Michel LE BOURHIS, Échancrure, Paris, Seuil, Karactère(s), 2007, p.10-11.
Dans ce roman pour adolescent (à partir de 13 ans), Thomas, collégien à problèmes, a pris l'habitude de voler des livres dans les bibliothèques et les grandes surfaces. Jusqu'au jour où il est attiré par un volume de la Pléiade...
« Je me suis frotté les paumes sur mon jean, et j'ai capturé une de ces beautés. Une qui ne demandait qu'à vivre, justement, qu'à respirer, et qu'à donner du bonheur à celui qui la choisirait. Elle a glissé sur l'étagère, et j'ai inspecté son dos d'un doigt méticuleux. Tout lisse, à cause de la feuille de Rhodoïd qui la couvrait.
Je l'ai déshabillée lentement, j'ai promené ma main sur sa peau nue. Une peau vert émeraude, une peau du XIXe siècle.
Maupassant, Œuvres complètes, volume II.
Deux mille pages de papier bible. Reliure cuir, dorée à l'or fin.
Ça m'a fait marrer de tomber sur la Pléiade de Maupassant, comme ça, direct. Je ne l'avais pas fait exprès, c'était juste le volume qui dépassait le plus de la rangée.
Maupassant… Décidément, je donnais dans le fantastique. Après Gautier, sa cafetière et ses momies, rapatriés du CDI, Maupassant et sa folie…
On venait de se frapper l'étude du Horla en classe. J'avais trouvé ça chiant, au début. Puis, au fur et à mesure que le prof nous charcutait le texte en fines tranches, je m'étais laissé piéger.
J'ai tourné les pages de l'index avec précaution et j'ai vérifié que Le Horla figurait bien dans ce volume. En souriant, j'ai refermé le livre, j'ai replacé le Rhodoïd autour de la reliure et je l'ai glissé dans son écrin.
J'ai respiré un grand coup, je me suis accroupi et j'ai ramené mon sac à dos sur mes genoux.
Au moment où je fourrais la Pléiade dans la poche principale, j'ai senti une main ferme sur mon épaule.
Une vieille.
Une vieille d'au moins cinquante balais, qui me souriait bêtement. D'un coup de menton, elle m'a fait signe de me relever. […] elle a tendu le bras pour que je lui rende le bouquin. Je lui ai refilé en soupirant.
- Ça va, je vais le remettre en rayon… Pas la peine d'appeler les flics, ni mes parents… […]
La vieille n'a rien répondu. Elle a tourné le volume de Maupassant entre ses mains, a rapidement lu le descriptif du contenu, et s'est enfin décidée à parler :
- Bon choix, mon garçon… De Maupassant, ce sont les nouvelles qu'il faut lire… Personnellement, je trouve ses romans assommants. Bel-Ami m'a ennuyée à mourir… […]
- On vient d'étudier Le Horla, en français… […]
La vieille m'a redonné le livre en sifflant de sa voix haut perchée :
- Ça ne mène à rien de voler… Si ce livre vous tente, je vous l'achète. […] Cinquante-cinq euros cinquante… La prochaine fois, choisissez un livre de poche, vous voulez bien ?
Et sans attendre quoi que ce soit, elle m'a planté là. Elle s'est dirigée vers la caisse et a demandé un paquet-cadeau. »
André LÉVY, « Cany-Barville », © - Le Moulin des Arts, 76400 Colleville (2001).
Cany-Barville
Pierre, le marinier tranquille
De Cany-Caniel et Barville,
Regroupe les bourgs d'antan
En amont de la Durdent.
L'aile au vent comme l'oiseau,
La vieille chapelle du château
Vit autrefois prier les Grimaldi
et bien d'autres baronnies.
Bouilhet, poète du grand air,
Se souvient de Flaubert
Et du jeune Maupassant,
Tête bouclée et turbulent.
David LODGE, L'Auteur ! L'Auteur ! [Author, Author, 2004], roman, trad. de l’anglais par Suzanne V. Mayoux, Paris, Payot et Rivages, Littérature étrangère, 2004, p.66 et suiv.
S’appuyant sur la vie de l’écrivain Henry James, le romancier fait revivre tous les artistes de l’époque victorienne : George Du Maurier, Oscar Wilde, George Bernard Shaw… On y croise aussi un certain Guy de Maupassant.
