port. La présence iconoclaste – si près des pierres roses de la tour du Roi René – de ce symbole de la modernité et de l'acier triomphant – offert par l'ingénieur Ferdinand Arnodin à la Ville de Marseille en échange d'une concession exclusive fixée à soixante-quinze ans – avait profondément divisé l'opinion marseillaise, dont une partie avait choisi « la beauté contre le vandalisme des ingénieurs », comme naguère la tour de M. Eiffel avait provoqué la colère de Maupassant, Verlaine et Huysmans3. »

    Note du romancier
    3. Maupassant la qualifie de « squelette disgracieux » et Verlaine de « squelette de beffroi ». Pour Huysmans c'est un « suppositoire criblé de trous ». Toutes épithètes qui auraient pu être appliquées au transbordeur marseillais.


    Quentin DEBRAY, L'Impatiente de Freud, Paris, Albin Michel, 2002, p.161.
    Ce roman évoque l'un des épisodes fondamentaux de la vie de Sigmund Freud, venu à Paris en 1886 assister aux cours de Charcot à la Salpêtrière. Breuer discute avec lui de cette notion d'inconscient qui sera au coeur des théories psychanalytiques.
    « Avec ce que vous appelez l'inconscient, ou plus exactement la prise de conscience de ce que la liberté de notre temps permet de laisser filtrer de nos pulsions premières, vous avez là un beau sujet. D'autres avant vous en ont parlé, je pense à ce médecin russe, Tchékhov, à Tolstoï, à Maupassant. Ces gens qui apprécient les petites formes ont compris depuis longtemps que la conscience n'est pas une entité claire. Verlaine et Rimbaud comme les impressionnistes ont cultivé les états seconds. L'intrigue se dissout et se banalise, le quotidien prend la place de l'épopée. »


    Maurice DENUZIÈRE
    - Le Cornac, roman, Paris, Fayard, 2000, p.236-237.
    Cyril Loubin fait plusieurs petits métiers. Il devient assistant d'un maître-plombier. Il va déboucher une canalisation chez une jeune femme.
         « – Quand on n'a pas de mari pour bricoler et cinq enfants, donc beaucoup de linge à laver, et que la machine refoule au lieu d'évacuer, c'est la poisse ! soupira la jeune mère de famille ; en plein désarroi.
         Plus que jolie, encore enveloppée à cette heure matinale d'un simple kimono japonais, elle ne manquait ni de charme ni de sex-appeal.
         – Vous en faites pas, ma petite dame ? Le plombier peut remplacer le mari… au moins pour le bricolage. On va vous arranger ça, dit l'artisan.
         Athlète genre Bel-Ami, moustache conquérante, œil de velours, nature aussi charmeuse que virile, l'homme avait tout de suite éveillé la sympathie du désoccupé. »


    - Amélie ou la concordance des temps, roman, Paris, Fayard, 2001, p.72-73.
    Après un accident de la circulation, Louis Campelle, professeur d'histoire, se retrouve transporté au XIXe siècle, époque dont il est spécialiste. Il se réveille à l'hôpital Beaujon, où son cas est une énigme pour le professeur Mathias. Il est bientôt hébergé par le banquier Henri Pérussel.
         « Henri Pérussel, lui, pensait avoir affaire à un déséquilibré latent qui, heurté par sa berline aux Champs-Elysées, se prenait maintenant pour un visiteur venu de l'avenir. Et comme cet homme semblait être un érudit, voire un savant, il devait posséder matière à construire un monde futur, imaginaire mais plausible. Bien qu'il ne parût pas dangereux, il conviendrait tout de même de ne pas le perdre de vue, surtout de ne pas le laisser seul avec Amélie. Un aliéniste fournirait peut-être une explication, peut-être même un remède à ce bizarre dérèglement du cerveau. S'étant arrêté à cette idée, le banquier rompit le silence.
         - Je connais un médecin, le docteur Blanche, qui soigne les cas de… heu… heu… dérèglements accidentels de l'esprit.
         - Je le connais aussi, vous pensez, c'est le plus célèbre aliéniste du XIXe siècle. Sylvestre Esprit Blanche, qui possédait une maison pour aliénés à Montmartre, jusqu'à ce qu'il aille s'installer, en 1846, à l'hôtel de Lamballe, à Passy, 17, rue Berton, autrefois rue de Seine, pour être précis. Ce bon docteur Blanche et ses douteux assistants ont tenté de sauver de la folie des tas de cerveaux, celui du pauvre Maupassant notamment, qui disait, à la fin de sa vie, « le Christ a couché avec ma mère, je suis donc le petit-fils de Dieu ! », ce qui ne le retenait pas d'aboyer comme un chien. Mais il est vrai que, pour vous, Pérussel de 1851, Guy de Maupassant, Bel-Ami, écrivain fameux, grand consommateur de femmes, n'a encore qu'un an ! Et personne, sauf moi, apparemment, ne sait ce que deviendra cet enfant, né l'an dernier dans un château du pays de Caux. »


    - L'Alsacienne, roman, Paris, Fayard, 2009, p.388-389.
    Mai 1875. Tristan Dionys et Maximilien Leroy rencontrent Cléa, jeune Alsacienne.
         « Quelques semaines plus tard, le 14 février, Le Temps, dont le directeur, le sénateur Adrien Hébard, était un ami de Gustave Eiffel, publia, sous le titre « les Artistes contre la tour Eiffel », un véritable réquisitoire.
         C'est avec jubilation que Maximilien Leroy lut à Tristan, qui, comme Goethe, trouvait la lecture de la presse quotidienne dérangeante voire stérilisante pour un créateur, cette diatribe outrecuidante.
         - Écoutez ça, dit-il en déployant le journal considéré comme le plus sérieux. « Nous venons, écrivains, peintres, sculpteurs, architectes, amateurs passionnés de la beauté jusqu'ici intacte de Paris, protester de toutes nos forces, de toute notre indignation au nom du goût français méconnu, au nom de l'art et de l'histoire français menacés, contre l'érection, en plein cœur de notre capitale, de l'inutile et monstrueuse tour Eiffel », déclama Max.
         - Qu'est-ce que le goût français méconnu ? demanda Tristan, amusé.
         - Celui de ces messieurs, pardi ! Ils prononcent d'ailleurs une condamnation sans appel ainsi rédigée : « Nous refusons de voir la Ville de Paris associée plus longtemps aux baroques, aux mercantiles imaginations d'un constructeur de machines, pour s'enlaidir irréparablement et se déshonorer », acheva Leroy.
         - Et qui sont ces procureurs ?
         - L'article est suivi de quarante-sept signatures, dont vingt-six membres de l'Institut, précisa Max.
         - Mais encore ?
         - L'architecte de l'Opéra, Charles Garnier, le compositeur Charles Gounod, des écrivains, comme Guy de Maupassant et Alexandre Dumas, des peintres, Meissonnier, Bouguereau, Gérôme, des poètes, tels François Coppée, Leconte de Lisle, Sully Prudhomme et d'autres, moins connus du grand public. »


    Michel DÉON, Madame Rose, Paris, Albin Michel, 1998, p.80.
           « Dans l'après-midi, Lucie lui lut Le Horla. Aux premiers mots datés du mois de mai : "… on dirait que l'air, l'air invisible est plein d'inconnaissables puissances dont nous subissons le voisinage mystérieux…", Madame Rose joignit les mains comme pour une prière.
           – Ma petite, personne, sauf Nerval qui le poétisait, n'a parlé du délire comme Maupassant. Il a vu venir de loin ses cauchemars et ses rêves chevauchant un dragon. J'imagine qu'à la dernière heure, après nous avoir infligé tant de tourments, le dragon salive de plaisir. Il nous tend les bras, le monstre, l'hypocrite. Les innocents tombent dans le piège… Continuez… »


    Alfred DÖBLIN, Berlin Alexanderplatz (1929), trad. de Zohra Motchane, Paris, Gallimard, Folio ; 1239, 1990, p.117-118.
    Ce roman raconte les mésaventures de Franz Biberkopf, criminel et souteneur, dans le Berlin des années 1925-1930.
           « Un ciel clair et constellé rayonnait au-dessus des sombres demeures humaines. Le château de Kerkauen dormait dans le calme de la nuit. Mais une charmante tête blonde, en quête de sommeil, labourait en vain l'oreiller. Demain, demain déjà, son chéri bien-aimé doit la quitter. Un murmure parcourait (traversait) la nuit profonde et opaque (noire) : Gisa, reste, reste (ne t'en va pas, ne te sauve pas, ne tombe pas, veuillez vous asseoir). Ne me quitte pas. Mais le silence désolé n'avait ni oreille, ni coeur (ni pied, ni nez). Et en face, séparée par peu de cloison, gisait, les yeux ouverts, une femme pâle et mince. Sa sombre et luxuriante chevelure ondoyait sur la soie du lit (le château de Kerkauen était réputé pour ses lits de soie). Frissonnante, elle tremblait. Ses tempes claquaient, comme par les grands froids, un point. Mais elle ne bougea, virgule, ramena la couverture sur elle, un point. Immobiles et glacées ses mains fines (comme par les grands froids, frissons, femme mince, les yeux ouverts, lits de soie réputés) s'en détachaient, un point. Ses yeux luisants allaient, venaient, erraient dans le noir, et ses lèvres tremblaient, deux points, guillemets. Laure, un tiret, Laure, un tiret, guillemets, musée Guimet, Guy de Maupassant. »


    Françoise DORIN, La Mouflette, roman, Paris, Flammarion, 1994, p.127-128.
    Ophélie vit avec sa grand-mère et le compagnon de celle-ci.
           « Sur sa mère qu’elle a surprise en flagrant délit d’indifférence, plongée dans ses sacro-saints mots croisés devant la dépouille de son mari, elle dit : –– Elle aurait beaucoup plu à Maupassant. »


    Jean-Louis DUBUT DE LAFOREST
    - Poème
    (1893).

                                     I

    Le plus grand parmi nous, dans la toute-puissance
                    Du Verbe, et l'éclat des valeurs
    l'allume, le fait resplendir et l'encense.
                    Un bouquet aux mille couleurs !

                                     II

    C'est Guy de Maupassant, sa verve généreuse,
                    Semant des rires et des lois ;
    C'est le flambeau sacré de la raison joyeuse,
                    C'est l'honneur de l'esprit gaulois !

                                     III

    Or, le flambeau s'éteint, sous une ombre ennemie.
                    On voit défaillir sa raison :
    Elle n'était pas morte elle était endormie
                    Dans le merveilleux horizon !

                                     IV

    Il sort vainqueur de l'ombre arrêtant sa carrière,
                    Ô deuil ! Ô sinistre pêché !
    Mais salut à la mort qui met de la lumière
                    Autour du front qu'elle a touché !


    - « La Maison des vierges et repenties » dans Le Cocu imaginaire, Paris, Dentu, 1895, p.95-96.
    Dans cette nouvelle, Gustave Monistrol décrit à ses amis le couvent des Bernardines, où se réfugient les prostituées repenties.
           « Un matin, deux femmes échappées d'une maison de tolérance vinrent frapper à la porte de l'abbé Cestac. Que faire de ces fugitives ? Où les mettre et comment les nourrir ? Déjà, Cestac avait reçu de semblables visites et dirigé les errantes vers les refuges de Montpellier, de Montauban et de Toulouse. Ces établissements débordaient. Alors, le prêtre eut l'idée de cacher les dames en son grenier, le grenier des orphelines.
           Il y a quelque chose de pareil dans l'un des chefs-d'œuvre de mon pauvre et illustre ami Guy de Maupassant, mais c'est une fille qui s'est vengée d'une officier prussien, et que le curé loge, non pas au grenier… mais près des cloches.
           Bientôt, à ces orphelines et à ses prostituées se joignirent d'autres malheureuses. Le prêtre les mena sur le rivage : elles édifièrent des cabanes de paille et elles y vécurent, labourant des plaines incultes et désertées par l'homme. »


    Benoît DUTEURTRE, Les pieds dans l'eau, roman, Paris, Gallimard, 2008, p.75-76, 80-81, 219-220.
    Dans ce roman familial, Benoît Duteurtre, descendant du Président de la République René Coty, décrit Étretat.
           « Avec Maupassant, Monet, Offenbach, Maurice Leblanc, Étretat tenait le haut du pavé. Et elle avait encore marqué quelques points dans les années cinquante, au temps des séjours du président Coty. » (p.75-76)
           « Neveu d'Eugène Le Poittevin - le peintre qui avait lancé la station -, Guy de Maupassant passa lui-même toute son enfance dans une maison achetée par sa mère à côté de l'église. Des années plus tard, employé au ministère de la Marine, il retournait aussi souvent que possible arpenter la plage, si proche de celle d'aujourd'hui : « Les propriétaires descendent à la mer invariablement tous les matins (le ciel le permettant) vers dix heures. Autour des dames et à leurs pieds, les hommes que n'absorbe pas le Casino s'assoient et se couchent sur le galet, lorsque leur âge le leur permet, et les conversations s'engagent et se poursuivent jusqu'à onze heures et demie. À quatre heures de l'après-midi, on redescend à la plage. Même tableau que le matin. »
           Devenu célèbre, il acheta un terrain sur la route de Criquetot qui s'enfonce à travers champs et fit construire « La Guillette », une bâtisse de couleurs vives avec son crépi jaune, son toit rouge, ses potiches et ses vitraux. Il y donna plusieurs fêtes mémorables, à l'abri d'une enceinte suffisamment haute pour exciter l'imagination des voisins - toujours prompts en ragots sur ses mœurs dépravées.
           Aujourd'hui, le même portail, surplombé de deux dragons en céramique, sert à protéger le jardin des indiscrétions touristiques. La gentillesse de la propriétaire m'a permis d'y séjourner, dans une chambre du premier étage dont la vue plonge sur la « caloge » de l'écrivain, toujours plantée au milieu du jardin : une barque aménagée en appartement pour son valet de chambre. À la nuit tombée, j'éprouvais un plaisir d'esthète à l'idée que j'étais en train d'écrire chez Maupassant… Celui-ci s'éloigna pourtant d'Étretat dont il ne supportait plus le climat trop frais, pour s'en aller vers le sud, à Antibes et jusqu'à Palerme. » (p.80-81)
           « Je n'appartenais vraiment à aucun de ces mondes, mais leur enchevêtrement me ravissait. Et, quand le soleil tombait, il me restait encore à confronter ce jeu social aux sensations intemporelles. Je retournais alors sur les falaises, cent mètres au-dessus de l'eau, longeant cette roche crayeuse qui plonge dans les flots, comme le décrivait Maupassant un siècle plus tôt : « J'avais marché depuis le matin sur ce gazon ras, fin et souple comme un tapis, qui pousse au bord de l'abîme sous le vent salé du large. Et, chantant à plein gosier, allant à grands pas, regardant tantôt la fuite lente et arrondie d'une mouette promenant sur le ciel bleu la courbe blanche de ses ailes, tantôt sur la mer verte, la voile brune d'une barque de pêche, j'avais passé un jour heureux d'insouciance et de liberté. » » (p.220)


    Pierre GAULON, La Mort en rouge, thriller, Grainville, City Éditions, 2013, extrait du chapitre 17. Édition numérique. http://www.city-editions.com/
    Présentation de l'éditeur : « Des coups frappés à la porte, comme autant d'appels au secours. À travers le judas, Clément Danver a juste le temps d'apercevoir un homme se jeter du haut de cinq étages. Selon toute vraisemblance, l'homme s'est suicidé. Sauf que… Clément a cru voir, un instant, une autre silhouette. Une femme spectrale à la chevelure maculée de sang. Sans doute a-t-il rêvé… Mais le policier envoyé sur les lieux a lui aussi des doutes sur le suicide. D'autant que la mystérieuse « fille aux cheveux rouges » semble bien réelle. Elle laisse même des cadavres partout où elle passe… De sombres secrets enfouis depuis la Seconde guerre mondiale ne tardent pas à ressurgir. Pour certains, la vengeance est vraiment un plat qui se mange froid. »
           « Lou le regarda un instant en silence. Elle aimait le caractère candide du jeune homme. Elle avait l'impression de se revoir quelques années plus tôt, avant que les horreurs du métier ne s'abattent sur elle.
           Elle soupira. Comment lui faire comprendre la véritable nature humaine ? Elle tourna la tête et aperçut la bibliothèque de Clément. Une idée lui traversa soudain l'esprit.
           – Maupassant avait des troubles psychiatriques, n'est-ce pas ?
           Clément hocha la tête, surpris du brusque changement de sujet. Lou répéta sa question, et le garçon acquiesça sans comprendre.
           – N'a-t-il pas écrit une partie de ses contes fantastiques en tirant expérience de ses hallucinations ?
           – Si, mais je ne vois pas en quoi…
           Lou s'était levée et fouillait dans les livres de la petite bibliothèque. Elle en tira un ouvrage qu'elle commença à feuilleter.
           –Peux-tu me dire, dans ce cas, s'il a réellement inventé Le Horla, La Nuit, La Chevelure ? Non, bien sûr, car, étant lui-même atteint de troubles de démence à cause de sa maladie, il avait déjà vécu tous ces contes fantastiques. Il ne lui restait plus qu'à les transcrire. Vois-tu, Clément, parfois, la frontière est mince entre le rêve et la réalité, entre l'illusion et le palpable. »


    Franz-Olivier GIESBERT, La Cuisinière d'Himmler, roman, Paris, Gallimard, 2013, p.167.
    Épopée drolatique de Rose, cuisinière truculente, d'origine arménienne, ce récit décrit les horreurs du nazisme.
           « J'y succombai au demeurant un soir que Gabriel était resté à l'appartement pour garder les enfants. C'était l'un des grands patrons des magasins Félix Potin. Un fort gaillard aux épaules de bûcheron qui sentait le cigare et l'eau de Cologne, le genre de type qui était fait pour jouer le rôle de Maupassant au cinéma. »