« Dans le domaine littéraire, une relation qui était quasiment de maître à disciple s’établit entre eux. Les engouements de Du Maurier étaient intenses mais restreints. Il adorait Thackeray, et les rythmes grisants, les sentiments païens de Swinburne le comblaient. Au-delà, le choix de ses lectures lui était principalement dicté par les ouvrages disponibles à la bibliothèque Mudie. Mais il ne demandait pas mieux que d’élargir ses connaissances sous la tutelle d’Henry, surtout en ce qui concernait la littérature française, et il commença à découvrir l’oeuvre d’écrivains tels que Flaubert, Daudet, Maupassant, les frères Goncourt et Zola, jugés trop audacieux chez Mudie et positivement répugnants par la presse anglaise. » (p.66)
« C’étaient sans doute l’activité et l’obsession sexuelle envahissantes dans le monde littéraire français qui avaient fini par le [Henry James] chasser de Paris et le décider à s’installer en Angleterre. Flaubert, Maupassant, Daudet et les autres, tous avaient des aventures amoureuses, des maîtresses, et fréquentaient les bordels, au grand détriment de leur santé, et dans leurs écrits ils repoussaient constamment les limites de la décence. » (p.70)
« Entre les fiançailles de Trixy et son mariage, il lut Une vie, de Maupassant, dont la récente publication en France avait déchaîné une controverse sur ses descriptions explicites, particulièrement pour la lune de miel de l’innocente héroïne, le choc brutal de ses premiers rapports sexuels, sa détresse d’avoir à endurer les jours suivants les exigences lubriques de son mari, puis sa propre découverte étonnée de la jouissance. Par une chaude journée en Corse dans la montagne sauvage, comme le couple se désaltère auprès d’une source fraîche, Julien, le mari, se met à caresser Jeanne, laquelle, saisie d’une « inspiration d’amour* » inaccoutumée, emplit d’eau sa bouche et offre par geste de la transférer dans sa bouche à lui, « lèvre à lèvre* ». Cet acte mené à bien excite le désir de Julien à un degré qui éveille en Jeanne un écho pour la première fois. Elle se presse contre lui, l’attire à terre avec elle, la poitrine palpitante, les yeux embués, murmurant : « Julien… je t’aime !* » et, avidement, elle le laisse la prendre sur-le-champ. « Elle poussa un cri, frappée, comme de la foudre, par la sensation qu’elle appelait.* » Il était arrivé à Henry d’entendre ce cri, à travers les minces cloisons de chambres d’hôtels bon marché, derrière les portes closes lorsqu’il parcourait, une bougie à la main, les obscurs couloirs de grands manoir, ou jaillissant de l’ombre sous les ponts de Paris la nuit, sans qu’il eût une image mentale précise de ce que cela signifiait. Il le savait à présent. Maupassant écrivait bien, si impur que fût le sujet traité. Henry lut ces pages avec une extrême attention, mais elles n’éveillèrent en lui aucune excitation physique : l’idée de transférer un liquide d’une bouche à l’autre, même entre amants, lui paraissait dégoûtante.
Il s’abstint de prêter ou de recommander Une vie à Du Maurier, jugeant que ce serait manquer de tact en de telles circonstances, d’autant que le bonheur conjugal de l’héroïne était de courte durée (l’odieux Julien ne tardait pas à la tromper). De toute évidence, son ami était profondément affecté par l’imminent envol de sa fille hors du nid familial, et il devait faire un effort pour ne pas sombrer dans un silence abattu tandis que le reste de la famille discutait avec animation des dispositions à prendre pour le grand jour. » (p.71)
« Cet été-là, Guy de Maupassant fit un séjour à Londres et Henry, qui l’avait connu à Paris, organisa en son honneur un dîner à Greenwich auquel il convia Du Maurier avec Edmund Gosse et d’autres. Du Maurier fut flatté de participer à cette réunion littéraire de haut vol, et de son côté Henry était content d’avoir au moins un invité capable de converser aisément en français (bien que Gosse fût traducteur en titre auprès de la chambre de commerce, son français parlé était désastreux). La soirée se passa à merveille, en partie sûrement parce qu’ils étaient entre hommes en toute intimité. Quelques jours avant, Henry avait déjeuné avec Maupassant dans un restaurant londonien à la mode, et le Français l’avait embarrassé en requérant son aide pour draguer une femme qui se trouvait seule à sa table à l’autre bout de la salle.