    Patrick GRAINVILLE, Falaise des fous, roman, Paris, Le Seuil, Cadre rouge, 2018, 654 p.
    « Courbet était un fanatique de la natation comme l’athlétique Maupassant qui, lui aussi, avait sauvé de la noyade un imprudent, une année plus tôt. L’histoire avait fait le tour d’Étretat. En fait, Maupassant avait concouru avec plusieurs marins d’Yport au sauvetage d’un poète anglais, un certain visionnaire, Charles Algernon Swinburne, égaré par les courants sous les ailes alchimiques de l’arche d’Aval. J’avais vu ce Swinburne se promener sur les galets en compagnie de son ami Powel. Tous deux faisaient la paire. L’un, nabot rondelet, et Swinburne, fluet, doté d’une tête démesurée, grotesque. Arborant un décolleté bravache. Sa loquacité intempérante, ricaneuse, faisait jaser les pêcheurs qui s’embarquaient pour le hareng et qui, en matière de monstres, en avaient vu d’autres dans les brouillards marins et les tourbillons. On racontait que Maupassant, par gratitude, avait été invité dans le cottage de Powel et de Swinburne. La maison s’appelait la Chaumière de Dolmancé. » (p.26)

           « Je lui répondis que, selon les dires de mon oncle Armand, ces fontaines d’eau douce venaient d’un ancien cours d’eau, la rivière du Grand Val, qui traversait la ville et qui prenait source à Grainville-Ymauville, là où Maupassant avait passé une part de sa petite enfance avant de venir à Étretat avec sa mère. Une légende racontait qu’une fée blessée par le refus d’un meunier de lui offrir l’hospitalité avait escamoté la rivière en la faisant circuler sous la terre. » (p.29)

           « Un jour, je crus voir Maupassant sortir de la Chaufferette, la maison que Lepoittevin possédait derrière son atelier marin. Mais est-ce une illusion rétrospective ? Il filait à grands pas dans le vent. On racontait qu’il lui arrivait de coucher dans la caloge qui ornait le fond du jardin de Lepoittevin. Ces vieux caïques rafistolés avaient été habités, jadis, directement sur la plage par les plus pauvres. Désormais on y remisait le matériel, mais je n’ai jamais pu m’empêcher de penser qu’ils auraient pu servir à la galanterie dans des cas d’escapade nocturne d’un mari, d’un fils, d’une audacieuse acculée par le désir.
           Dans une des chroniques de Maupassant, intitulée « La vie d’un paysagiste », il sera question de la peinture de Monet et de Courbet. Maupassant évoque ce dernier peignant La Vague dans l’atelier d’Étretat : « Un gros homme graisseux et sale collait avec un couteau de cuisine des plaques de couleur […]. Et Courbet aussi parlait, lourd et gai, farceur et brutal, […] plein de bon sens paysan caché sous de grosses blagues. » Quel portrait ! Maupassant ne peut pourtant pas faire la fine bouche, car quelques années plus tard je devais le rencontrer, pour hasard, dans un lieu plus compromettant…
           Maupassant le boulimique, le plus grand amant de son siècle, et Courbet, le peintre le plus audacieux du corps féminin, ont-ils eu un échange sur le sujet ? Ni l’un ni l’autre n’étaient avares de mots. Courbet de sa voix paysanne du Dauphiné, dont il forçait exprès le ton, a-t-il fait une confidence sur ses chefs-d’œuvre secrets à l’écrivain obsédé ? Maupassant reste muet là-dessus. » (p.36-37)

           « Oui, les Vagues de Courbet à mes yeux ont annoncé la catastrophe qui allait nous tomber dessus. La guerre de juillet 1870 qui bouleversa nos vies. […] Maupassant rallia la garde mobile et Flaubert, malgré son scepticisme, prit la tête de la garde nationale de Croisset et fit défiler ses hommes. J’aurais voulu voir ça. » (p.38)

           « Pendant cette harangue, nous avons aperçu Maupassant en train d’écouter, légèrement dubitatif. Armand et moi sommes allés à la rencontre du voisin d’Étretat. Engagé comme garde mobile, il avait été versé dans l’intendance. Je n’eus guère le loisir de l’entretenir de Courbet. Il avait l’air un peu taciturne mais il se ravisa pour claironner qu’il ne doutait pas de la victoire finale. On lui demanda des nouvelles de Flaubert.
           – Il est fou de rage contre les Prussiens et contre tous les pignoufs sanglants qui ont donné tête la première dans cette déclaration de guerre. Croisset est occupé par des dizaines de Prussiens. Il est venu se réfugier ici, dans son appartement rouennais, pour le moment… Il a préféré ne pas venir écouter Gambetta ! Il dit que personne ne se battra. Il n’a pas voulu attendre la harangue mensongère ! Il a une crise… Il est à bout de nerfs, il clame qu’il va en crever !
           On voyait arriver, dans Rouen, les centaines de chars à bancs qui avaient servi à trimballer, jadis, les paysans invités à la noce d’Emma Bovary. Mais c’était moins gai. Toutefois, agrippant la ridelle, une petite vieille édentée, sous son bonnet, riait tout le temps en envoyant des baisers. Elle avait perdu ses esprits dans la débandade. Autour d’elle, les autres vieillards au regard vide ou peureux, les gosses ahuris, les baluchons débordants. Les poules ficelées s’égosillaient. Les chiens qui suivaient trottaient, vaillants, sans aboyer, une ou deux vaches bousaient. Un âne boitillait. Maupassant regardait.
           – Les pauvres bougres, les pauvres bougres… C’est noir, tout ça.
           Mais le gaillard, peut-être pour se désintoxiquer de son désespoir, désigna une jeune bourgeoise au chapeau enrubanné, flanquée d’un mari, il railla :
           – C’est Emma qui passe… Gageons que, cette fois, elle tombera amoureuse d’un officier prussien et trouvera enfin le bonheur ! » (p.42-43)

           « – Tiens ! J’ai des nouvelles de ma villa, elle n’est pas encore occupée par les uhlans. La vôtre doit être indemne, elle aussi. Les uhlans entrent dans Étretat, en sortent. Même chose à Dieppe. À Fécamp, les dragons ont d’abord surgi pour annoncer l’arrivée de leurs troupes prussiennes qui se sont installées pour de bon, à charge pour la mairie de pourvoir à leur entretien. Énorme tribut. Ce qu’ils bouffent et boivent, ces gaillards ! Ils profitent ! Maupassant, en armes, a paraît-il résisté, puis il s’est replié comme nous tous. Flaubert a dû se sauver de Croisset occupé.
           – Oui, nous avons vu Maupassant à Rouen. » (p.50-51)

           « C’était une grande fille allègre, plantureuse, [la Belle Ernestine] avec un zeste de mélancolie secrète. Elle avait le parler de chez nous et disait « la mé » pour « la mer » et « le ka » pour « le chat ». Et « ber » pour « boire ». Maupassant ne devait pas rester indifférent… » (p.62)

           « Qui donc avait-on tué pour le brûler ainsi dans l’enceinte des falaises dont les remparts se dressaient éclairés par des flammes ? Quel pantin ? Quel polichinelle de carnaval ? Ou quelle victime expiatrice ? À moins que le poète anglais, Algernon Swinburne, l’occultiste sadique, ne fût de retour, oui, celui que Maupassant avait sauvé de la noyade. Un glissement électrique de ma pensée implanta soudain dans mon esprit cette idée monstrueuse : Guy de Maupassant était mort sous le linceul immaculé ! Mort ! Mort !
           Je voyais bien que personne ne ricanait, ne criait, et que la plus grande solennité présidait à la cérémonie. Pourtant ces gens ne se cachaient pas complètement. Il y avait dans cet apparat funèbre et fantasque quelque chose de permis, d’assumé.
           Le bois brûlait. On eût dit un de ces bûchers que les pirates de l’ancien temps allumaient pour naufrager les bateaux et les piller. Mais la forme blanche mangée par les flammes aurait suffi à me détourner de cette interprétation surannée.
           Je voyais et j’étais incapable de déchiffrer l’énigme. Une odeur de graisse, de chiffons crépitant, de sapin carbonisé, d’huiles cramée montait dans la nuit. Les hommes contemplaient le brasier sans bouger. La nuit hurla. Je ne sais quel esprit mauvais s’était emparé de ma pauvre cervelle. La rafale fit jaillir un essaim d’étincelles mordantes ruées sur moi. Était-ce l’Ennemi ? L’édifice craqua, projeta une brassée de flammèches. Et dans ces griffes d’or, au cœur d’un intense rougeoiement, j’aperçus un fagot horrible et plus sombre qui vacillait sur son assise. Il s’ouvrit, je reconnus une grille de vertèbres noires, écarquillées, qui basculait dans le feu. C’était le corps… de Maupassant ? » (p.138-139)

           « Cette fois, j’ai tout à fait reconnu Maupassant sur la plage. Il fait un tour au milieu des caloges. Il remonte vers l’Hôtel Blanquet. Monet travaille de la fenêtre de l’annexe face à la mer. Maupassant lui adresse un signe amical et le rejoint.
           Voilà un tableau qui séduit l’écrivain. Dru, coloré, précis. À la bonne heure ! Deux grosses caloges en gros plan. À droite se dresse le coin d’une maison du rivage. Des volets vert pomme. La mer bleu turquoise. Un essaim de voiles mauves, indigo, très délicates. Cette fois, un pullulement de silhouettes humaines, pêcheurs, femmes, en touches rouges et bleues, agglutinées. C’est familier, c’est quotidien, on vaque. Monet sourit mais ce tableau est une anecdote à ses yeux. Ce qu’il désire, c’est le grand machin matériel et marin. Les colosses des portes, bien sûr. Là-bas, la Manneporte royale, la voûte du monde. La figure humaine, la péripétie domestique ont cessé de l’intéresser. Le voilà bien loin de Degas, de ses merveilleuses études de physionomies naturalistes, de zoologie humaine. Comment expliquer cela au réaliste Maupassant, avec lequel Monet aura des échanges compliqués ? Leurs deux caractères sont bien différents. L’excès de vie de Guy, étroitement lié à son obsession de la mort. L’excès d’art chez Monet, qui avale vie et mort, les dépasse.
           Maupassant est trop exubérant, trop bavard. Trop de gestes. Monet, taiseux, dévoré par son travail. Il a peu de temps à accorder à ses visiteurs. Il est tout à sa faim farouche de peinture. Il trouve que l’agaçant Maupassant n’y comprend pas grand-chose… Les deux amis fameux sont-ils de vrais amis ? On rêve à une complicité profonde, à des méditations, des confessions mutuelles. Monet fonctionne davantage comme Flaubert. Même acharnement bourru.
           Voilà qu’Anna me révèle tout de go qu’il y a deux nuits Maupassant est allé contempler les étoiles du haut de la crête d’Aval. Son témoignage me fait trembler.
           – Tu l’as rencontré ?
           – Non, je dormais comme un ange. Mais un astronome local qui l’accompagnait me l’a raconté. C’est un homme de science, M. Louis, un ami de papa. Maupassant se passionne pour l’astronomie, le sens de tout cet infini, tu vois… Il a un grand chien, un certain Paf, qui, en écoutant la plainte du flot brisé sur le roc, hurla soudain à la mort comme un esprit. Maupassant parut saisi, hanté par ce présage. Il voulut revenir bien vite et jura qu’il aurait dû emmener Piroli plutôt que Paff !
           – Qui est Piroli ?
           – C’est un amour de petite chatte souple qu’il adore.
           – Il t’a donné tous ces détails, l’astronome !
           – Oui. Je lui ai demandé de me les répéter, cela me fascine comme toi les moindres usages de Monet.
           Mais Maupassant n’est pas du tout Monet. Je me méfie de la passion de l’écrivain pour les petites chattes de Paris et d’Étretat. Piroli ! Piroli ! Et Paff ! Plus d’une a fini entre les pattes du matou par les nuits astronomiques de la Guillette. La cuisinière suggère que c’est un défilé, des fêtes, des mascarades, des loteries, des jeux, des feux d’artifice, une sarabande piaffante et tutti quanti ! Sous prétexte, bien sûr, d’observer la lune dans le doux froufrou des étoiles, comme dit le poète.
           Un jour, une habituée de ces fêtes épicées fut plus crue. Elle me révéla le goût de Maupassant pour les farces douteuses et bien grasses, ce qu’il reprochait justement à Courbet. La jolie brune me raconta tout de go que, une nuit, Maupassant s’était dessiné un con décoré de lèvres et de poils tout autour du nombril et qu’il le lui avait découvert, au clair de lune, pour la mettre à l’aise et qu’elle se considère en famille. Il était polisson en diable ! » (p.164-166)

    Jean-Michel GUENASSIA

    - Le Club des Incorrigibles Optimistes, roman, Paris, Albin Michel, 2009, p.52.
    Michel Marini, lecteur compulsif, avait douze ans en 1959.
           « J’ai dévoré les classiques avec des critères littéraires personnels. Je ne lisais pas un romancier. Je lisais sa biographie et je n’arrivais pas à aimer l’oeuvre si je n’aimais pas l’homme. L’homme était plus important que l’oeuvre. Quand la vie était héroïque ou illustre, les romans étaient meilleurs. Quand le bonhomme était abominable ou médiocre, ça avait du mal à passer. Saint-Exupéry, Zola et Lermontov ont longtemps été mes auteurs préférés, pas seulement pour leurs oeuvres. J’aimais Rimbaud pour sa vie fulgurante et Kafka pour sa vie discrète et anonyme. Comment réagir quand vous adoriez Jules Verne, Maupassant, Dostoïevski, Flaubert, Simenon et une flopée d’autres qui se révélaient d’abominables salauds ? Devais-je les oublier, les ignorer et ne plus les lire ? Faire comme s’ils n’existaient pas alors que leurs romans n’attendaient que moi ? »

    - La Valse des arbres et du ciel, roman, Paris, Albin Michel, 2016.
    À Auvers-sur-Oise, le dernier amour de Van Gogh pour Marguerite Gachet.
    - p. 20 : « « Nous venons, écrivains, peintres sculpteurs, architectes, amateurs passionnés de la beauté intacte de Paris protester de toutes nos forces, de toute notre indignation, au nom du goût français méconnu, au nom de l’art et de l’histoire française menacés, contre l’érection, en plein cœur de notre capitale, de l’inutile et monstrueuse tour Eiffel… »
           Guy de Maupassant, Alexandre Dumas fils, Emile Zola, Gounod, Charles Garnier, figurent parmi les trois cents artistes signataires de cette pétition, d’autres comme Gauguin, Verlaine, les Goncourt, Alphonse Allais, et bien d’autres, dénigrent la tour.
     »

    - p. 56-57 : « Comme une majorité de leurs concitoyens, un nombre considérable de personnalités : Gustave Courbet, Edgar Degas, Auguste Renoir, Jules et Edmond de Goncourt, Auguste Rodin, Jules Verne, Guy de Maupassant, Ernest Renan, Jules Michelet, Stéphane Mallarmé, Maurice Barrès, Jean Jaurès, Alphonse Daudet, Maurice Denis, Toulouse-Lautrec, Pierre Loti, etc. affichent ouvertement leur antisémitisme. En 1890, La Croix se proclame le journal catholique le plus anti-juif de France. Cette vague antisémite culminera avec l’affaire Dreyfus en 1895. »

    - p. 224 : « Lettre de Vincent à sa sœur Wilhelmine,
    19 septembre 1889

    « Parce que je peins quelques fois des chôses comme cela – aussi peu et autant dramatique qu’un brin d’herbe poudreux au bord de la route – il est juste à ce qu’il me semble que j’aie moi une admiration sans bornes pour de Goncourt, Zola, Flaubert, Maupassant, Huysmans. Mais pour toi rien ne presse et continue hardiment les Russes. »

    - p. 266 : « J’ai demandé à Louise de me laver les cheveux, parce que je n’aurais pas eu la force de le faire. Elle est d’une incroyable gentillesse. Sans elle, je ne sais pas ce que je deviendrais. Elle me dit que je dois réagir, cesser de me morfondre, mettre ma robe blanche et aller cueillir des fleurs. Elle me secoue, elle a raison. Je me suis installée sur la banquette en osier, dans le jardin, il fait si doux. J’ai emporté Le Horla, que j’aime tant, mais le livre me tombe des mains, je n’arrive Paris à fixer mon attention sur les dernières nouvelles. Je pense à Vincent. Il revient comme un incendie dans la nuit. Il ne me laisse pas une seconde de répit. »


    Marie-Josèphe GUERS, La Petite Marquis, roman, Paris, Mercure de France, 1993, p.197.
    Née fin du XIXe siècle, dans un petit village de la Beauce, Marthe entre comme bonne chez un médecin de campagne. L'une de ses passions est la lecture.
    « Dans sa chambre de la Rue de la Pie, en face de la porte une alcôve, et sur les planches des livres aux pages fatiguées par tant de lectures attentives. Martoune lisait en cousant, en crochetant, en nous laissant jouer dans ses jambes, elle lisait, distraite et concentrée. La lecture est affaire de passion. Elle pouvait, sans se tromper, juger si le livre était de bonne qualité, bien écrit, ou pas. Elle n'avait pas fait d'études mais son bon sens, sa générosité et son honnêteté y suffisaient. Elle connaissait les noms et prénoms et surnoms de tous les personnages. Ils l'accompagnaient. Elle les aimait. Ou les détestait farouchement. Car elle réservait ses verdicts les plus sévères, ses condamnations sans appel, aux personnages de fiction. Sur ses étagères quelques Balzac, des Cesbron, des Maupassant. Romain Rolland, Genevoix. Duhamel - particulièrement la Chronique des Pasquier parce que cela racontait l'histoire de familles auxquelles on avait le temps de s'attacher. Quelques sagas, et surtout la Dynastie des Forsyte. Le gros volume n'a pas quitté sa table de nuit pendant plusieurs semaines. »


    Catherine GUIGON, Les mystères du Sacré-Coeur. Les Vignes de la République, roman d'aventures, Paris, Seuil, 1998, p.304.
    En 1872, Théo Archibault produit le meilleur vin de Montmartre mais son bonheur sera de courte durée. Le lecteur suit la vie du héros et ses rencontres. Il se prend de passion pour l'édification de la Tour Eiffel.
    « Par ses ambitions, sa démesure, l'entreprise avait très vite suscité une formidable polémique et Le Grand Rapporteur s'était rallié au camp des novateurs, celui de l'Utopie futuriste dont l'ingénieur Eiffel allait devenir le symbole. Un concurrent, Le Temps, avait lancé l'offensive avec une « pétition des artistes » signée par François Coppée, Leconte de Lisle, Maupassant, Sully Prudhomme et d'autres. Ils y dénonçaient « l'érection de l'inutile et monstrueuse tour Eiffel (…), noire et ridicule cheminée d'usine écrasant de sa masse barbare tous nos monuments humiliés ». Jules Vainclair (par philosophie) et Théo (par principe) avaient d'un commun accord décidé de réagir. Le Grand Rapporteur avait aussitôt ouvert ses colonnes au ministre du Commerce et de l'Industrie, Edouard Lockroy, promoteur de la « cheminée » tant décriée. A son tour, il ironisait : « Ce n'est pas que je craigne pour Paris. Notre-Dame restera Notre-Dame (…) mais j'aurais pu sauver le Champ-de-Mars. Il s'agit là en effet d'un incomparable carré de sable, digne d'inspirer les poètes ! » Le ton était donné. »


    Carolus d'HARRANS, « Le Fantôme » (1890)

    Pour Madame M. Merlin

           Jusque passé la demie, entre deux ou trois heures du matin, Guy, acharné à sa tâche, avait écrit.
           Il était enfin arrivé, après une grande semaine d'un labeur incessant, au bout et à bout de ce diable de chapitre XIII – pas long pourtant, mais si ardu et si réfractaire !
           La clef de voûte du roman, ce chapitre XIII – le noeud de l'action !... La lutte avait été rude, l'effort pénible – mais l'issue triomphante. Et en reposant sa plume pour gagner sa couche, Guy avait eu une envie de crier sa joie – avec l'ivresse anticipée de l'encens qu'un public enthousiasmé, brûlerait (oh ! c'était immanquable !) autour de l'oeuvre, et dont il s'imaginait déjà respirer les fumées.
           Il se mit au lit, laissant épars sur la table, dans le désordre où il les avait jetés, les feuillets du manuscrit, sous la lampe qu'il n'éteignit pas seulement baissée, pour les voir encore, avant de s'endormir, et, peut-être, rêver d'eux.
           Le sommeil vint lentement… Il vint fiévreux, angoissant. Il prit Guy comme une paralysie, ou plutôt une léthargie, où ses yeux, restés ouverts, fixaient toujours, sur la table, autour de la lampe pâlie, les pages éparses du manuscrit.