« Allez lui proposer de se joindre à nous, Henri », dit Maupassant. (Heureusement, tous deux s’exprimaient en français.)
« Mais je ne puis pas, Guy. J’ignore qui elle est.
– Alors, faites-lui porter un mot par le serveur. Dites-lui que nous aimerions faire sa connaissance.
– Hors de question.
– Je le ferais moi-même, mais mon anglais est trop défaillant.
– On ne peut se conduire ici de cette façon, Guy, protesta Henry. C’est exclu.
– Pourquoi ? rétorqua Maupassant en remplissant son verre de vin, à la consternation du serveur qui considérait que c’était à lui de s’en charger. Elle est disponible, sans aucun doute. Sinon, pourquoi déjeunerait-elle seule au restaurant ?
– Il existe dans ce pays une nouvelle catégorie de dames respectables mais émancipées qui revendiquent certaines des prérogatives masculines traditionnelles. Je pense qu’elle en fait partie. »
Maupassant poussa un grognement de dérision. « Je veux une femme, marmonna-t-il. Pas une émancipée, rien qu’une femme ordinaire, pourvu qu’elle possède un joli visage et un beau cul. Je n’en ai pas troussé une seule depuis que je suis à Londres. »
À son vif soulagement, Henry parvint à l’extraire du restaurant sans créer de scandale. L’incident confirmait toutes ses préventions contre la moralité des écrivains français. Comme il avait eu raison de fuir Paris !
Après avoir fait la connaissance de Maupassant à Greenwich, Du Maurier s’intéressa à son œuvre et se mit à rechercher ses livres. En mars, il écrivit à Henry : « As-tu lu Une vie, de Maupassant ? Cette lecture m’a distrait d’un jour de pluie à Brighton – certaines choses défendues sont traitées avec un art merveilleux, simulant la naïveté –, il y a une scène de lune de miel, dans un bois en Corse, qui est soit charmante soit révoltante – je rougis d’avouer que je l’ai trouvée charmante. » » (p.93-94)
« De retour à Londres, Henry relut toutes les lettres de Fenimore, après quoi il les détruisit. […] Il conserva la lettre de Du Maurier qu’il avait reçue à Venise, mais s’abstint toujours de réagir à ses commentaires au sujet d’Une vie. Quant à lui, il continuait d’associer ce roman à Beatrix Millar, même si pour rien au monde il n’aurait avoué ni expliqué ce rapprochement. Peu après son mariage, son époux l’avait emmenée aux États-Unis et au Canada où se trouvaient des bureaux de sa société londonienne, et ils restèrent absents près d’un an, mais Henry les vit souvent à son retour d’Italie, car ils allaient régulièrement à New Grove House le dimanche, avec le petit Geoffrey, leur fils. Autant qu’on pût en juger sur les apparences, leur union était certes beaucoup plus heureuse que celle de la pauvre Jeanne dans l’histoire contée par Maupassant. » (p.100)
« Il y avait aussi Jonathan Sturges, victime d’une poliomyélite courageusement affrontée et disposant par chance d’une rente substantielle à laquelle s’ajoutaient les revenus du journalisme, des belles lettres* et de ses traductions, qui incluaient un recueil de nouvelles de Maupassant sur l’initiative et avec le soutien d’Henry. » (p.186)
Henry James « versa de l’eau dans la cuvette, se lava et s’essuya le visage, après quoi, avec du savon à barbe, un rasoir affilé de frais et des ciseaux, il rasa ses joues et tailla sa barbe. Il apporta un soin particulier à cette opération, en songeant à la soirée qui l’attendait. Sa barbe n’avait jamais eu une forme bien nette, comme l’impériale de Maupassant, par exemple, ou longue et patriarcale comme celle de William ; elle était broussailleuse, grisonnante et imprécise de contour. » (p.233)
Note de l'éditeur
* Expressions en français dans le texte original.
Jean LORRAIN
– Très Russe, Paris, E. Giraud, 1886 ; nouvelle édition, Paris, P.-V. Stock & Cie éditeurs, nouvelle édition, 1914, p.98-100.
Portrait de Beaufrilan par Allain Mauriat.
« – Jaloux de Beaufrilan !… Jaloux de ses biceps travaillés aux haltères trois heures chaque matin pour épater les femmes ; jaloux de ses chapeaux à coiffe de satin ciel blasonnée à ses armes, crest, casque et tortil, le chapeau sous le bras pour faire voir sa coiffe !… Non ! Mais j'enrage de voir Madame Livitinof accueillir ce drôle, car ce drôle est un fat, et, qui pis est, un malin, un véritable homme de lettres, lui, par lui-même estampillé pour Paris, la province et l'étranger, Yankee et Juif à la fois, qui fait de tout argent et réclame, et la compromettra, comme il en a compromis tant d'autres, uniquement parce qu'elle est quelqu'un. [...] cela ne l'amuse pas de supporter les galanteries à la hussarde de cet ancien sous-off, mais cela la divertit de me le jeter à travers les jambes, de me piquer au vif, d'éveiller mes soupçons, cela pimente un peu la fadeur de nos relations ; mais, ce dont j'enrage, c'est qu'à ce jeu elle se brûlera elle-même et que, d'ici huit jours, elle passera pour la dernière conquête des mille et trois de Beaufrilan. [...] Oh ! je connais mon homme : non, certes, il n'ira pas crier sur les toits que Madame Livitinof a été sa maîtresse, mais il le laissera entendre, il s'en défendra trop, se fâchera habilement, se taira, sourira, tout le manège ordinaire des écrivains à femmes... puis il a tout un passé de vieilles hystériques, bas-bleus d'alcôve, éprises du beau mâle, qu'il se glorifie d'être, pour justifier ses succès à venir ; c'est l'étalon
modèle, littéraire et plastique du grand haras Flaubert, Zola et Cie, vainqueur à toutes les courses de Cythère, primé jusqu'à Lesbos, couru et hors concours. »
– « Cri du Cœur » dans Fards et Poisons, Paris, Ollendorff, 1903, p.262-263.
« Avec cela Edda Effitser tenait sans doute de son origine paysanne, ce fameux père de Criquetot, un touchant amour de la campagne et une facilité d'attendrissement devant les beaux spectacles de la nature. Il y avait une contemplative dans cette madrée de femme d'affaires.
Sa plus grande joie était de dîner aux champs, de s'asseoir à la table rustique des fermes et de s'y gaver de laitage, d'œufs frais et de volailles hâtivement plumées. Elle s'ébattait comme une jeune bête à travers l'herbe drue des vergers, se passionnait pour les canards et pour les poules, s'enthousiasmait pour leurs couvées et j'avais toutes les peines du monde à l'empêcher d'embrasser les veaux sur leurs mufles gluants et de frotter ses joues aux naseaux veloutés des poulains ; je trouvais même ces gamineries de petite fille un peu ridicules chez une créature au cerveau de notaire. Elle n'avait pas le physique de ces foucades et quand je la voyais escalader en riant des troncs de pommiers, je ne pouvais m'empêcher de me mordre les lèvres en songeant aux pages consacrées par Guy de Maupassant aux joies expansives des pensionnaires de la maison Tellier. Elles ont toutes ces attendrissements bébêtes la veille de la première communion, dans le préau du menuisier. »
Grace METALIOUS, Peyton Place [1956], traduit de l'américain par Jean Muray, Paris, J'ai lu n°849, 1978, t. I, p.85-86.
Dans une petite ville américaine de la Nouvelle-Angleterre nommée Peyton Place, Allison Mackensie, treize ans, se réfugie dans les livres pour oublier son quotidien terne.
« Mais ce n'était pas la saison qui pesait sur elle du poids le plus lourd. Elle eût été incapable de dire ce qu'elle avait. Elle se sentait envahie par une impatience et une nervosité vagues que rien ne pouvait réduire. Chaque jour, après l'école, elle se mit à passer des heures assise devant la cheminée du salon, un livre ouvert dans ses mains. Il lui arrivait de ne pas pouvoir lire et de demeurer les yeux fixés sur les flammes. Quelquefois pourtant, elle était prise d'une fringale de lecture : Elle dévorait littéralement les mots qu'elle lisait. Dans le grenier, elle découvrit une caisse pleine de vieux livres. Parmi ces livres, il y avait deux recueils de nouvelles de Maupassant. Certaines lui semblèrent incompréhensibles. D'autres la faisaient pleurer. Elle n'eut aucune sympathie pour Miss Harriet. Mais elle versa des larmes sur les deux malheureux qui durent travailler si longtemps pour acheter une autre rivière de diamants, dans le conte intitulé La Parure. Allison lisait tout ce qui lui tombait sous la main. Elle passa sans hésitation de Maupassant à James Hilton. Elle lut Au revoir, M. Chips, et elle pleura pendant une heure dans l'obscurité de sa chambre […]. »
Jacqueline MONSIGNY, La Dame du Bocage, roman, Paris, Belfond, 1995, p.52.