    ..............................................................................................................................................................................................................................................................

           Et, tout à coup, Guy eut une vision étrange.
           Dans le fauteuil, près de la table, courbé sur les feuillets, quelqu'un était assis.
           Ce ne fut d'abord qu'une forme vague, sans contours précis, – fantomatique.
           Puis, cela se précisa, cela prit un corps. La lampe, comme devenue plus vive, éclaira une tête, un torse, des mains.
           Tout cela immobile, – sauf les mains, blanches, qui écrivaient,
           Et Guy entendait le grincement de la plume ; et, rien qu'un mouvement ininterrompu des mains, il lisait ce qu'elles écrivaient.
           Au haut d'une page, il y avait, en grosses lettres : CHAPITRE XIII.
           Dessous, commençait un épisode palpitant, écrit d'un trait de plume, où Guy retrouvait les personnages de son roman.
           Et l'action se déroulait, – mais ordonnée d'une façon toute différente de l'autre ; et, à mesure que le chapitre s'allongeait, Guy en sentait la supériorité sur l'ancien…
           Cela dura-t-il des heures ou seulement quelques secondes ? Guy n'aurait pu le dire…
           Son oeuvre mystérieuse accomplie, le fantôme laissa retomber la plume.
           La lampe parut diminuer de clarté, et, peu à peu, la vision s'évanouit, redevenant chose vague, informe – puis rien.
           Guy ne vit plus que les pages éparses, fraîches écrites, autour de la lampe pâlie.
           A ce moment ses yeux se fermèrent, et toute pensée s'effaça dans son cerveau.

    ..............................................................................................................................................................................................................................................................

           Il se réveilla en sursaut, au bruit que fit une porte, claquée, sur le palier à côté de la sienne.
           Il se leva, se vêtit sommairement, et, comme à son habitude de tous les matins, alla écarter les rideaux des fenêtres.
           Un large rayon de soleil, qui l'aveugla, entra d'un flot dans la pièce. De la rue montait le roulement des voitures, le cri cacophone des commerces ambulants, la rumeur d'un marché voisin, – en un mot, la vie d'une matinée déjà avancée.
           En même temps que la Sorbonne, tout près de là, la pendule de la chambre sonna dix heures.
           – Comme j'ai dormi !... murmura Guy.
           Il s'assit, bâillant, au bord du lit, les bras croisés, dans une réflexion qui immobilisait son regard. Puis, brusquement, il se redressa ; ses yeux allèrent à la table, aux pages qui la couvraient, en désordre autour de la lampe mourante.
           La mémoire lui était venue d'un coup : le Chapitre XIII, sa vision, le manuscrit mystérieux.
           D'un saut, il fut à la table. Il prit, au hasard, un feuillet – et lut. Mais il laissa bientôt retomber la feuille d'un geste de déception :
           – J'ai rêvé !...
           Puis il eut un rire nerveux :
           – Naïf, va !...
           De nouveau, il s'abîma dans ses pensées, dont il sortit pour rassembler, d'une main agitée, les feuillets du manuscrit.
           Et il se mit à lire, la tête dans ses mains.
           L'un suivant l'autre, les feuillets, froissés nerveusement, furent jetés au loin, avec dégoût, et Guy, les traits contractés, fut pris d'une colère :
           – C'est idiot !... c'est bête !... Ça ne vaut pas un clou !... Ah ! l'autre !... L'autre, c'est différent ! Ça se comprend, au moins, c'est logique !...
           Il eut une secousse :

    *
    *     *

           – Tiens, mais !... Pourquoi pas ?... Voyons… Oui, c'est bien cela, je me rappelle… Mais c'est que je me rappelle tout, maintenant !
           Vite, des feuilles blanches – CHAPITRE XIII, en grosses lettres, au haut d'une page – et Guy retraça, d'un trait de plume, l'épisode, qui se déroula, du commencement à la fin, sans interruption, sans tâtonnements – comme en son rêve.
           Quand il eut fini, Guy, alors seulement, releva la tête et vit, devant lui, la lampe qui clignotait, près de mourir. Il souffla dessus et se mit à rire, résumant dans un éclat de joie sa pensée intriguée :
           – Est-ce drôle, tout de même, les rêves !

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    *
    *     *

           Quelques semaines après, Guy, attablé avec un ami au Café de Cluny, ouvrit le Journal des Débats et poussa un cri.
           – Qu'est-ce qui t'arrive ? interrogea son compagnon.
           Guy lui passa la feuille, balbutiant :
           – Un article… de Jules Lemaître !... Lis tout haut, … mes yeux se troublent.
           C'était un « article » de vingt lignes, en post-scriptum, ainsi conçu :
           « La librairie Dentu vient d'éditer un nouveau roman de M. Guy***. Trop fière, tel est le titre d'un livre qui ne peut que m'affermir dans mon opinion, déjà émise, l'année dernière, sur M. Guy***, à l'occasion de son oeuvre de début. J'entrevois toujours en ce « jeune » un romancier d'excellente trempe. Trop fière est d'un psychologisme vécu : M. Guy*** est un « disséqueur » habile du coeur humain, et on ne peut lui nier le droit d'être fier, sans l'être trop, de son talent. Je dis : sans l'être trop, – car il y aurait bien des erreurs – coups de scalpel mal dirigés – à relever dans la psychologie de M. Guy***. Mais soyons « coulant » (une fois n'est pas coutume), fermons les yeux sur les invraisemblances de l'oeuvre, défauts légers, petits péchés en somme, et n'en voyons que le côté très-louable. Or, il y a dans Trop fière quelques pages admirables, que je recommande aux délicats lecteurs de ce roman – le Chapitre XIII, par exemple, que M. Paul Bourget lui-même ne renierait pas – et c'est le meilleur, à la fois le plus sincère éloge que je puisse faire du nouveau livre de M. Guy***. A ce jeune, toute ma sympathie. »
           … – Signé : « Jules Lemaître », ajouta le lecteur en pressant chaleureusement les mains de Guy.
           Celui-ci eut un sourire où perlait un peu d'attendrissement, – puis il soupira. L'ami s'étonna :
           – On dirait que tu n'es pas content ! Sans doute, il n'y en a pas long ; mais, penses-tu ?... une louange de Jules Lemaître !... Cela vaut de l'or ! n'y en aurait-il qu'une ligne… Va, j'en connais beaucoup sur qui il écrit des colonnes, et qui échangeraient volontiers ce post-scriptum-là contre tous les articles passés…
           – Oui, je sais, répondit Guy, dans un sourire toujours pâle. Le maître n'est pas toujours élogieux, et je suis content, – oh ! bien content ! – je t'assure…
           – Alors ?...
           Guy se tut quelques secondes, l'oeil vague, et, soudain, semblant prendre une grande résolution :
           – Au fait, je vais tout te dire… Le Chapitre XIII n'est pas de moi…
           – Pas de toi !... Ah ! gredin ! tu t'es fait aider, et tu ne le disais pas !
           – Dis plutôt qu'On m'a aidé ?
           – Et cet On-là il se nomme ?
           - Ah ! voilà !... Écoute.

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           Quand Guy eut fini de parler, son compagnon lui dit en riant :
           – Tu as rêvé, mon cher. Et c'est un rêve qui te rapporte de la gloire, voilà tout. Mais ne va plus me dire que le Chapitre XIII n'est pas de toi, ô trop scrupuleux auteur !
           Guy rit à son tour. – Oui, c'était un rêve !
           Et, redevenu grave :
           – Tout de même, les rêves, c'est drôle !

    FIN


    Mary HIGGINS CLARK, « Les Bijoux volés » dans Le Billet gagnant et autres nouvelles, trad. de l'anglais par Anne Damour, Paris, Albin Michel, 2002, p.268-269.
    Alvirah, femme de ménage, et Willy, plombier, ont touché le gros lot. Les voici désormais milliardaires. Les ennuis vont commencer.
         « Alvirah était à présent complètement réveillée. « Des copies, c'est la solution employée dans « La Parure », de Maupassant. Je me demande si elle l'a lu. »
         – Maupassant, pas Môpassant », corrigea Min. puis elle poussa un profond soupir. « Alvirah, il serait ridicule de laisser quelqu'un subtiliser impunément quatre millions de dollars de bijoux. Nous ne pouvons pas rester sans rien faire. Un autre vol pourrait être commis. Venez au plus vite. J'ai besoin de vous. Vous vous chargerez d'identifier le coupable. Vous serez notre invitée, naturellement. Et faites-vous accompagner par Willy. Il pourra profiter des séances de remise en forme. Je le confierai à un moniteur personnel. »


    Claude IZNER
    -
    Sang dessus dessous [1999], Paris, Éditions 10/18, « Grands Détectives » ; 4637, 2013, p.37.
    À Paris, en 1998, un libraire est assassiné dans sa boutique, une collection Hetzel des oeuvres de Jules Verne à ses pieds. Milo Jassy, bouquiniste des quais de Seine, mène l'enquête.
         « De boire, pas question. Au pas de charge, il parcourut le quai des Grands-Augustins, le quai Saint-Michel et une portion du quai de Montebello, pour demander à chaque bouquiniste s'il avait eu la visite d'une rouquine à la recherche de Vingt Mille Lieues sous les mers. Il reçut plusieurs réponses affirmatives, mais aucun collègue ne connaissait son adresse ou son téléphone.
         Toujours courant, il revint à sa place qui n'était plus gardée par le dragon Stella, entourée d'un groupe de touristes japonais hérissés de tours Eiffel. Si on ne t'a rien piqué, tu auras de la veine, se dit-il en s'échouant sur son pliant.
         – Eh ben, Milo, t'as le gosier en pente ? J'ai cru que tu t'étais noyé ; tiens, je t'ai vendu un guide Maupassant. »


    - La disparue du Père-Lachaise, Paris, Éditions 10/18, « Grands détectives » ; 3506, 2003, p.72 et 124.
    Victor Legris, libraire et enquêteur, voit arriver à Paris Denise Le Louarn, la gouvernante de son ancienne maîtresse.
         « Elle retourna dans la chambre pour y ranger ce qui encombrait la table. La petite bibliothèque encastrée dans un mur attisa sa curiosité. Elle déchiffra les lettres dorées ornant le dos de quelques belles reliures, alignées à la suite de brochés dépenaillés. Bel-Ami, L'Île au trésor, Pêcheur d'Islande, murmura-t-elle. »

         « Victor redescendit et donna courtoisement un volume broché à chacune des femmes.
         - Permettez-moi de vous offrir ces tirages sur japon pour me faire pardonner mes absences.
         - Oh, L'Âme de pierre ! Merci infiniment ! s'écria Raphaëlle de Gouveline.
         Tandis que la Comtesse examinait le livre à travers son face-à-main, elle se pencha vers Victor et murmura :
         - Entre nous, cher ami, je préfère les romans de Guy de Maupassant à ceux de Georges Ohnet, ils sont nettement plus salaces, qu'en pensez-vous ?
         - C'est un point de vue que je partage. Si vous voyez Mme de Valois, transmettez-lui mes amitiés. »


    - Le Secret des Enfants-Rouges, Paris, Éditions 10/18, « Grands Détectives » ; 3682, 2004, p.311.
    Avril 1892, alors que les attentats terroristes hantent Paris, Victor Gris, le libraire détectives, enquête dans le milieu des chiffonniers parisiens et au coeur du quartier des Enfants-Rouges.
         « Au matin du 28 septembre 1892, tous les trottoirs des Grands Boulevards jusqu'à la place de la République sont couverts d'une banderole Le Journal collée pendant la nuit. À dix heures du matin 200 000 exemplaires du premier numéro de ce nouveau quotidien sont vendus. Le Journal a été fondé par un journaliste nantais brasseur d'affaires, Fernand Xau, qui ne tarde pas à racheter le Gil Blas et Le Soleil. Il inaugure un régime de contrats très lucratifs, qui attire les plus célèbres écrivains de l'époque, de toutes tendances politiques, entre autres : Émile Zola, François Coppée, Octave Mirbeau, Jean Lorrain, Guy de Maupassant, Henri Becque, Maurice Barrès, Léon Daudet, Edmond Rostand, Jean Richepin, Séverine… « La plus grande famille des gens de lettres qu'un quotidien réunira jamais ». »


    Lilian JACKSON BRAUN, Le Chat qui avait un don [The Cat Who Had 60 Whiskers, 2007], traduit de l'anglais (États-Unis) par Marie-Louis Navarro, Paris, 10/18, Grands Détectives ; 4073, 2007, p.27-28.
    Jim Qwilleran et ses chats Koko et Yom Yom tentent de percer un nouveau mystère survenu dans le comté de Moose.
         « Qwilleran avait une demi-heure de retard quand il servit leur petit déjeuner aux chats le lundi matin. Ils attaquèrent leur assiette comme s'ils avaient été privés de nourriture depuis une semaine. À un moment donné, cependant, Koko leva la tête brusquement et regarda un point précis du mur de la cuisine. Quelques secondes plus tard, quand le téléphone sonna, il retourna à son déjeuner.
         L'appel venait de Lisa Compton, retraitée de l'administration scolaire et épouse de l'inspecteur d'académie. Elle était aussi chef des bénévoles à la salle Edd Smith, où des livres d'occasion étaient vendus au profit de causes charitables.
         – Qwill, un chauffeur de Purple Point vient d'apporter un carton de livres qui devraient nous intéresser.
         – Cette déclaration soulève des questions.
         – Ils ont tout pour vous plaire. Ce sont des livres de petit format, cartonné, le genre qui existait avant l'apparition du livre de poche. Pratiques pour faire la lecture aux chats. Certains ont des couvertures décoratives et des titres en lettres dorées au dos.
         – Quel genre de titres ?
         – Tous des classiques : Les Aventures de David Balfour, Lorna Doone, La Case de l'oncle Tom… et des auteurs comme Mark Twain, Guy de Maupassant et Henry James…
         – Ne les laissez pas vous échapper ! J'arrive tout de suite ! »


    Raymond JEAN, La Lectrice, Arles, Actes Sud, Babel n°575, 1986, p.12.
    Marie-Constance G. a décidé de devenir lectrice à domicile. Elle se rend chez Roland Sora, son ancien professeur de Lettres, pour lui demander conseil sur le choix du premier livre.
    « Pourquoi pas les grands ? Pourquoi pas Maupassant ? Il n'y a rien de mieux que Maupassant, crois-moi Marie-Constance, pour tous les âges, tous les goûts, toutes les conditions, tous les pays… pour ton projet, c'est ce qu'il y a de mieux… ne va surtout pas t'embarquer dans des choses ambitieuses et prétentieuses. Il a pris sur les rayons un beau Maupassant, une vieille édition de reliure brune, il tourne les pages, il cherche. Il faut choisir, dit-il, des nouvelles fantastiques, tu es sûre du succès… »


    Jean de LA VARENDE, Nez-de-cuir, gentilhomme d'amour [1936], Paris, Le Livre de Poche, 1993, p.37-38.
         « Et la race était alors encore plus pure ; toutes [les jeunes femmes] avaient ce teint d'inexprimable éclat qui impressionna pour la vie ceux qui l'admirèrent dans leur jeunesse. Qu'elles étaient « blanches », ces filles, et « roses », deux qualificatifs, qui tombent incoerciblement de toute plume de Normand, malgré soi, depuis Basselin de Vire, Malherbe de Caen qui y trouva son « effet » le plus célèbre, jusqu'à Maupassant de Miromesnil, qui y mit son esthétique. Roseur, blancheur, carnation que la Normandie aux arbres fleuris semble exalter encore dans ses bouquets d'herbage, ses forêts charnelles. »