Valentine, la petite-fille de Noémie Hautefort (propriétaire de fabriques de beurre), est amoureuse de Lucas, jeune étudiant en droit qui lui prête des livres et la conseille sur ses lectures.
« Sous les yeux de mademoiselle Ursule, suffoquée, Valentine avait parlé littérature avec Lucas. Ils avaient échangé leurs impressions sur D'Annunzio, et Lucas avait encouragé Valentine à lire les « géants », Hugo, Lamartine, Chateaubriand. Il lui avait promis d'autres livres. Au Bonheur des dames de Zola, moins sulfureux que Germinal dont, avec sagesse, il ne parlait plus. Il avait aussi recommandé à l'adolescente Georges Ohnet, très à la mode, et puis bien sûr les grands Normands Maupassant et Barbey d'Aurevilly. »
Paul MORAND, « Le Bazar de la charité », dans Fin de siècle, Paris, Stock, 1957, p.141-142.
« Yolande du Ferrus avait demandé à la fiction ce que son mari n'avait su lui donner : des rêves. Mais les romans à la mode qui traînaient sur sa table, ne contenaient, hélas ! aucune belle aventure. Les fées (était-ce la loi Naquet ?) semblaient avoir divorcé d'avec la littérature. Alphonse Daudet, elle le trouvait trop ensoleillé, cette fille du Nord. Zola, et ses gros livres pleins de lourdes histoires d'ouvriers, était si commun ! Les contes de Maupassant ne parlaient que de petits employés canotant à Chatou et de femmes de mauvaise vie dans des maisons closes (on eût attendu mieux d'un marquis !) ; restait Paul Bourget, mais ce vivisecteur du coeur
féminin manquait de ce pouvoir caressant, moustachu et chatouilleur qu'une jeune lectrice est en droit d'attendre d'un romancier… »
Kate MOSSE, Sépulcre, roman, traduit de l'anglais (Grande-Bretagne) par Valérie Rosier et Denyse Beaulieu, Paris, Jean-Claude Lattès, 2008, p.219.
En 1891, la jeune Léonie Vernier découvre la bibliothèque de sa tante qui habite le Domaine de la Cade, à quelques kilomètres de Carcassonne.
« Léonie décida de commencer son exploration par le coin le plus éloigné de l'entrée. Elle parcourut du regard les rayons en lisant les noms qui figuraient sur le dos des livres, passant les doigts sur les reliures en s'arrêtant de temps à autre, quand un volume retenait son attention.
[…]
Dans le rayonnage suivant, elle trouva une première édition du Voyage autour de ma chambre de Joseph de Maistre. Avec ses coins écornés, elle était dans un triste état, comparée à l'exemplaire original qu'Anatole avait à la maison. Dans une autre alcôve, elle découvrit une collection de textes religieux et antireligieux, regroupés comme pour mieux s'annuler les uns les autres.
Dans la section consacrée à la littérature française contemporaine, il y avait la série complète des Rougon-Macquart, ainsi que des oeuvres de Flaubert, Maupassant et Huysmans, auteurs dont Anatole lui avait ardemment conseillé la lecture dans le désir qu'elle se cultive, avec un maigre résultat. Elle y vit aussi une première édition du roman de Stendhal Le Rouge et le Noir. Également, quelques oeuvres de littérature étrangère, mais rien qui la séduise, à part les nouvelles d'Edgar Allan Poe traduites par Baudelaire. Aucun roman de Ann Radcliffe ni de Sheridan Le Fanu.
Bref, une collection terne, ennuyeuse, songea-t-elle. »
Laurence ORIOL, Thérèse Humbert, roman, Paris, Albin Michel, 1983, p.33.
Ce roman se fonde sur un fait divers du début du XXe siècle.
« Fouilloux avançait, suivant Thérèse et découvrant sur des tables légères aux pieds dorés des bibelots de toutes sortes, intitulés, jolis et coûteux ; de petites boîtes anciennes en or travaillé, des tabatières, des statuettes d'ivoire, puis des objets en ragent mat, tout à fait modernes. Dans la bibliothèque : quelques livres rarement ouverts, reliés avec luxe ; un guéridon porté par un seul pied ; un petit canapé de forme ronde ; La Revue des Deux Mondes, avec des pages cornées. Sur un bureau coquet du XVIIIe siècle : quelques ouvrages encore, Manon Lescaut, Werther, et Les Femmes au XVIIIe siècle des Goncourt. […]
En robe de chambre garance et en babouches, Frédéric prenait son « breakfast » en compagnie de sa jeune belle-sœur Marie qui, d'une main, trempait une tartine de beurre dans son bol de café au lait, et de l'autre, tenait un livre ouvert devant ses yeux myopes. C'était Bel-Ami de Guy de Maupassant. En voyant entrer Thérèse et Fouilloux, elle leva vers eux un doux regard vide qui mendiait vaguement, mais elle ne broncha pas. »
Catherine PANCOL, Un homme à distance, roman, Paris, Albin Michel, 2002, p.50 et 99-102.
Kay Bartholdi, la voisine du narrateur, vit à Fécamp. Un jour, elle lui confie une liasse de lettres dont elle ne veut plus. Elle y parle de ses lectures et de ses romanciers favoris, souvent des auteurs originaires de Normandie. Dans deux lettres, la libraire évoque Maupassant.
Kay Bartholdi
Les Palmiers sauvages
Fécamp
Le 28 décembre 1997.
Juste un petit mot pour vous informer que Guy de Maupassant passait tous ses étés à Fécamp. Sa grand-mère y habitait. Et il était copain avec Jean Lorrain… Je les imagine tous les deux, encore petits garçons, assis sur un banc, face au port à regarder les bateaux entrer et sortir, à parler littérature, l'un tout maigre et l'autre tout gros. Avec des maillots rayés de petits marins et de gros godillots. Plus tard, ils se sont fâchés… Pour un livre où l'un se serait reconnu dans l'un des personnages et n'aurait pas apprécié ! Les auteurs sont très susceptibles, vous savez. Il faut les aimer et n'aimer qu'eux ! Leur faire croire tout le temps qu'ils sont les plus importants, les plus brillants, les plus « uniques ». […]
Amicalement
Kay.
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Kay Bartholdi
Les Palmiers sauvages
Fécamp
Le 28 juin 1998.
Cher Jonathan,
[…]
J'ai reçu une édition unique des Chroniques inédites de Guy de Maupassant, éditée Paris l'édition d'art H. Piazza à Paris, avec une préface de Pascal Pia. Elle n'a été distribuée qu'aux libraires normands. Cela vous intéresse-t-il ? C'est un gros livre, qui rassemble des articles de journaux écrits par Maupassant et jamais publiés auparavant.
La première chronique s'intitule « Un après-midi chez Gustave Flaubert ». Elle est magnifique. Elle décrit Flaubert en train d'écrire. « Dans un fauteuil de chêne à haut dossier, il est assis, enfoncé, la tête rentrée entre ses fortes épaules ; et une petite calotte en soie noire, pareille à celles des ecclésiastiques, couvrant le sommet du crâne, laisse échapper de longues mèches de cheveux gris, bouclés par le bout et répandus sur le dos. Une vaste robe de chambre en drap brun semble l'envelopper tout entier, et sa figure, que coupe une forte moustache blanche aux bouts tombants, est penchée sur le papier. Il le fixe, le parcourt sans cesse de sa pupille aiguë, toute petite, qui pique d'un point noir toujours mobile deux grands yeux bleus ombragés de cils longs et sombres.
« Il travaille avec une obstination féroce, écrit, rature, recommence, surcharge les lignes, emplit les marges, trace des mots en travers, et sous la fatigue de son cerveau il geint comme un scieur de long. »
Saviez-vous que Flaubert avait les yeux bleus et de sombres cils ? De longs cheveux qui lui battaient le dos ?