    Michel LE BOURHIS, Échancrure, Paris, Seuil, Karactère(s), 2007, p.10-11.
    Dans ce roman pour adolescent (à partir de 13 ans), Thomas, collégien à problèmes, a pris l'habitude de voler des livres dans les bibliothèques et les grandes surfaces. Jusqu'au jour où il est attiré par un volume de la Pléiade...
         « Je me suis frotté les paumes sur mon jean, et j'ai capturé une de ces beautés. Une qui ne demandait qu'à vivre, justement, qu'à respirer, et qu'à donner du bonheur à celui qui la choisirait. Elle a glissé sur l'étagère, et j'ai inspecté son dos d'un doigt méticuleux. Tout lisse, à cause de la feuille de Rhodoïd qui la couvrait.
         Je l'ai déshabillée lentement, j'ai promené ma main sur sa peau nue. Une peau vert émeraude, une peau du XIXe siècle.
         Maupassant, Œuvres complètes, volume II.
         Deux mille pages de papier bible. Reliure cuir, dorée à l'or fin.
         Ça m'a fait marrer de tomber sur la Pléiade de Maupassant, comme ça, direct. Je ne l'avais pas fait exprès, c'était juste le volume qui dépassait le plus de la rangée.
         Maupassant… Décidément, je donnais dans le fantastique. Après Gautier, sa cafetière et ses momies, rapatriés du CDI, Maupassant et sa folie…
         On venait de se frapper l'étude du Horla en classe. J'avais trouvé ça chiant, au début. Puis, au fur et à mesure que le prof nous charcutait le texte en fines tranches, je m'étais laissé piéger.
         J'ai tourné les pages de l'index avec précaution et j'ai vérifié que Le Horla figurait bien dans ce volume. En souriant, j'ai refermé le livre, j'ai replacé le Rhodoïd autour de la reliure et je l'ai glissé dans son écrin.
         J'ai respiré un grand coup, je me suis accroupi et j'ai ramené mon sac à dos sur mes genoux.
         Au moment où je fourrais la Pléiade dans la poche principale, j'ai senti une main ferme sur mon épaule.
         Une vieille.
         Une vieille d'au moins cinquante balais, qui me souriait bêtement. D'un coup de menton, elle m'a fait signe de me relever. […] elle a tendu le bras pour que je lui rende le bouquin. Je lui ai refilé en soupirant.
         - Ça va, je vais le remettre en rayon… Pas la peine d'appeler les flics, ni mes parents… […]
         La vieille n'a rien répondu. Elle a tourné le volume de Maupassant entre ses mains, a rapidement lu le descriptif du contenu, et s'est enfin décidée à parler :
         - Bon choix, mon garçon… De Maupassant, ce sont les nouvelles qu'il faut lire… Personnellement, je trouve ses romans assommants. Bel-Ami m'a ennuyée à mourir… […]
         - On vient d'étudier Le Horla, en français… […] La vieille m'a redonné le livre en sifflant de sa voix haut perchée :
         - Ça ne mène à rien de voler… Si ce livre vous tente, je vous l'achète. […] Cinquante-cinq euros cinquante… La prochaine fois, choisissez un livre de poche, vous voulez bien ?
         Et sans attendre quoi que ce soit, elle m'a planté là. Elle s'est dirigée vers la caisse et a demandé un paquet-cadeau. »


    André LÉVY, « Cany-Barville », © - Le Moulin des Arts, 76400 Colleville (2001).

    Cany-Barville

    Pierre, le marinier tranquille
    De Cany-Caniel et Barville,
    Regroupe les bourgs d'antan
    En amont de la Durdent.

    L'aile au vent comme l'oiseau,
    La vieille chapelle du château
    Vit autrefois prier les Grimaldi
    et bien d'autres baronnies.

    Bouilhet, poète du grand air,
    Se souvient de Flaubert
    Et du jeune Maupassant,
    Tête bouclée et turbulent.


    David LODGE, L'Auteur ! L'Auteur ! [Author, Author, 2004], roman, trad. de l’anglais par Suzanne V. Mayoux, Paris, Payot et Rivages, Littérature étrangère, 2004, p.66 et suiv.
    S’appuyant sur la vie de l’écrivain Henry James, le romancier fait revivre tous les artistes de l’époque victorienne : George Du Maurier, Oscar Wilde, George Bernard Shaw… On y croise aussi un certain Guy de Maupassant.

    « Dans le domaine littéraire, une relation qui était quasiment de maître à disciple s’établit entre eux. Les engouements de Du Maurier étaient intenses mais restreints. Il adorait Thackeray, et les rythmes grisants, les sentiments païens de Swinburne le comblaient. Au-delà, le choix de ses lectures lui était principalement dicté par les ouvrages disponibles à la bibliothèque Mudie. Mais il ne demandait pas mieux que d’élargir ses connaissances sous la tutelle d’Henry, surtout en ce qui concernait la littérature française, et il commença à découvrir l’oeuvre d’écrivains tels que Flaubert, Daudet, Maupassant, les frères Goncourt et Zola, jugés trop audacieux chez Mudie et positivement répugnants par la presse anglaise. » (p.66)

         « C’étaient sans doute l’activité et l’obsession sexuelle envahissantes dans le monde littéraire français qui avaient fini par le [Henry James] chasser de Paris et le décider à s’installer en Angleterre. Flaubert, Maupassant, Daudet et les autres, tous avaient des aventures amoureuses, des maîtresses, et fréquentaient les bordels, au grand détriment de leur santé, et dans leurs écrits ils repoussaient constamment les limites de la décence. » (p.70)

         « Entre les fiançailles de Trixy et son mariage, il lut Une vie, de Maupassant, dont la récente publication en France avait déchaîné une controverse sur ses descriptions explicites, particulièrement pour la lune de miel de l’innocente héroïne, le choc brutal de ses premiers rapports sexuels, sa détresse d’avoir à endurer les jours suivants les exigences lubriques de son mari, puis sa propre découverte étonnée de la jouissance. Par une chaude journée en Corse dans la montagne sauvage, comme le couple se désaltère auprès d’une source fraîche, Julien, le mari, se met à caresser Jeanne, laquelle, saisie d’une « inspiration d’amour* » inaccoutumée, emplit d’eau sa bouche et offre par geste de la transférer dans sa bouche à lui, « lèvre à lèvre* ». Cet acte mené à bien excite le désir de Julien à un degré qui éveille en Jeanne un écho pour la première fois. Elle se presse contre lui, l’attire à terre avec elle, la poitrine palpitante, les yeux embués, murmurant : « Julien… je t’aime !* » et, avidement, elle le laisse la prendre sur-le-champ. « Elle poussa un cri, frappée, comme de la foudre, par la sensation qu’elle appelait.* » Il était arrivé à Henry d’entendre ce cri, à travers les minces cloisons de chambres d’hôtels bon marché, derrière les portes closes lorsqu’il parcourait, une bougie à la main, les obscurs couloirs de grands manoir, ou jaillissant de l’ombre sous les ponts de Paris la nuit, sans qu’il eût une image mentale précise de ce que cela signifiait. Il le savait à présent. Maupassant écrivait bien, si impur que fût le sujet traité. Henry lut ces pages avec une extrême attention, mais elles n’éveillèrent en lui aucune excitation physique : l’idée de transférer un liquide d’une bouche à l’autre, même entre amants, lui paraissait dégoûtante.
         Il s’abstint de prêter ou de recommander Une vie à Du Maurier, jugeant que ce serait manquer de tact en de telles circonstances, d’autant que le bonheur conjugal de l’héroïne était de courte durée (l’odieux Julien ne tardait pas à la tromper). De toute évidence, son ami était profondément affecté par l’imminent envol de sa fille hors du nid familial, et il devait faire un effort pour ne pas sombrer dans un silence abattu tandis que le reste de la famille discutait avec animation des dispositions à prendre pour le grand jour. » (p.71)

         « Cet été-là, Guy de Maupassant fit un séjour à Londres et Henry, qui l’avait connu à Paris, organisa en son honneur un dîner à Greenwich auquel il convia Du Maurier avec Edmund Gosse et d’autres. Du Maurier fut flatté de participer à cette réunion littéraire de haut vol, et de son côté Henry était content d’avoir au moins un invité capable de converser aisément en français (bien que Gosse fût traducteur en titre auprès de la chambre de commerce, son français parlé était désastreux). La soirée se passa à merveille, en partie sûrement parce qu’ils étaient entre hommes en toute intimité. Quelques jours avant, Henry avait déjeuné avec Maupassant dans un restaurant londonien à la mode, et le Français l’avait embarrassé en requérant son aide pour draguer une femme qui se trouvait seule à sa table à l’autre bout de la salle.
         « Allez lui proposer de se joindre à nous, Henri », dit Maupassant. (Heureusement, tous deux s’exprimaient en français.)
         « Mais je ne puis pas, Guy. J’ignore qui elle est.
         – Alors, faites-lui porter un mot par le serveur. Dites-lui que nous aimerions faire sa connaissance.
         – Hors de question.
         – Je le ferais moi-même, mais mon anglais est trop défaillant.
         – On ne peut se conduire ici de cette façon, Guy, protesta Henry. C’est exclu.
         – Pourquoi ? rétorqua Maupassant en remplissant son verre de vin, à la consternation du serveur qui considérait que c’était à lui de s’en charger. Elle est disponible, sans aucun doute. Sinon, pourquoi déjeunerait-elle seule au restaurant ?
         – Il existe dans ce pays une nouvelle catégorie de dames respectables mais émancipées qui revendiquent certaines des prérogatives masculines traditionnelles. Je pense qu’elle en fait partie. »
         Maupassant poussa un grognement de dérision. « Je veux une femme, marmonna-t-il. Pas une émancipée, rien qu’une femme ordinaire, pourvu qu’elle possède un joli visage et un beau cul. Je n’en ai pas troussé une seule depuis que je suis à Londres. »
         À son vif soulagement, Henry parvint à l’extraire du restaurant sans créer de scandale. L’incident confirmait toutes ses préventions contre la moralité des écrivains français. Comme il avait eu raison de fuir Paris !
         Après avoir fait la connaissance de Maupassant à Greenwich, Du Maurier s’intéressa à son œuvre et se mit à rechercher ses livres. En mars, il écrivit à Henry : « As-tu lu Une vie, de Maupassant ? Cette lecture m’a distrait d’un jour de pluie à Brighton – certaines choses défendues sont traitées avec un art merveilleux, simulant la naïveté –, il y a une scène de lune de miel, dans un bois en Corse, qui est soit charmante soit révoltante – je rougis d’avouer que je l’ai trouvée charmante. » » (p.93-94)

         « De retour à Londres, Henry relut toutes les lettres de Fenimore, après quoi il les détruisit. […] Il conserva la lettre de Du Maurier qu’il avait reçue à Venise, mais s’abstint toujours de réagir à ses commentaires au sujet d’Une vie. Quant à lui, il continuait d’associer ce roman à Beatrix Millar, même si pour rien au monde il n’aurait avoué ni expliqué ce rapprochement. Peu après son mariage, son époux l’avait emmenée aux États-Unis et au Canada où se trouvaient des bureaux de sa société londonienne, et ils restèrent absents près d’un an, mais Henry les vit souvent à son retour d’Italie, car ils allaient régulièrement à New Grove House le dimanche, avec le petit Geoffrey, leur fils. Autant qu’on pût en juger sur les apparences, leur union était certes beaucoup plus heureuse que celle de la pauvre Jeanne dans l’histoire contée par Maupassant. » (p.100)

    « Il y avait aussi Jonathan Sturges, victime d’une poliomyélite courageusement affrontée et disposant par chance d’une rente substantielle à laquelle s’ajoutaient les revenus du journalisme, des belles lettres* et de ses traductions, qui incluaient un recueil de nouvelles de Maupassant sur l’initiative et avec le soutien d’Henry. » (p.186)

    Henry James « versa de l’eau dans la cuvette, se lava et s’essuya le visage, après quoi, avec du savon à barbe, un rasoir affilé de frais et des ciseaux, il rasa ses joues et tailla sa barbe. Il apporta un soin particulier à cette opération, en songeant à la soirée qui l’attendait. Sa barbe n’avait jamais eu une forme bien nette, comme l’impériale de Maupassant, par exemple, ou longue et patriarcale comme celle de William ; elle était broussailleuse, grisonnante et imprécise de contour. » (p.233)

    Note de l'éditeur
    * Expressions en français dans le texte original.


    Jean LORRAIN
    Très Russe, Paris, E. Giraud, 1886 ; nouvelle édition, Paris, P.-V. Stock & Cie éditeurs, nouvelle édition, 1914, p.98-100.
    Portrait de Beaufrilan par Allain Mauriat.
           « – Jaloux de Beaufrilan !… Jaloux de ses biceps travaillés aux haltères trois heures chaque matin pour épater les femmes ; jaloux de ses chapeaux à coiffe de satin ciel blasonnée à ses armes, crest, casque et tortil, le chapeau sous le bras pour faire voir sa coiffe !… Non ! Mais j'enrage de voir Madame Livitinof accueillir ce drôle, car ce drôle est un fat, et, qui pis est, un malin, un véritable homme de lettres, lui, par lui-même estampillé pour Paris, la province et l'étranger, Yankee et Juif à la fois, qui fait de tout argent et réclame, et la compromettra, comme il en a compromis tant d'autres, uniquement parce qu'elle est quelqu'un. [...] cela ne l'amuse pas de supporter les galanteries à la hussarde de cet ancien sous-off, mais cela la divertit de me le jeter à travers les jambes, de me piquer au vif, d'éveiller mes soupçons, cela pimente un peu la fadeur de nos relations ; mais, ce dont j'enrage, c'est qu'à ce jeu elle se brûlera elle-même et que, d'ici huit jours, elle passera pour la dernière conquête des mille et trois de Beaufrilan. [...] Oh ! je connais mon homme : non, certes, il n'ira pas crier sur les toits que Madame Livitinof a été sa maîtresse, mais il le laissera entendre, il s'en défendra trop, se fâchera habilement, se taira, sourira, tout le manège ordinaire des écrivains à femmes... puis il a tout un passé de vieilles hystériques, bas-bleus d'alcôve, éprises du beau mâle, qu'il se glorifie d'être, pour justifier ses succès à venir ; c'est l'étalon modèle, littéraire et plastique du grand haras Flaubert, Zola et Cie, vainqueur à toutes les courses de Cythère, primé jusqu'à Lesbos, couru et hors concours. »


    « Cri du Cœur » dans Fards et Poisons, Paris, Ollendorff, 1903, p.262-263.
         « Avec cela Edda Effitser tenait sans doute de son origine paysanne, ce fameux père de Criquetot, un touchant amour de la campagne et une facilité d'attendrissement devant les beaux spectacles de la nature. Il y avait une contemplative dans cette madrée de femme d'affaires.
         Sa plus grande joie était de dîner aux champs, de s'asseoir à la table rustique des fermes et de s'y gaver de laitage, d'œufs frais et de volailles hâtivement plumées. Elle s'ébattait comme une jeune bête à travers l'herbe drue des vergers, se passionnait pour les canards et pour les poules, s'enthousiasmait pour leurs couvées et j'avais toutes les peines du monde à l'empêcher d'embrasser les veaux sur leurs mufles gluants et de frotter ses joues aux naseaux veloutés des poulains ; je trouvais même ces gamineries de petite fille un peu ridicules chez une créature au cerveau de notaire. Elle n'avait pas le physique de ces foucades et quand je la voyais escalader en riant des troncs de pommiers, je ne pouvais m'empêcher de me mordre les lèvres en songeant aux pages consacrées par Guy de Maupassant aux joies expansives des pensionnaires de la maison Tellier. Elles ont toutes ces attendrissements bébêtes la veille de la première communion, dans le préau du menuisier. »


    Grace METALIOUS, Peyton Place [1956], traduit de l'américain par Jean Muray, Paris, J'ai lu n°849, 1978, t. I, p.85-86.
    Dans une petite ville américaine de la Nouvelle-Angleterre nommée Peyton Place, Allison Mackensie, treize ans, se réfugie dans les livres pour oublier son quotidien terne.
         « Mais ce n'était pas la saison qui pesait sur elle du poids le plus lourd. Elle eût été incapable de dire ce qu'elle avait. Elle se sentait envahie par une impatience et une nervosité vagues que rien ne pouvait réduire. Chaque jour, après l'école, elle se mit à passer des heures assise devant la cheminée du salon, un livre ouvert dans ses mains. Il lui arrivait de ne pas pouvoir lire et de demeurer les yeux fixés sur les flammes. Quelquefois pourtant, elle était prise d'une fringale de lecture : Elle dévorait littéralement les mots qu'elle lisait. Dans le grenier, elle découvrit une caisse pleine de vieux livres. Parmi ces livres, il y avait deux recueils de nouvelles de Maupassant. Certaines lui semblèrent incompréhensibles. D'autres la faisaient pleurer. Elle n'eut aucune sympathie pour Miss Harriet. Mais elle versa des larmes sur les deux malheureux qui durent travailler si longtemps pour acheter une autre rivière de diamants, dans le conte intitulé La Parure. Allison lisait tout ce qui lui tombait sous la main. Elle passa sans hésitation de Maupassant à James Hilton. Elle lut Au revoir, M. Chips, et elle pleura pendant une heure dans l'obscurité de sa chambre […]. »


    Jacqueline MONSIGNY, La Dame du Bocage, roman, Paris, Belfond, 1995, p.52.
    Valentine, la petite-fille de Noémie Hautefort (propriétaire de fabriques de beurre), est amoureuse de Lucas, jeune étudiant en droit qui lui prête des livres et la conseille sur ses lectures.
         « Sous les yeux de mademoiselle Ursule, suffoquée, Valentine avait parlé littérature avec Lucas. Ils avaient échangé leurs impressions sur D'Annunzio, et Lucas avait encouragé Valentine à lire les « géants », Hugo, Lamartine, Chateaubriand. Il lui avait promis d'autres livres. Au Bonheur des dames de Zola, moins sulfureux que Germinal dont, avec sagesse, il ne parlait plus. Il avait aussi recommandé à l'adolescente Georges Ohnet, très à la mode, et puis bien sûr les grands Normands Maupassant et Barbey d'Aurevilly. »


    Paul MORAND, « Le Bazar de la charité », dans Fin de siècle, Paris, Stock, 1957, p.141-142.
           « Yolande du Ferrus avait demandé à la fiction ce que son mari n'avait su lui donner : des rêves. Mais les romans à la mode qui traînaient sur sa table, ne contenaient, hélas ! aucune belle aventure. Les fées (était-ce la loi Naquet ?) semblaient avoir divorcé d'avec la littérature. Alphonse Daudet, elle le trouvait trop ensoleillé, cette fille du Nord. Zola, et ses gros livres pleins de lourdes histoires d'ouvriers, était si commun ! Les contes de Maupassant ne parlaient que de petits employés canotant à Chatou et de femmes de mauvaise vie dans des maisons closes (on eût attendu mieux d'un marquis !) ; restait Paul Bourget, mais ce vivisecteur du coeur féminin manquait de ce pouvoir caressant, moustachu et chatouilleur qu'une jeune lectrice est en droit d'attendre d'un romancier… »


    Kate MOSSE, Sépulcre, roman, traduit de l'anglais (Grande-Bretagne) par Valérie Rosier et Denyse Beaulieu, Paris, Jean-Claude Lattès, 2008, p.219.
    En 1891, la jeune Léonie Vernier découvre la bibliothèque de sa tante qui habite le Domaine de la Cade, à quelques kilomètres de Carcassonne.
         « Léonie décida de commencer son exploration par le coin le plus éloigné de l'entrée. Elle parcourut du regard les rayons en lisant les noms qui figuraient sur le dos des livres, passant les doigts sur les reliures en s'arrêtant de temps à autre, quand un volume retenait son attention.
    […]
         Dans le rayonnage suivant, elle trouva une première édition du Voyage autour de ma chambre de Joseph de Maistre. Avec ses coins écornés, elle était dans un triste état, comparée à l'exemplaire original qu'Anatole avait à la maison. Dans une autre alcôve, elle découvrit une collection de textes religieux et antireligieux, regroupés comme pour mieux s'annuler les uns les autres.
         Dans la section consacrée à la littérature française contemporaine, il y avait la série complète des Rougon-Macquart, ainsi que des oeuvres de Flaubert, Maupassant et Huysmans, auteurs dont Anatole lui avait ardemment conseillé la lecture dans le désir qu'elle se cultive, avec un maigre résultat. Elle y vit aussi une première édition du roman de Stendhal Le Rouge et le Noir. Également, quelques oeuvres de littérature étrangère, mais rien qui la séduise, à part les nouvelles d'Edgar Allan Poe traduites par Baudelaire. Aucun roman de Ann Radcliffe ni de Sheridan Le Fanu.
         Bref, une collection terne, ennuyeuse, songea-t-elle. »


    Laurence ORIOL, Thérèse Humbert, roman, Paris, Albin Michel, 1983, p.33.
    Ce roman se fonde sur un fait divers du début du XXe siècle.
    « Fouilloux avançait, suivant Thérèse et découvrant sur des tables légères aux pieds dorés des bibelots de toutes sortes, intitulés, jolis et coûteux ; de petites boîtes anciennes en or travaillé, des tabatières, des statuettes d'ivoire, puis des objets en ragent mat, tout à fait modernes. Dans la bibliothèque : quelques livres rarement ouverts, reliés avec luxe ; un guéridon porté par un seul pied ; un petit canapé de forme ronde ; La Revue des Deux Mondes, avec des pages cornées. Sur un bureau coquet du XVIIIe siècle : quelques ouvrages encore, Manon Lescaut, Werther, et Les Femmes au XVIIIe siècle des Goncourt. […]
         En robe de chambre garance et en babouches, Frédéric prenait son « breakfast » en compagnie de sa jeune belle-sœur Marie qui, d'une main, trempait une tartine de beurre dans son bol de café au lait, et de l'autre, tenait un livre ouvert devant ses yeux myopes. C'était Bel-Ami de Guy de Maupassant. En voyant entrer Thérèse et Fouilloux, elle leva vers eux un doux regard vide qui mendiait vaguement, mais elle ne broncha pas. »


    Catherine PANCOL, Un homme à distance, roman, Paris, Albin Michel, 2002, p.50 et 99-102.
    Kay Bartholdi, la voisine du narrateur, vit à Fécamp. Un jour, elle lui confie une liasse de lettres dont elle ne veut plus. Elle y parle de ses lectures et de ses romanciers favoris, souvent des auteurs originaires de Normandie. Dans deux lettres, la libraire évoque Maupassant.

    Kay Bartholdi
    Les Palmiers sauvages
    Fécamp

    Le 28 décembre 1997.

         Juste un petit mot pour vous informer que Guy de Maupassant passait tous ses étés à Fécamp. Sa grand-mère y habitait. Et il était copain avec Jean Lorrain… Je les imagine tous les deux, encore petits garçons, assis sur un banc, face au port à regarder les bateaux entrer et sortir, à parler littérature, l'un tout maigre et l'autre tout gros. Avec des maillots rayés de petits marins et de gros godillots. Plus tard, ils se sont fâchés… Pour un livre où l'un se serait reconnu dans l'un des personnages et n'aurait pas apprécié ! Les auteurs sont très susceptibles, vous savez. Il faut les aimer et n'aimer qu'eux ! Leur faire croire tout le temps qu'ils sont les plus importants, les plus brillants, les plus « uniques ». […]
    Amicalement

    Kay.
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    Kay Bartholdi
    Les Palmiers sauvages
    Fécamp

    Le 28 juin 1998.

         Cher Jonathan,

    […]
         J'ai reçu une édition unique des Chroniques inédites de Guy de Maupassant, éditée Paris l'édition d'art H. Piazza à Paris, avec une préface de Pascal Pia. Elle n'a été distribuée qu'aux libraires normands. Cela vous intéresse-t-il ? C'est un gros livre, qui rassemble des articles de journaux écrits par Maupassant et jamais publiés auparavant.
         La première chronique s'intitule « Un après-midi chez Gustave Flaubert ». Elle est magnifique. Elle décrit Flaubert en train d'écrire. « Dans un fauteuil de chêne à haut dossier, il est assis, enfoncé, la tête rentrée entre ses fortes épaules ; et une petite calotte en soie noire, pareille à celles des ecclésiastiques, couvrant le sommet du crâne, laisse échapper de longues mèches de cheveux gris, bouclés par le bout et répandus sur le dos. Une vaste robe de chambre en drap brun semble l'envelopper tout entier, et sa figure, que coupe une forte moustache blanche aux bouts tombants, est penchée sur le papier. Il le fixe, le parcourt sans cesse de sa pupille aiguë, toute petite, qui pique d'un point noir toujours mobile deux grands yeux bleus ombragés de cils longs et sombres.
         « Il travaille avec une obstination féroce, écrit, rature, recommence, surcharge les lignes, emplit les marges, trace des mots en travers, et sous la fatigue de son cerveau il geint comme un scieur de long. »
         Saviez-vous que Flaubert avait les yeux bleus et de sombres cils ? De longs cheveux qui lui battaient le dos ?
         Quelquefois […], il prend sa feuille de papier, l'élève à la hauteur du regard, et, s'appuyant sur un coude, déclame d'une voix mordante et haute. Il écoute le rythme de sa prose, s'arrête comme pour saisir une sonorité fuyante, combine les tons, éloigne les assonances, dispose les virgules avec science, comme les haltes d'un long chemin : car les arrêts de sa pensée, correspondant aux membres de sa phrase, doivent être en même temps les repos nécessaires à la respiration. Mille préoccupations l'obsèdent. Il condense quatre pages en dix lignes ; et la joue enflée, le front rouge, tendant ses muscles comme un athlète qui lutte, il se bat désespérément contre l'idée, la saisit, l'étreint, la subjugue, et peu à peu, avec des efforts surhumains, il l'encage, comme une bête captive, dans une forme solide et précise. Jamais labeur plus formidable n'a été accompli par les hercules légendaires, et jamais œuvres plus impérissables n'ont été laissées par ces héroïques travailleurs, car elles s'appellent, ces œuvres à lui, Madame Bovary, Salammbô, L'Éducation sentimentale, La Tentation de saint Antoine, Trois Contes, Bouvard et Pécuchet, qu'on connaîtra dans quelques mois. »
         Et puis… Ne voilà-t-il pas qu'on sonne à la porte ! […]
         Je vous ai mis l'eau à la bouche, Jonathan ! Je me suis plongée dans ce livre avec délectation, et vous seriez bien sot de bouder mon offre… […]
         Mais je n'ai qu'une hâte, pour le moment, vous quitter et retrouver Maupassant… Près de cinq cents pages : réfléchissez bien avant de le commander ! Mais vous avez encore un fameux crédit chez moi. Je parle de l'avoir, bien entendu…

    Kay Bartholdi


    Ugo PANDOLFI, La Vendetta de Sherlock Holmes, texte intégral des carnets d'Ugo Pandolfi..., édition établie et présentée par Jean Pandolfi-Crozier, Paris, Éditions Little Big Man, Les Voyageurs oubliés, 2004, p.20.
    Maupassant et son oeuvre sont omniprésents dans cet ouvrage. Pour lire d'autres passages, consulter le weblog consacré à ce livre : http://scripteur.typepad.com/

    SERRA DI SCOPAMENE – LUNDI 2 SEPTEMBRE 1889


           « Quelle journée admirable ! J'ai passé toute la matinée étendu sur l'herbe, devant ma maison, sous l'énorme platane qui la couvre, l'abrite et l'ombrage tout entière. J'aime ce pays, et j'aime y vivre parce que j'y ai mes racines, ces profondes et délicates racines, qui attachent un homme à la terre où sont nés et morts ses aïeux, qui l'attachent à ce qu'on pense et à ce qu'on mange, aux usages comme aux nourritures, aux locutions locales, aux intonations des paysans, aux odeurs du sol, des villages et de l'air lui-même1. »
           Comme ces mots sont profonds ! Ils appartiennent à mon ami, Guy de Maupassant. Depuis notre première rencontre, il y a bientôt dix ans, Maupassant m'a toujours incité à écrire.
           – Couchez chaque jour vos pensées, de même que tout ce qui vous arrive, dans un journal, Ugo, m'a-t-il souvent répété.
           Je ne lui ai jamais obéi. Mais dans quelques jours, je serai de nouveau loin de chez moi. Je vais retrouver Maupassant à Bastia ; de là nous prendrons la mer. Je retourne à Paris. Mon projet d'un ouvrage sur les mines de Corse et la géologie de l'île a quelque chance de bien avancer 2. J'emporte avec moi tous mes carnets de travail, et je commence celui-ci pour me conformer dans une certaine mesure aux sages conseils de mon ami écrivain. Je m'effocerai d'y tenir la chronique aussi fidèle que possible de ce qui m'arrivera. Nous verrons bien.
           J'emporte également dans mes affaires l'étrange nouvelle que Maupassant m'adressa il y a deux ans. Je l'ai lue plusieurs fois. C'est un récit en forme de journal, inquiétant et fou, au sujet duquel j'aurai bien des questions à lui poser 3.
           J'espère que la mer ne sera pas trop méchante durant notre traversée, et que nous aurons plaisir à être ensemble comme avant. »


    Notes :
    1. Ce passage est souligné dans le manuscrit de Ugo Pandolfi, indiquant par là, comme il le précise aussitôt, qu'il s'agit d'une citation. Celle-ci provient en effet de la nouvelle Le Horla, que Maupassant publia pour la première fois en 1886, dans un numéro de Gil Blas, puis dans une nouvelle version en 1887.
    2. Ce projet aboutira quatre années plus tard. Dans son ouvrage intitulé Richesses géologiques et minières de l'île de Corse, Ugo Pandolfi accordera une large place aux principaux minerais existant en Corse […].
    3. Cette précision confirme que Ugo Pandolfi était bien en possession de la seconde version du Horla, parue en 1887.



    Michel PEYRAMAURE
    - Le Beau Monde. Histoire d'Anna Labrousse, servante, Paris, Éditions Robert Laffont, 1994, p.101-102.
    Dans ce roman, Anna Labrousse, petite paysanne de Corrèze montée à Paris pour devenir servante, rencontre le Tout-Paris littéraire des années 1880. En 1884, elle fait notamment la connaissance de Guy de Maupassant…
           « Dans l'un des fauteuils se tassait un homme qui paraissait pesant et trapu bien que jeune encore ; il se souleva légèrement, hocha la tête et se laissa retomber lourdement.
           – Monsieur de Maupassant, je vous présente une jeune payse, Anna Labrousse. Malgré ses apparences modestes et timides, cette jeune personne est d'une audace folle. C'est elle qui est allée porter des fleurs à notre ami Magnard. Il bégayait de surprise en me racontant cette anecdote dont je vous ai parlé. Comment vous appelle-t-il ?
           – Cosette, madame. Comme dans Les Misérables.
           – Eh… eh…, murmura M. de Maupassant, mais c'est qu'elle a des lettres, cette mignonne. Tu connais donc Victor Hugo ?
           – J'ai lu Les Misérables, monsieur.
           – Elle l'a lu ! s'exclama Mme Chalmette. Il faudra lire aussi les livres de notre ami. Certains du moins, car il en est qui sont raides, encore qu'à notre époque… Vous avez entendu parler de lui, je suppose ?
           – Oh oui, madame : j'ai lu un article de monsieur, dans Le Figaro.
           – Et de plus, s'exclama l'écrivain, elle lit Le Figaro !
           Anna se demanda ce que cela avait de surprenant : Mme Gatignol achetait parfois ce journal et l'abandonnait à Mme Berthe qui le passait à la petite. M. de Maupassant s'excusa de devoir prendre congé. Il baisa la main de Mme Chalmette qui le raccompagna jusqu'au vestibule. Elle lui disait :
           – Ne vous alarmez pas. Allez plutôt voir le professeur que je vous ai indiqué : Antoine-Emile Blanche. C'est le meilleur psychiatre de Paris.
           Elle fit asseoir Anna à la place qu'occupait le visiteur et s'installa en face d'elle.
           – M. Guy de Maupassant est un grand malade, dit-elle à voix basse. Il traîne depuis des lustres un tréponème dont il ne parvient pas à se débarrasser. C'est la conséquence de ses mauvaises fréquentations. Il est obsédé par les femmes et ne se montre guère exigeant. Pour tout dire, il souffre de syphilis… Ça se porte au cerveau depuis quelque temps et il se livre à des excentricités. Ça ne l'empêche pas d'écrire ; il vient de faire publier un nouveau roman : Yvette. Il était ces temps derniers en cure à Châtelguyon. »



    - La Divine. Le roman de Sarah Bernhardt, Paris, Éditions Robert Laffont, 2002 ; rééd. Pocket, 2004, p.164.
    « La demeure des « soeurs Bernhardt », comme on disait, n'était pas une réplique de la Maison Tellier de Maupassant. »


    C.E. RAIMOND [Elizabeth Robins], « Miss de Maupassant », The New Review, Vol. XIII, n°76, September 1895, p.233-247.

    I.

         « The firm of Merriman and Streake, Publishers, had sustained certain reverses. It was agreed that they had grave ground of complaint against Mr. Soames, not because of the failure of his graceful old-fashioned novel which they had good-humouredly published, but because, albeit the oldest reader in their employ, he had dissuaded them from accepting the two most successful novels of the past year. So the day came when he was formally confronted with the proofs of his inadequacy. The junior partner quoted the rapidly succeeding editions and record-breaking sales of the books his unwisdom had lost to the firm. But the culprit was unimpressed. « I have saved Merriman and Streake », he said, « from the disgrace of seeing their stamp on these vulgar inanities - and I deserve their thanks. »
         Mr. Streake's rejoinder was to point to a rival firm's book list in The Pall Mall of that afternoon. Under the announcement of the third edition of the last book, was a brilliant array of Press opinions. « A good many people think differently », observed the junior partner. « Of course », said the older reader, « there will always be people who mistake indecency for power, and more who don't know the difference between impertinence and genius », and he gazed vindictively at the MS. he had laid down on the table some minutes before.
         Mr. Streake stroked his moustache. « As I've ventured to point out », he said slowly, « we don't publish books solely to raise the literary standard. » « No », said the reader stonily, « I keep that in mind. » He laid down his report on the last MS. and abruptly took his departure. Mr. Streake unfolded the paper reflectively. « Very much like the report he made on Phryne's Hour », he thought to himself as he glanced down the brief condemnation. « We'll send that MS. to the new reader and see what he makes of it », he said later to Mr. Merriman. « I'd rather have the opinion of a clever young fellow fresh from the University than of all the fogey men of letters in the kingdom. We'll send Initiation to Johns. »
         And they did. And Johns sent them in return, a report that was hallelujah from end to end : « This is the biggest thing since Mme. Bovary. You've got hold of a new Flaubert ! The fellow knows women like the inside of his pockets, and he has the courage of genius. It's a stupendous book. »
         « I really must read it myself », thought Mr. Streake. Not that he was a judge of literary values. That was not his business. He performed the far more remunerative office of recognising and selecting what the public would buy. He read Initiation in a whirl of ecstasy. He was glad to hear it was like Flaubert. Not that he had read Flaubert, but that was immaterial. He was glad that Johns (who had enjoyed advantages denied to Thomas Streake) had said Initiation was a work of genius. It was a secondary consideration, but it did count. That the book would sell like hot cakes was a foregone conclusion. That is to say, it would sell if they were allowed to put it on the market. Would the public stand it ? The public would flock to it like lambs. They would devour it like wolves. But wouldn't they think it their duty to howl afterwards ? That would advertise the book, but if the book was suppressed, of what use the advertisement ? Then there was that little inconvenience of the Vigilance Society and criminal prosecution. He would read it again. It seemed more extraordinary than ever. Its calm and colossal audacity left him breathless - staring. « It's a great book », he said to Merriman. « It'll make a fortune - if they'll stand it. »
         « They'll stand anything now », said Mr. Merriman. « I'll read it myself. » He found that he was too old and too stiff in his mental joints to bear the impact of this new genius. The book floored him - floored, but did not conquer. « It's simply obscene », he said to Streake the next day. « The fellow's a beast. »
         « I assure you Johns compares him to Flaubert. »
         « Flaubert's a beast. »
         « O very well. I only wish the woods were full of them. »
         « But Flaubert isn't such a beast as this man. »
         « I told you this fellow had gone one better. »
         « That scene about the - you know - that's impossible. »
         « And the last chapter. I never read anything like it in my life. »
         « I told you we'd got hold of a big thing. »
         « It's my impression it's too big to hold. Too big and too slippery. »
         « What if I can get him to cut out some of the - a - most original passages ? »
         « O well, if he'll do that, we might consider it, I suppose. But I don't believe -  »
         « I shall have to run down to the Isle of Wight this week end. I'll go and talk to him. »
         The next morning Mr. Streake wired, R.P. : « Phil Raglan, 4, Cottage Crescent, Ventnor. - Have read Initiation with interest. Will you dine with me Royal Hotel Ventnor tomorrow, eight. - Thomas Streake. » The reply came back before luncheon : « Sorry unable to dine. Hope to see you here Sunday after eleven. - Raglan. »
         Mr. Streake arrived at 4, Cottage Crescent, at a quarter past the hour. He mused upon the unpretending haunts of greatness, while he waited for admittance. He decided off-hand that the man who wrote Initiation had certainly not always lived in the Isle of Wight in a rose-covered cottage. He must have gone the pace, and squandered brilliantly a brilliant inheritance. His wild extravagances had landed him at last at 4, Cottage Crescent. « For the fellow evidently knows society through and through », thought Mr. Streake, who knew only his own small corner of scribbling Bohemia.
         « Mr. Raglan ? » he inquired of the servant as she turned her ear to him. The old woman favoured him with the keen sidelong glance of the deaf. « Are you Mr. Streake, sir ? » she asked, watching his lips. « Yes », replied the visitor. « This way, sir. » She opened the second door on the left of the small passage. « Mr. Streake », she announced.
         The publisher entered a bright little room, lined with books, and fitted up like a miniature library. Two women sat by the window which overlooked a small garden behind the house. They both rose. The elder came forward. « Mr. Streake », she acknowledged languidly, « we are glad you could come. My daughter. »
         « I have only a left hand to offer you », said the girl with soft self-possession. Mr. Streake stared with admiration at the exquisite little person before him. She was like a Dresden China Shepherdess. But she had no crook, and her right hand rested in a sling.

         « O, you've had an accident », ejaculated the publisher, with unconscious familiarity.
         « Only sprained my wrist », she smiled bewitchingly. They sat down. The Shepherdess framed her loveliness in the rose-wreathed window. The mother sat in a weary attitude on the small sofa, and coughed. Her face was pale, and what cheerful persons call « intellectual. » But so much was evident : she was an invalid with a Roman nose.
         « What a charming spot », said Mr. Streake, apparently looking at the curly brown head of the little Shepherdess.
         « Yes », said the girl, turning round and looking out of the window ; « I think our roses have never been so beautiful before. » The voice was musical, caressing. It had that beguiling quality of pretty childishness, which many men find more irresistible than a beautiful face.
         Mr. Streake's intimate acquaintance with women was more or less confined to the sturdy members of his own family circle, and the dashing creatures who write books, or review them. He was quickly hypnotised by the rose-leaf daintiness of the slim little person before him. She might be seventeen, and certainly Phil Raglan, whether father or brother, had in her a heroine fit to stimulate the most fastidious fancy. She wore a white frock with a kind of lace « pinafore » - (or so the observant Streake described it afterwards to Mrs. Streake) - and her slender wrist tinkled with bangles, whenever she moved the one free hand.
         « What fine weather we are having now all over England », the publisher ventured, turning to the elder woman.
         « Y-Yes », she said vaguely, « very fine » ; and she regarded her daughter with dreamy adoration.
         Mr. Streake began to feel conscious of a growing embarrassment. Why had the author of Initiation turned him over to these charming but irrelevant ladies ? « I'm afraid I have called too early for Mr. Raglan », he suggested, turning again to the anæmic woman on the sofa.
         « For Mr. Raglan ? » she said, with a slight start. « Mr. Raglan - my husband » - she looked over helplessly at the girl. « We lost my father some years ago », said the Dresden China Shepherdess with soft promptitude. « We are not business women, but we are glad to talk the book over with you. »

         Streake felt himself blushing - or going through some unusual and uncomfortable phase of bodily temperature. « I - a - I », he looked appealingly towards the elder lady. « Did Mr. Raglan leave an executor with whom I could - a -  ? » « I am his executor », said Mrs. Raglan with some surprise.
         « O ! it was not merely terms that I hoped to see the author of Initiation. I - there are other things - I - I suppose - a - pardon me, but have you read your husband's novel ? »
         « My husband's - »
         The Dresden China Shepherdess broke into a low peal of laughter. « Do you mean to say », she asked, « you thought a man wrote Initiation ?
         Mr. Streake stared speechless. « You mean to say », he faltered, looking at the Roman nose with a new respect - « you mean to say -  ? »
         My daughter is the writer of the family », said the lady proudly » (Mr. Streake clutched the arms of his chair.) « Since there are things you wish to discuss, I'll leave you » ; and Mrs. Raglan smothered a cough in her handkerchief as she got up.
         « No ! no ! I assure you - nothing at all - nothing - that is - that - that - I beg you not to leave us. » His agitation was unmistakable. He kept repeating to himself Merriman's opinion of the last chapter and « that scene about the - you know. » « I - I only wanted to learn », he turned desperately to the little Shepherdess, « how, if - in case - what your views are on the subject of - of - formât - . Initiation is too long for a single volume of my 'Fin-de-siècle Series' - and it isn't long enough for the old regulation three volumes. »
         « O ! » said the Shepherdess indulgently ; « you want me to make it longer ? »
         « Well - a - I was thinking it might be - a - with some advantage it might be shortened by a chapter or two. »
         « O no ! » she ejaculated, with a new note in her voice.
         « Now Philippa, darling », admonished her mother timidly, « perhaps Mr. Streake knows best. »
         « It's impossible ! Quite impossible. You couldn't cut my book : it would bleed to death. »
         « I thought - you are very young, and - I was only suggesting -  »
         « Well, now, you've read it, Mr. Streake », she said in the voice of a dove. « What is there in Initiation that we could afford to cut ? »
         The poor man hesitated. He realised of a sudden that the room was oppressively hot.
         « Shall we go over the manuscript together ? » the cooing voice went on.
         « Well - I think perhaps -  » Mr. Streake struggled inarticulately with his feelings. The girl rose and went to the writing-table.
         « If you are going to work you mustn't be disturbed », said Mrs. Raglan in a hushed voice, as she too got up.
         « But I assure you » - Mr. Streake sprang to his feet.
         « Phil can never write with me in the room », she said, looking reverently at her offspring. The girl was deftly undoing a parcel with one hand. « You always cough », said Phil, without looking up.
         « I know, my dear. » She pressed her handkerchief to her lips again, and held out a thin hand to the publisher.
         « But the fact is » - he made a clutch at his hat - « I haven't time this morning to go into the matter. Besides, that can be attended to later - if - if we come to terms. »
         « O ! » said the girl slowly, pushing the MS. away from her. « Do you mean you haven't made up your mind to publish my book ? » There was a delicate scorn in her face that seemed to Streake to put him to instant disadvantage. As she stood now, with the light falling sideways on her face, it was plain she was not seventeen. « Nearer five and twenty », the publisher commented silently, « but deuced good-looking. » However, he was a man of business. Dimples and pinafores were all very well, but - « I wired you, you remember, that Initiation interested me, and that it would be just at well to - a -  »
         « Yes », said the girl, her full lips parting in a pretty childish smile ; « I was sorry I couldn't dine. » She looked ruefully down at her bandaged arm. Mr. Streake wondered if she would have accepted his invitation, had she not been physically disabled. « You mean », she continued in melting tones, « first of all we must discuss what my book is worth ? » And both ladies sat down.
         « Well - a - not just that - I - Mr. Merriman and I are 'interested,' as I wired you. Initiation is your first book, I suppose ? »
         « O no ! » said the girl.
         « You haven't published under your own name, have you ? »
         « I've never published at all. But Initiation is my third long book. »
         « I see. And the other ones - are they - a - are they at all like this one ? »
         « Not so likely to be popular, I think. »
         « Indeed ? What is your opinion ? » Streake turned to Mrs. Raglan.
         « O - a - I don't -  »
         « My mother doesn't care for literature », said the girl kindly.
         The elder lady looked a little ruffled. « You see I am ill a great deal », she said hurriedly. « Straining the eyes is so bad for the head, and Phil has written so many books. It would be impossible for me to read all her stories. »
         « Dear, you haven't read one for years. »
         « Why, Phil ! »
         « Not to the end. » She patted her mother's thin hand, and smiled a heavenly pardon.
         « You see », Mrs. Raglan turned nervously to the visitor, « my daughter has written ever since she was a child - long before her father sent her to Rouen. »
         « O, you've lived in France ? » His glance swept both ladies.
         « I haven't », said Mrs. Raglan, « I don't understand the language, and it would have been awkward. But Mr. Raglan did. These are all his books. »
         Streake followed her glance round the little room. He observed for the first time that the books seemed to have foreign titles, while a good proportion of them were in the familiar yellow uniform, « quite impudently French » - even in eyes unable to read them. « You went to school in France ? » he asked the pinafored authoress.
         « Yes, I was at the Convent of the Sacré-Coeur for four years. »
         « Really ! Then I suppose you're a great student. »
         « O, yes ! I don't see how she stands it », said the mother solicitously. « But genius is not subject to the laws that govern most people », she added, like one who carefully cons a lesson.
         « I suppose you read a great deal of fiction », Mr. Streake observed, studying the girl. She looked up at him with slightly narrowed eyes. « Not very much », she said demurely, « I haven't time. » She closed her free hand over the little gold heart that hung from a necklace of seed coral, and all the bangles tinkled as they slid up her arm. « You can't expect those who write to spend their time reading other people », she said with dignity.
         « No, I suppose not. » Mr. Streake's tone was apologetic. « I only thought - now and then in a leisure hour - »
         « In my leisure hours I observe life », said the Shepherdess.
         « I see. » Mr. Streake was deeply impressed. « It may interest you to know », the girl went on in the manner of the seasoned celebrity helping along a halting interviewer - « I suppose I'm the only person you've ever met who has never read a line of Thackeray or Dickens, or any of that old lot. »
         « Really ! how very interesting. But I suppose you've dipped into - Thomas Hardy, for instance ? »
         « Once I began a book of his. But that sort of thing doesn't interest me. » Her long lashes drooped wearily. « Hardy is so obvious. »
         « O ! you prefer Meredith ? »
         « Heavens, no ! You see if one is born with a sensitive feeling for style one must take care of it. I remember once, travelling from Rouen to Paris some one left Beauchamp's Career behind him in the carriage. I read one chapter, and for weeks after I was not myself. It made me quite ill. I felt as if I had swallowed a sackful of sand and thistles. But perhaps Mr. Meredith is a friend of yours ? »
         « « No - O no ! We don't go in much for that kind of thing. »
         « I hardly thought it likely », she smiled graciously.
         « My daughter reads French works », Mrs. Raglan observed with pride. « She's very like her father. He was one of the Suffolk Raglans. »
         « Indeed ! » said Mr. Streake. « Your daughter reminds us of Flaubert. »
         « Flaubert ! » the girl ejaculated, dropping the small gold heart in the folds of her pinafore. « I hope I'm not like Flaubert. I don't propose to exhaust myself in one book, and then go mad if I'm found guilty of a double genitive. »
         « No - no ! » agreed the publisher glancing at the young lady's mother to see what the deuce a « double genitive » was. Streake's impression was that the phrase was daring if not unfilial.
         « I've been told », continued the girl suavely, « that I'm very like Maupassant. »
         « O - ah ! - Mau' - 'm - indeed ! You prefer him ? »
         « Well, I used to read him now and then - on long journeys and that kind of thing, when there was nothing else to do. But I've given it up. »
         « O ! »
         « Yes, some one frightened me once by saying I was getting to write so much like him. »
         « You didn't care for that ? »
         « Well, one doesn't want to be a mere imitation - does one ? »
         « No, certainly not. »
         Plainly the girl was a genius, but at this moment she was more like an enchanting little school-girl than ever. She pushed back her soft brown curls and brought her hand round under her chin. She rested the dimple in her pink little palm and asked in a voice of silver : « Tell me what you think of my last chapter, Mr. Streake ? »
         The good man gasped at the recollection, and struggled out of his low wicker-chair. « It's wonderful - wonderful », he said fervently, but not knowing quite where to look. « Good-bye, Mrs. Raglan. I will write some time next week. Good-bye. » He took the fragile hand of the young authoress. « Are you ever in London ? »
         « No. The climate doesn't suit my mother. I never go anywhere without my mother. Good-bye. »
         When Streake met Merriman on Monday morning, he overflowed with enthusiasm about the New Genius. He described her in such terms that Merriman chuckled, and made would-be humorous speeches at Streake's expense. But the junior partner was too well pleased with himself and his « find » to care.
         « I'm not surprised your Miss de Maupassant has broken her wrist writing Initiation », said Merriman, interrupting a flow of eloquence. « But the main thing is, will she cut out all that part that isn't fit for publication ? »
         Streake felt a secret annoyance at his partner's coarseness. « What did she say », Merriman went on, « about that scene of the -  ? » « She didn't mention it », interrupted Streake with an accent of indignation.
         « Well, what did she mention ? »
         « I've told you we talked about Flaubert and Mau - , the man that writes so like her, and about her being four years in a convent. »
         « You mean to say you didn't discuss her book with her ? »
         « No. I - we talked of other things. »
         « Didn't even tell her we couldn't have that last chapter ? »
         « No », said Streake, a little angrily. « You don't think she'd discuss that kind of thing with a perfect stranger. »

    II.

         It had been decided that Streake should write a carefully-worded letter to the author of Initiation, explaining as delicately as possible certain obstacles in the way of publishing that work in its present form. He laboured long and devotedly over the epistle, and then, with an outburst of ingenious profanity, gave up the job.
         Merriman must do it. Merriman did. « How's that ? » he asked after scribbling away for five minutes. The image of the little Shepherdess rose before Streake's eyes as he read. He turned cold at Merriman's brutality of exposition.
         « No, for God's sake. That'll never do. I'd rather go and see her myself than send that. »
         Merriman's reply was accompanied with a prolonged chuckle. « Yes, you get over such a lot of ground that way. Nothing like it. »
         But Streake was not to be laughed out of running down to Ventnor again on Saturday. It was five o'clock. « Mrs. Raglan's ill with one of her headaches », said the deaf servant as she led the way to the little room. « But Miss Phil can see you. » She opened the door. « Miss Phil » had apparently been standing there ever since the previous Sunday. Her arm still hung in a sling ; the gold heart still nestled in the folds of her white pinafore. « How do you do ? » Her voice and her bangles tinkled welcome.
         They sat down. « Tea, please », she said, as the old woman shut the door. And Miss Phil nestled back in the chair in the inimitable fashion of the kitten-woman. Let it be understood by the fair, that this accomplishment of subtly caressing and yielding to the arms of a chair, or a sofa nook, is not to be attained by the athletic lady. Her spine has lost the art. It is for ever incompatible with riding the bicycle. Streake regarded Miss de Maupassant with a sense of quickening. « I had given up expecting to hear from you », she said softly.
         « Well, you see » - he shifted his position in the creaking wicker-chair - « it is difficult to - One personal interview is better than twenty letters. »
         The girl looked at him attentively. He fancied she repressed a smile. Something in her covert satisfaction made him remember that in her leisure moments she « observed life. » He creaked uncomfortably in his low seat, and then said almost brusquely : « The fact is I wrote you a letter on Monday. »
         « On Monday ! I never got it. »
         « No, I tore it up. »
         A new animation shone in her face. « Really ! I believe the only letters worth reading are those that aren't sent. »
         « You're very kind. » Streake beamed. He was certain she had paid him a compliment. He was making himself interesting to this young genius, with the keen unerring eye for character, and instinctive - appalling - understanding of men. How had she arrived at that « last chapter » ? Can imagination walk that perilous road alone ? Or was this surface decorum a bit of clever playing ? Was she -  ? In any case he was « seeing life » too.
         « What did you say in your letter ? » she asked. « Something very rash ? » She smiled in a way that went to his head like wine. He creaked out of his chair, and walked to the open window. « Whether the letter was rash », he said, turning and facing her, « depends on the kind of person you are. »
         « O ! » She followed him, smiling, and stood at the other side of the window, leaning daintily against the red curtain.
         « I wish I knew you better », said Streake fervently.
         « So do I. » She drew her small forefinger along the window-sill, making invisible patterns.
         « I could advise you so much better. »
         « O ! advise ! » She smiled up at him with the most provocative air in the world. He recalled one of the « steep » scenes in Initiation, and his head, unused to these high altitudes, began to swim.
         « You need a friend », he said, « someone who has your interests at heart. » He drew a step nearer. Miss de Maupassant melted into the folds of the curtain, and stared out at him coldly.
         « Someone to manage your affairs », he said, feeling unaccountably snubbed. (This was not the way the lady behaved in Initiation.) « Someone who has your confidence, and the privilege of plain speaking. »
         « I don't mind any amount of plain speaking. » He did not catch the illuminating emphasis - he only saw the smile. It drew him closer to the enveloping red curtain.
         « Be careful ! » she said sharply, and all the bangles rang minute alarums.
         « What is it ? » He started back.
         « You accidentally jarred my elbow - that's all ! »
         « I beg your pardon. »
         « You can't imagine how painful my arm is », she smiled apologetically.
         « O I'm so sorry ! » - and he looked it.
         « I can't think why we don't have our tea. » She crossed the room, and rang. Streake returned to the wicker-chair, a sadder and a wiser man. « It is quite true I do need a friend », said Miss de Maupassant, curling down in her corner once more. « I need someone to realise my capacities, and help me to make the most of them. By-and-bye I shall have plenty to believe in me. » Streake agreed, a trifle gloomily. « But it's now that someone can really help me, as you say. I wonder if you are going to be my friend ? » she inquired, with an air so fetching that Streake revived a little. However, he wasn't going to fall into the same trap again.
         « As I was saying », he resumed in his business manner, « you do need someone to advise you. Someone who can speak plainly to you without offence. »
         « Exactly », she nodded.
         « You may not like my taking the liberty - I don't know if you know, but I'm a married man. »
         She stared, and bit her lip enigmatically. Streake felt it was a blow to her. « I hope », she said politely, « I hope Mrs. Streake is quite well ? »
         « O - a - thank you - Yes. What I meant to say was, being a family man, I needn't hesitate -  »
         « No - no - pray don't hesitate. »
         But he did. « I like married men », she said encouragingly, as though she were owning to exotic tastes. « Bachelors are so self-conscious. »
         « O you find that ? »
         « Well, you can't make a friend of an unmarried man. He's always thinking the girl may have designs. »
         « Just so. » Streake saw the advantage of his position. Plainly he was the person predestined to be guide, philosopher, and friend to this gifted young charmer.
         « In the other case », said the girl slowly, « it is usually the married man who has the designs. »
         « You have a very low opinion of human nature. » Streake spoke with severity. He felt his honour impugned.
         « I said usually », repeated Miss de Maupassant calmly, as the tea came in.
         « Since you recommend plain speaking », said Streake, when the old woman had retired, « I had better say at once that we can publish your book only on certain conditions. »
         « And those conditions ? » She handed him his cup, and pushed the milk and sugar towards him across the naked tray.
         « That you accept certain alterations suggested by our reader. »
         Miss de Maupassant drew herself up and her pinafore down. « And what are these alterations ? »
         « You will receive the MS. Monday with the changes marked. » She took in her breath sharply. « We don't ask you to make any radical change - only a few cuts. » Disdain deepened round the full red lips as she asked with dignity : « Who is your reader ? »
         « O - a - a man we have great confidence in. »
         « Is he a littérateur ? »
         « O he's a very clever fellow. »
         « What has he written ? »
         « You see, we have all read your book. It doesn't depend on any one opinion. »
         She eyed the publisher with ill-disguised scorn. « And do you 'all' usually do this kind of thing for your authors ? »
         « Well - a - all books are not like Initiation. »
         « No ! ! ! » she breathed along a scornful crescendo.
         « Frankly, there are things in Initiation that the public won't stand. »
         « Then let the public skip if it can't stand. »
         « That's just what it won't do. We are running a great risk in publishing your story at all. » She opened wide her heaven-blue eyes. « They stand this kind of thing in France », he quoted, « but here - » He shook his head.
         « What 'kind of thing' do you mean ? »
         « Well - a - » Streake looked into his saucer. « Your last chapter, for instance. »
         « What's wrong with my last chapter ? » He stirred the dregs in the bottom of his cup. « You said you liked it. »
         « It's wonderful - very fine indeed. »
         « Then why not publish it ? »
         « The critics would be awfully down on you. »
         « The critics ! » She threw her curly head softly back and laughed. « You haven't got such a thing in this country. »
         « Not got any critics ! » Streake stared.
         « Not one ! » she said gaily. « As for the book reviewers - » She shrugged, under her pinafore.
         « They might say unpleasant things », Streake hastened to observe : « things that would be disagreeable for a lady to hear. »
         « I wouldn't hear them ! I know better than to listen. Have some more tea ? »
         « No, thank you. You mustn't mind if I tell you that the papers would be sure to say Initiation was immoral. »
         « I'd just as soon they'd say that as anything else. » (Streake felt that his Initiation was only beginning.) « The mere fact », she went on calmly, « the mere fact that they bring in the question of morals, shows how little they understand Art. They might as well bother us about Bi-metallism. »
         « Yes, but still -  »
         « Isn't it time for English Letters to be cut loose from the British Matron's apron-string ? » (Streake seemed to consider the proposal.) « Why is Art so flourishing in France ? » the Shepherdess asked. (Streake couldn't on the spur of the moment say why it was.) « Do you suppose we shall ever have great novelists in England while publishers are so timid ? Who dares to write his best ? »
         « Well - one 'did,' you know. »
         « Exactly. I do, and see the result ! » She threw out her little hand despairingly.
         « What are your other books like ? »
         She shook her curls. « Farther away from the dull English fairy-tale than even Initiation. Plainly the bourgeois British reader and I won't agree. I look life in the face - as Maupassant did. »
         There was a loud double knock at the outer door. « If you don't publish Initiation », she exclaimed in a fresh access of scorn - « I tell you frankly it's been to every publisher in London - if you don't do it, I'll have it translated into French. »
         The old woman came in with a telegram. « Why, it's for you », said the Dresden Shepherdess, handing the yellow envelope across the tray. Streake tore it open and read : - « Johns has found story of 'Initiation' in obscure French novel. All the striking part sheer plagiarism. - Merriman. » He read the message twice, and folded it carefully.
         « I'm afraid you have bad news », said Miss de Maupassant gently.
         « Yes - at least - O it doesn't matter. » He put the telegram in his pocket. « No answer, thank you. » The old woman vanished. « A - you were saying ? » said Streake vaguely.
         « That if you didn't take my book, I'd bring it out in Paris. »
         « That would be very daring. » He looked at her steadily. The liquid blue of her eyes was cloudless and untroubled. He drew out his watch. « Ha ! I'm late. Good-bye, I'll write you finally about your book on Monday. » It was a hurried leave-taking. Miss de Maupassant clasped her heart of gold, and said a wistful good-bye. For one moment Streake wavered. Then he turned and fled.
         He permitted Merriman to dictate the letter that went back with the MS. on Monday.


    Léon RIOTOR, Les Taches d'encre, roman, Paris, Lemerre, 1931, p.47-48.
           « Rue Montmartre, milieu traditionnel des journaux, on s'entretenait du succès du Flambeau. Au café de la Presse, Bellart attendait Laroudie, en compagnie du docteur Magnan. A une table voisine, s'agitait Guy de Maupassant, dont Gil Blas publiait en feuilleton « Une vie ». On disait ce jeune normand, rond-de-cuir intermittent au ministère de la Marine, fils naturel de Gustave Flaubert. Large, sanguin, teint de brique, cheveux bouclés sur le front, garçon boucher calamistré, il parlait à un serveur. Sa voix sourde, fêlée, ses gestes brusques, attirèrent l'attention du médecin aliéniste.
           – Regardez, murmura-t-il. Cet homme tuera quelqu'un, ou bien, il se tuera lui-même. Abus des excitants, de la femme peut-être, paroxysme des centres nerveux.
           Laroudie entrait, exubérant, souriant, les mains tendues. « Ah ! ah ! vous voilà, beau gas (sic) de Vire… » Il n'acheva pas : Maupassant se dressait, véhément, le verbe haché. « C'est bien ! c'est bien ! » fit l'autre interloqué, tandis que le romancier retombait sur sa chaise.
           – Vous voyez, murmura le docteur, cet étrange accès de surestimation de son moi, sa fureur devant une familiarité qu'il juge insolente. C'est ce que nous nommons un paranoïaque. Il ira du simple délire mental au délire confirmé…
           Par la suite, Bellart devait se souvenir de ce diagnostic, lorsque, après l'ascension dans le « Horla » du capitaine Jovis, on sut que Maupassant se croyait Dieu et qu'il jugeait malséant, irrespectueux, qu'on osât lui parler.
           – En résumé, ajouta le docteur Magnan, la paranoïa sévit de préférence dans les milieux intellectuels. Vous avez lu ce matin encore, Maupassant affirmant « Coram populo » : « Deux choses déshonorent un écrivain, la décoration et l'Académie ». Ces agressions injustifiées, c'est de la paranoïa.
           – Alors, répliqua Laroudie, qui n'aimait ni la chasse ni la pêche, si je lui criais que la chasse et la pêche sont des passe-temps de brutes et de crétins, je ferais de la… comme vous dites ?
           – Vous semblez insinuer, docteur, observa Bellart, que nous sommes tous plus ou moins fous ?… »


    Jules ROMAINS, Les Hommes de bonne volonté, t. XVIII, La Douceur de la vie (1939), Paris, Flammarion, 1939 [s.d.], p.93-94.
    A Nice, hiver 1919-1920, Pierre Jallez assiste à une conférence intitulée « Maupassant et l'amour », donnée par George Allory, de l'Académie Française.
           « Vers les cinq heures dix, George Allory est apparu sur l'estrade. C'est un de ces hommes qui n'appellent pas la description. Il ressemble à ses photographies, avec un visage un peu plus fatigué, une calvitie plus gênante (il se penche souvent sur ses notes), des moustaches beaucoup plus courtes. Pour un homme que l'Académie a repoussé tant de fois, il ne fait pas vieux ; à moins que ce ne soit sa récente élection qui l'ait rajeuni. Il a le teint rose, le regard assez doux. Je dois dire que sa voix n'est pas désagréable ; et que si l'on parvenait à l'écouter sans attacher aucune importance à ce qu'il dit, on lui accorderait un talent de causeur.
           Malheureusement, il y a ce qu'il dit. Ce n'est pas très agressif ; ce n'est pas d'une fausseté criante, ni d'une bêtise à pleurer. Dans ces travaux de la paix revenue, on ne reconnaît pas le prodigieux bélître du Poilu de Verdun. Donc, c'est que dans ses ordures du temps de guerre, il y avait une bonne part d'ânerie voulue, de mimétisme laborieux, de lâcheté militante (le contraire étonnerait). Aujourd'hui il serait odieux – si le mot n'est pas trop gros – d'une autre façon. Pas une seule de ses phrases n'a un son d'authenticité. Tout son effort, semble-t-il, est de deviner ce qui, à un public d'une bonne ignorance et d'une bonne hypocrisie moyennes, va sembler distingué, un peu piquant, rassurant et moral en dernière analyse. Le plus intolérable, c'est l'accent non de la voix, mais de la pensée ; le ton protecteur qu'elle se donne, la modération apitoyée des jugements. Il s'est arrangé pour être perpétuellement à côté (du moins quand j'écoutais). Tout ce qu'il a dit de Maupassant, un homme bien ne l'aurait pas dit. Et inversement. Par exemple, chez cet écrivain robuste mais épais, dépourvu de toute transparence comme de tout mystère, chez ce jouisseur dont les mélancolies ne dépassent guère celles d'un patron boucher, il a justement loué les descriptions et les couplets faussement poétiques, déjà vulgaires et tocards quand Maupassant les écrivait, comme on peut s'en convaincre en voyant à quel point des pages plus anciennes de Flaubert, ou beaucoup plus anciennes, de Hugo, même de Chateaubriand, sont infiniment moins devenues poncives et coco. C'est ailleurs ce Maupassant-là qui a fourni des plus écoeurants clichés la plèbe d'auteurs de contes et nouvelles qui a sévi pendant toute ma jeunesse dans les journaux, toute cette humble littérature de chez Dufayel, où se sont perdus quelques vrais talents, littérature qu'heureusement la guerre semble avoir un peu démonétisée : « Ils s'enlacèrent éperdus dans la gloire du soleil couchant... ». « Sa chair frissonnait dans l'extase de la caresse... ».
           En revanche, tout ce que Maupassant possède de franchise, de verdeur, de lucidité cynique, de santé, tout ce qu'il tient de la tradition française « sans coeur » et du fabliau, notre Allory l'a condamné ou enveloppé d'un regret indulgent. Il a spécialement déploré le caractère charnel qu'a toujours la passion amoureuse chez Maupassant, et les éléments malsains qui plus d'une fois s'y glissent. Notre Allory est évidemment un idéaliste en amour. Un de ces idéalistes qui vous donnent aussitôt envie de relire Rabelais. »


    François-Olivier ROUSSEAU, Sébastien Doré, roman, Paris, Le Mercure de France, 1985, p.367-368.
    Comblé par la gloire et déçu par la vie, Sébastien Doré, pianiste virtuose applaudi par le tsar de Russie, se retourne sur le jeune homme qu'il fut.
    « C'est que la véritable consécration d'un don exceptionnel, l'apothéose d'un artiste, ne sont pas dans le triomphe mais dans l'abaissement qui suit quelquefois le triomphe. Il faut survivre à ses succès le temps de goûter cette défaveur, cette dérision, cette déchéance parfois, qui marquent in extremis la carrière des plus grands. Devenir célèbre, ce n'est rien. Être fêté, applaudi, ce n'est rien. Mais ouvrir la main sur tout cela et, dans l'humiliation délibérément recherchée de soi-même et de son art, bafouer sa gloire passée en trahissant l'admiration quiète de ceux qui vous l'ont donnée, c'est révéler la nature essentielle du talent qui ne se possède tout à fait ni ne se soucie d'être apprécié. C'est aussi, en lui donnant cette forme d'antithèse, relever sa vie d'un effet clair-obscur qui caractérise les destinées hors pair. Ce dément malmené par des infirmiers brutaux était Schumann ; ce syphilitique qui, dans une identification dans fonctions du corps à la métaphore même de la création, croyait avoir le ventre plein de pierres précieuses, s'appelait Maupassant et ce pochard que l'on expulsait des cafés, Oscar Wilde… Si un détail de sa vie pouvait convaincre malgré tout que Corneille avait du génie, c'est l'image du vieux poète tragique attendant dans l'échoppe d'un cordonnier qu'on ait réparé son unique paire de chaussures… Le public, disait Gustave Berg avec un ricanement, est une entité qui n'existe que par le mépris que les vrais artistes, à leur tour, ne se discernent que par le mépris où le public les a longtemps souillés de son estime les laisse retomber. Je n'aurai pas connu la cruauté du personnel des asiles de fous, ni les mirages scatologiques du tabès, ni la misère des semelles percées, ni l'opprobre des sodomites. Il n'y a rien dans ma vie qui puisse donner prise à la légende et c'est juste car j'aurai été tout du long un médiocre. »


    Arthur SCHNITZLER, « Mademoiselle Else » (1924), dans Romans et Nouvelles, II (1909-1931), édition préfacée et annotée par Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent, traduction de Henri Christophe, Paris, L.G.F., La Pochothèque, Classiques Modernes, 1996, p.488-489. [titre original : Fraülein Else].
         « Etrangement inquiétant, gigantesque, le Cimone, comme s'il devait s'abattre sur moi ! Pas d'étoiles dans le ciel, pas encore. Cet air, c'est du champagne. Et l'odeur des prés ! Je vivrai à la campagne. J'épouserai un gros propriétaire et j'aurai des enfants. Le docteur Froriep est le seul peut-être avec qui j'aurais pu être heureuse. Quelles belles soirées, coup sur coup, l'une chez Kniep, et l'autre au Bal des Arts. Pourquoi a-t-il disparu si subitement… pour moi, du moins ? A cause de Papa ? Probable. J'aimerais lancer un salut à cet air, dehors, avant de redescendre parmi la racaille. A qui adresser ce salut ? Je suis toute seule. Je suis terriblement seule, personne ne peut l'imaginer. Salut à toi, mon bien-aimé. Qui ? Salut à toi, mon fiancé ! Qui ? Salut à toi, mon ami ! Qui ?... Fred ?... Penses-tu ! Voilà, la fenêtre restera ouverte. Même s'il fait frais. Eteindre la lumière. Voilà… Ah, la lettre ! Je la prends avec moi, au cas où. Mon livre sur la table de chevet ; je continuerai Notre coeur cette nuit, quoi qu'il advienne. Bonsoir, belle demoiselle dans la glace, gardez un bon souvenir de moi, et au revoir. »


    Christian SIGNOL
    - Bonheurs d’enfance, Paris, Albin Michel, 1996, p.82. idem, Trésors d’enfance, Paris, France Loisirs, 1995, p.49-50.
    L’auteur se remémore des souvenirs d’enfance.
         « Pas plus que le ronronnement des heures de lecture et des textes ânonnés dans les langueurs des après-midi interminables. Les auteurs en étaient des écrivains d’avant-guerre, le plus souvent d’origine provinciale : André Chamson, Joseph de Pesquidoux, Louis Guilloux, Eugène Fromentin, Jean Guéhenno, Maurice Genevoix, Jules Renard ; des classiques aussi : Chateaubriand, Balzac, Lamartine, Guy de Maupassant. Je ne me souviens pas du nom de l’auteur, mais je n’ai jamais oublié ces lignes qui évoquaient tour à tour une vieille femme paralysée à qui son petit-fils faisait visiter une dernière fois son domaine en automobile ; un enfant dont le père rentrait le soir, abattu, et à qui sa mère apprenait « qu’il venait de perdre son travail » ; ces élèves, qui, sur une route mystérieuse, devaient se ranger pour laisser passer des troupeaux dévastant tout sur leur passage ; une chasse au faucon, enfin, lue un lundi après-midi, j’en suis certain, comme si cela ait eu une importance qui m’échappe aujourd’hui. Pourquoi ces pages-là et non pas d’autres ? Il serait intéressant de connaître à quelles lois obéit la sélection effectuée par notre mémoire. »



    - Les Chênes d’or, roman, Paris, Albin Michel, 1999, p.132  rééd. Paris, Le Livre de Poche ; 15072, 2004, p.134.
    Le roman se passe en Dordogne. Mélina connaît la terre depuis toujours. Dès l’enfance, son père lui a fait découvrir les secrets de la truffe qui pousse sous les chênes des forêts périgourdines.
         « Le mari de leur hôtesse apparut bientôt, et Mélina comprit qu’Albine en était contrariée. C’était un homme sévère, en costume noir et col dur, qui travaillait à la préfecture. Heureusement, il déjeuna très vite et ne s’attarda pas. Une fois qu’il fut parti, Albine et son amie envoyèrent Mélina dans la bibliothèque afin de pouvoir discuter à leur aise. Elle se mit à feuilleter un livre de Guy de Maupassant, mais elle renonça bien vite à la lecture et s’approcha de la fenêtre pour essayer d’apercevoir le champ de foire qui ne se trouvait pas très loin. Elle observa avec amusement les gens : femmes en toilette, hommes en costume, marchands en blouse, ménagères en tablier noir qui s’y rendaient ou en revenaient avec une sorte d’agitation, de fébrilité, qui l’étonnait beaucoup. »



    - Un matin sur la terre, roman, Paris, Albin Michel, 2007, p.152-153.
    Soldat durant la guerre de 1914-1918, Pierre Desforest attend l'armistice à 11h en ce 11 novembre 1918. Il se remémore son enfance et ses lectures.
         « Il se mit à lire beaucoup, le plus souvent en cachette, car la censure était stricte, au collège, et la surveillance permanente. Mais de nombreux livres circulaient sous le manteau, et de toute façon il pouvait lire en toute liberté à Lanouaille. London, Kipling, Daudet, Balzac, Maupassant, bien d'autres s'ajoutèrent à tous ceux qui étaient autorisés à Périgueux, et dont l'étude, dès le début, avait passionné Pierre. D'autant que son professeur de lettres était également son confesseur : le père Paret, lequel avait décelé chez son élève des qualités peu ordinaires. À tel point qu'il tenta de l'influencer, lui suggérant que le grand séminaire lui permettrait d'effectuer de brillantes études dans lesquelles il trouverait l'épanouissement auquel il aspirait.
         Pierre eut l'intelligence de ne pas heurter son confesseur, mais il n'avait pas la vocation. En outre, il était hostile de tout son être à ce milieu clos sur lui-même qui interdisait la perception du monde sensible, un monde qui lui était aussi nécessaire que l'air qu'il respirait. »


    Georges SIMENON
    - Les Quatre Jours du pauvre homme (1949), Oeuvre romanesque, Paris, Presses de la Cité, 1988, t. III, p.675.
         « Ce n'étaient pas des châteaux, que Raoul désignait, mais d'importantes maisons de campagne, comme en possédaient les gros bourgeois du siècle dernier.
         – On te l'a montrée en passant, n'est-ce pas ? Tu te souviens de l'air résigné de maman quand elle soupirait :
         « – C'est ici que je suis née. Jusqu'à l'âge de quinze ans, j'ai eu ma femme de chambre personnelle, mon institutrice, mon poney…
         Tu veux que je te récite la litanie ? Tu es né longtemps après moi, mais on a dû te bercer avec les mêmes chansons. Maman était intarissable.
         – Tout près de nous, c'était la maison de Maupassant, et, de l'autre côté, habitait un roi en exil…
         Peut-être t'a-t-elle cité Émilienne d'Alençon et quelques autres horizontales de l'époque qui avaient leur maison d'été dans les environs. »


    - Maigret à Vichy (1967), Oeuvre romanesque, Paris, Presses de la Cité, 1988, t. 13, p.820.
    L'inspecteur Maigret enquête sur la mort d'une vieille dame solitaire.
         Derrière la librairie, une pièce était couverte du plancher au plafond de livres reliés de toile noire.
         – Elle passait souvent une demi-heure, voire une heure, à examiner les volumes, lisant quelques lignes par-ci par-là…
         – Sa dernière lecture a été Lucien Leuwen, de Stendhal.
         – Stendhal était sa plus récente découverte… Elle a lu auparavant tout Chateaubriand, Alfred de Vigny, Jules Sandeau, Benjamin Constant, Musset, George Sand… Toujours les romantiques… Un jour, elle a emporté un Balzac, je ne sais plus lequel, et elle est venue le rendre le lendemain… Je lui ai demandé si cela lui avait déplu et elle a répondu quelque chose comme :
         « – C'est trop brutal… »
         Balzac, brutal !...
         – Pas d'auteurs contemporains ?
         – Elle n'a jamais essayé… Par contre, elle a lu et a relu la correspondance de George Sand et celle de Musset…
         – Je vous remercie…
         Il atteignait presque la porte quand le libraire le rappela.
         – J'oubliais un détail qui vous amusera peut-être. Je m'étais étonné de trouver des livres annotés au crayon. Des phrases ou des mots étaient soulignés. Parfois il n'y avait qu'une croix en marge. Je me suis demandé quel client avait cette manie et j'ai fini par découvrir que c'était elle…
         – Vous lui en avez parlé ?
         – Il le fallait bien… Mon commis ne pouvait passer son temps à gommer ces marques…
         – Quelle a été sa réaction ?
         – L'air pincé, elle a dit :
         « – Je vous demande bien pardon… Lorsque je lis, j'oublie que les livres ne sont pas à moi… »
         Les curistes, les troncs clairs des platanes, les taches de soleil étaient à leur place ainsi que les milliers de chaises jaunes.
         Elle trouvait Balzac trop dur… Elle voulait sans doute dire trop réaliste… Elle se cantonnait dans la première moitié du XIXe siècle, ignorant superbement Flaubert, Zola, Maupassant…


    Antonio TABUCCHI, Pereira prétend, traduction de l'italien par Bernard Comment, Paris, Christian Bourgois éditeur, 1995, p.52-53. [titre original : Sostiene Pereira (1994)].
    Le roman raconte le mois d'août 1938 au Portugal à travers Pereira, vieux journaliste solitaire qui écrit dans Le Lisboa.
           « Il songea à revoir l'article qu'il avait écrit sur Pessoa pour la rubrique « Ephémérides », mais il décida que ça allait bien ainsi. Alors il se mit à lire le récit de Maupassant qu'il avait traduit lui-même, pour voir s'il y avait des corrections à faire. Il n'en trouva pas. Le récit était parfait et Pereira s'en félicita. Du coup, il se sentit un peu mieux, prétend-il. Puis il sortit de la poche de son veston un portrait de Maupassant qu'il avait trouvé dans une revue de la bibliothèque municipale. C'était un portrait au crayon, fait par un peintre français inconnu. Maupassant avait un air désespéré, avec une barbe mal rasée et les yeux perdus dans le vide, et Pereira pensa que c'était parfait pour accompagner le récit. Du reste, c'était un récit d'amour et de mort, cela demandait un portrait qui penchât vers le tragique. Il fallait un encadré au milieu de l'article, avec les principales informations biographiques sur Maupassant. Pereira ouvrit le Larousse qu'il avait sur son bureau et se mit à recopier. Il écrivit : « Guy de Maupassant, 1850-1893. Avec son frère Hervé, il hérita de leur mère une maladie d'origine vénérienne qui le conduisit d'abord à la folie, puis jeune, à la mort. A vingt ans, il participa à la guerre franco-prussienne, et travailla au Ministère de la Marine. Ecrivain de talent, à la vision satirique, il décrivit dans ses nouvelles les faiblesses et la méchanceté d'une certaine société française. Il écrivit aussi des romans à grand succès comme Bel-Ami et le roman fantastique Le Horla. Atteint d'une crise de folie, il fut hospitalisé dans la clinique du Docteur Blanche, où il mourut pauvre et abandonné. » »


    Anton TCHEKHOV
    « Au royaume des femmes » (1894), dans Nouvelles, préface, traduction et notes de Vladimir Volkoff, Paris, L.G.F., La Pochothèque, Les Classiques modernes, 2002, p.731-732.
           « –Toute la littérature nouvelle, comme le vent dans la cheminée, geint et hurle : « Ah ! infortuné ! Ah ! ta vie est comparable à une prison ! Ah ! comme ta prison est obscure et humide ! Ah ! tu périras sûrement, il n'y a point de salut pour toi ! » C'est sublime, mais je préférerais une littérature qui enseignerait à s'évader de la prison. D'ailleurs, de tous les écrivains contemporains, je ne lis guère – un peu – que Maupassant. (Lyssévitch ouvrit les yeux.) C'est un bon, un excellent écrivain ! (Lyssévitch commença à bouger sur son divan.) Un artiste étonnant ! Un artiste terrible, monstrueux, surnaturel ! (Lyssévitch se leva et dressa sa main droite.) Ah ! Maupassant ! dit-il en extase. Ma charmante, lisez Maupassant ! Une page de lui vous donnera davantage que toutes les richesses de la terre ! A chaque ligne, un horizon nouveau. Les états d'âme les plus doux, les plus tendres, font place à des sensations fortes, passionnées ; votre âme, comme sous la pression de quarante mille atmosphères, se transforme en un fragment insignifiant d'une substance indéterminée de couleur rosâtre qui, me semble-t-il, si on pouvait le poser sur sa langue, produirait un goût âpre et voluptueux. Quelle débauche de liaisons, de motifs, de mélodies ! Vous reposez sur un lit de roses et de muguets, et soudain une pensée épouvantable, sublime, irrésistible vous fonce dessus à l'improviste, comme une locomotive, vous noie dans sa vapeur brûlante et vous assourdit de son sifflement. Lisez, lisez Maupassant. Ma charmante, je l'exige.
           Lyssévitch gesticula avec ses bras, et, très agité, traversa la pièce en diagonale.
           –Non, c'est impossible, proféra-t-il, apparemment désespéré. Son dernier récit m'a épuisé, m'a enivré ! Mais je crains que vous n'y restiez indifférente. Pour en être possédé, il faut déguster, exprimer lentement le suc de chaque ligne, il faut boire... Il faut le boire ! »


    La Mouette (1896), traduction de 1973 due à Génia Cannac et à Georges Perros, dans Théâtre complet, Gallimard, Folio n°393, 1999, p.292-293.
    A l'Acte I, Constantin Gavrilovitch Tréplev, fils de Madame Trepleva, actrice, discute du théâtre contemporain avec son frère Piotr Nickolaévitch Sorine.
    « Quand le rideau se lève, et qu'à la lumière artificielle, dans une pièce à trois murs, ces fameux talents, ces archiprêtres de l'art sacré nous montrent comment les gens mangent, boivent, aiment, portent le complet-veston ; quand avec des phrases et des tableaux triviaux on essaie de fabriquer une morale de trois sous accessible à tous, utile dans le ménage ; quand, grâce à mille variantes, on me sert, encore et encore, la même sauce triste, alors je fuis, je fuis comme Maupassant fuyait la Tour Eiffel, dont la vulgarité lui broyait le crâne. »


    TRÉBLA [Albert DELVAILLE], « La troublante aventure de Simonin Peschet », Le Figaro, supplément littéraire, n°88, 5 décembre 1920, p.2.

           « Cela se passait entre intimes, dans le fumoir du docteur B… La présence d’un petit guéridon sur quoi reposait un cendrier avait orienté la conversation vers les tables tournantes. Notre hôte, par un haussement d’épaules significatif, ratifiait les sarcasmes que ne manque jamais de soulever un pareil sujet.
           – Et pourtant, elles tournent ! s’écria Max Hovard, moins empressé d’affirmer sa conviction que de parodier le mot de Galilée. Comme nous le regardions, étonnés :
           – Oh ce n’est pas, repartit l’élégant attaché d’ambassade, que je sois le spirite militant que vous pensez, mais je ne puis me défendre d’une certaine foi dans l’occultisme et d’une confiance très ferme dans son avenir.
           – Sur quels faits, vous basez-vous ? questionna l’un d’entre nous.
           – Sur une simple histoire, répondit Max Hovard. Elle n’a trait aucunement à ces expériences suspectes dont les comptes rendus parcourent le monde, mais elle relate une aventure inquiétante et rigoureusement authentique.
           – Racontez.
           – Soit !
           Et tandis qu’un fin sourire éclairait son visage glabre aux yeux clairs, ayant poussé au plafond la fumée de sa cigarette, il commença :
           – Vous n’ignorez pas, messieurs, qu’avant d’aborder la carrière diplomatique, j’ai quelque peu trempé dans le journalisme. Ne mène-t-il pas à tout ? Or, je fis, à cette époque, la connaissance, parmi les salles de rédaction, d’un certain Simonin Peschet, dont j’ai, depuis, complètement perdu la trace.
           Ce Simonin Peschet, bien qu’il dût se contenter de n’être encore qu’un vague reporter, nourrissait de grandes ambitions. Imbu de qualités soi-disant merveilleuses de son imagination et de son style, d’avance il en escomptait la réussite et rêvait la gloire de nos littérateurs les plus fameux.
           Jugez des rancœurs amères que se préparait le malheureux garçon, quand je vous aurai dit que son talent se réduisait à peu de chose et que, malgré son esprit délicat – on peut être à la fois un analyste subtil et un piètre écrivain – il n’était l’auteur, au demeurant, que de médiocres élucubrations.
           On le lui fit bien voir ; on essaya du moins, car de directions en directions, de librairies en librairies, il promena longtemps et vainement ses manuscrits précieux.
           Á ce jeu déprimant et cruel, il s’aigrissait tous les jours davantage.
           – Cela se conçoit, dit quelqu’un.
           – Oui, mais le dépit de Simonin Peschet, spécifia Max Hovard, avait ceci de particulier, qu’il se concentrait en quelque sorte dans une haine obsédante à l’égard, non point de vivants, mais de quelques écrivains morts.
           Sans raison déterminée, il vouait à Guy de Maupassant une aversion particulière.
           – D’où vient sa réputation surfaite de conteur et de romancier à ce photographe banal des gens et des choses ? Oh ! ce Maupassant, se plaisait-il à répéter… Ce Maupassant !...
           Cela tournait à l’idée fixe.
           Certain jour, Simonin Peschet écrivit une nouvelle qui lui parut remarquable, il en avait trouvé spontanément l’intrigue et l’avait rédigée avec une facilité qui l’étonna lui-même. Plein d’espoir dans le résultat, il la recopia soigneusement et l’adressa bien vite à l’une des revues les plus en vogue. Cette nouvelle était intitulée : La Peur, et contenait entre autres paragraphes, celui-ci :
           « C’était l’hiver dernier, dans une forêt du nord-est de la France. La nuit vint deux heures plus tôt, tant le ciel était sombre. J’avais pour guide un paysan qui marchait à mon côté, par un tout petit chemin, sous une voûte de sapins dont le vent déchaîné tirait des hurlements. Entre les cimes, je voyais courir des nuages en déroute, des nuages éperdus, qui semblaient fuir devant une épouvante.
           » Parfois, sous une immense rafale, toute la forêt s’inclinait dans le même sens, avec un gémissement de souffrance ; et le froid m’envahissait, malgré mon pas rapide et mon lourd vêtement. »
           – Saisissant tableau, observa le docteur B…, mais, tudieu ! mon cher Hovard, comment diable vous rappelez-vous si nettement ces lignes ?
           – Je pourrais vous citer les autres, de la première à la dernière, répondit l’attaché d’ambassade. Ma mémoire a ses raisons ; vous les comprendrez tout à l’heure.
           La nouvelle de Simonin Peschet se poursuivait ainsi dans une forme élégante et robuste, messieurs, joliment colorée, admirablement sobre et nette. Elle en arrivait au récit poignant des affres d’un halluciné, qui prenait pour ceux d’un spectre, les deux yeux de son chien, sur lui fixés dans la nuit.
           – Excusez mon interruption, fit une voix dans l’assistance, mais quel rapport tout cela peut-il bien avoir avec le spiritisme ?
           – Patientez, répliqua Max Hovard, et il continua :
           Peu de jours après, l’auteur de La Peur reçut une lettre des bureaux de la revue où il avait adressé son manuscrit. On le priait de passer, pour affaire le concernant, et je vous laisse à deviner l’empressement avec lequel il se rendit à cet appel prometteur.
           Ce fut chez le secrétaire de la rédaction qu’on l’introduisit :
           – M. Simonin Peschet, n’est-ce pas ? interrogea celui-ci. Il n’attendit aucun salut ni acquiescement, se renversa dans son fauteuil pour mieux toiser son visiteur, puis après une pause qui parut un siècle, il reprit :
           – Eh bien, monsieur Simonin Peschet, j’ai rencontré dans ma vie des gens audacieux, mais qui le fussent autant que vous, jamais !... Connaissez-vous Guy de Maupassant ?
           – Trop, beaucoup trop, fut la réponse, prélude d’imprécations nouvelles contre le célèbre et délicieux écrivain de la Petite Roque.
           Mais le secrétaire de la rédaction arrêta cet élan et dit :
           – Je me suis rendu compte, en effet, que vous le connaissiez très bien, puis il ajouta, sarcastique : Vous n’ignorez pas qu’il est, comme vous, l’auteur d’une nouvelle qui s’appelle la Peur, laquelle, d’un bout à l’autre est pareille à la vôtre ?... Quoi ?... Vous paraissez douter ?... Ne vous donnez point cette peine, monsieur, consultez ce volume qui vous convaincra, je l’ai mis de côté tout exprès pour vous.
           Il tendit à Simonin Peschet un livre ouvert à la page même où celui-ci put lire : la Peur. Le texte imprimé suivait, mot pour mot, alinéa pour alinéa, absolument identique à celui du manuscrit déposé.
           – Parbleu s’écria-t-on, l’un avait été copié sur l’autre.
           – Non, monsieur, affirma vigoureusement Max Hovard, et c’est bien ce qui vous trompe. Le pauvre auteur de la seconde Peur était un honnête homme ; il ignorait sincèrement la première.
           – Je vous vois venir avec vos gros sabots, ricana le docteur B..., vous voulez insinuer, mon cher ami, que c’était M. de Maupassant, l’esprit de M. de Maupassant qui jouait un vilain tour à son détracteur ?
           – Pardon, fit le narrateur, je n’insinue rien et je ne conclus pas. C’est à vous tous que je laisse le soin d’induire de cette aventure ce qui vous plaira.
           – Vous êtes un naïf, Max Hovard, riposta le maître de la maison, et votre Simonin Peschet n’était qu’un vulgaire plagiaire !
           La physionomie de l’attaché d’ambassade devint grave, il fixa sur nous ses prunelles glauques et sur un ton qui, cette fois, n’admettait plus de réplique, il prononça :
           – Simonin Peschet, messieurs, je vous le répète encore, était un honnête homme, Simonin Peschet ignorait totalement et n’avait donc pas copié la nouvelle de Guy de Maupassant, Simonin Peschet pourrait vous le jurer, Simonin Peschet vous le jure, car Simonin Peschet – c’est de ce nom que j’ai signé, jadis, mes premiers essais – Simonin Peschet… c’était moi ! »



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