Quelquefois […], il prend sa feuille de papier, l'élève à la hauteur du regard, et, s'appuyant sur un coude, déclame d'une voix mordante et haute. Il écoute le rythme de sa prose, s'arrête comme pour saisir une sonorité fuyante, combine les tons, éloigne les assonances, dispose les virgules avec science, comme les haltes d'un long chemin : car les arrêts de sa pensée, correspondant aux membres de sa phrase, doivent être en même temps les repos nécessaires à la respiration. Mille préoccupations l'obsèdent. Il condense quatre pages en dix lignes ; et la joue enflée, le front rouge, tendant ses muscles comme un athlète qui lutte, il se bat désespérément contre l'idée, la saisit, l'étreint, la subjugue, et peu à peu, avec des efforts surhumains, il l'encage, comme une bête captive, dans une forme solide et précise. Jamais labeur plus formidable n'a été accompli par les hercules légendaires, et jamais œuvres plus impérissables n'ont été laissées par ces héroïques travailleurs, car elles s'appellent, ces œuvres à lui, Madame Bovary, Salammbô, L'Éducation sentimentale, La Tentation de saint Antoine, Trois Contes, Bouvard et Pécuchet, qu'on connaîtra dans quelques mois. »
Et puis… Ne voilà-t-il pas qu'on sonne à la porte ! […]
Je vous ai mis l'eau à la bouche, Jonathan ! Je me suis plongée dans ce livre avec délectation, et vous seriez bien sot de bouder mon offre… […]
Mais je n'ai qu'une hâte, pour le moment, vous quitter et retrouver Maupassant… Près de cinq cents pages : réfléchissez bien avant de le commander ! Mais vous avez encore un fameux crédit chez moi. Je parle de l'avoir, bien entendu…
Kay Bartholdi
Ugo PANDOLFI, La Vendetta de Sherlock Holmes, texte intégral des carnets d'Ugo Pandolfi..., édition établie et présentée par Jean Pandolfi-Crozier, Paris, Éditions Little Big Man, Les Voyageurs oubliés, 2004, p.20.
Maupassant et son oeuvre sont omniprésents dans cet ouvrage. Pour lire d'autres passages, consulter le weblog consacré à ce livre : http://scripteur.typepad.com/
SERRA DI SCOPAMENE – LUNDI 2 SEPTEMBRE 1889
« Quelle journée admirable ! J'ai passé toute la matinée étendu sur l'herbe, devant ma maison, sous l'énorme platane qui la couvre, l'abrite et l'ombrage tout entière. J'aime ce pays, et j'aime y vivre parce que j'y ai mes racines, ces profondes et délicates racines, qui attachent un homme à la terre où sont nés et morts ses aïeux, qui l'attachent à ce qu'on pense et à ce qu'on mange, aux usages comme aux nourritures, aux locutions locales, aux intonations des paysans, aux odeurs du sol, des villages et de l'air lui-même1. »
Comme ces mots sont profonds ! Ils appartiennent à mon ami, Guy de Maupassant. Depuis notre première rencontre, il y a bientôt dix ans, Maupassant m'a toujours incité à écrire.
– Couchez chaque jour vos pensées, de même que tout ce qui vous arrive, dans un journal, Ugo, m'a-t-il souvent répété.
Je ne lui ai jamais obéi. Mais dans quelques jours, je serai de nouveau loin de chez moi. Je vais retrouver Maupassant à Bastia ; de là nous prendrons la mer. Je retourne à Paris. Mon projet d'un ouvrage sur les mines de Corse et la géologie de l'île a quelque chance de bien avancer 2.
J'emporte avec moi tous mes carnets de travail, et je commence celui-ci pour me conformer dans une
certaine mesure aux sages conseils de mon ami écrivain. Je m'effocerai d'y tenir la chronique aussi fidèle que possible de ce qui m'arrivera. Nous verrons bien.
J'emporte également dans mes affaires l'étrange nouvelle que Maupassant m'adressa il y a deux ans. Je l'ai lue plusieurs fois. C'est un récit en forme de journal, inquiétant et fou, au sujet duquel j'aurai bien des questions à lui poser 3.
J'espère que la mer ne sera pas trop méchante durant notre traversée, et que nous aurons plaisir à être ensemble comme avant. »
Notes :
1. Ce passage est souligné dans le manuscrit de Ugo Pandolfi, indiquant par là, comme il le précise aussitôt, qu'il s'agit d'une citation. Celle-ci provient en effet de la nouvelle Le Horla, que Maupassant publia pour la première fois en 1886, dans un numéro de Gil Blas, puis dans une nouvelle version en 1887.
2. Ce projet aboutira quatre années plus tard. Dans son ouvrage intitulé Richesses géologiques et minières de l'île de Corse, Ugo Pandolfi accordera une large place aux principaux minerais existant en Corse […].
3. Cette précision confirme que Ugo Pandolfi était bien en possession de la seconde version du Horla, parue en 1887.
Michel PEYRAMAURE
- Le Beau Monde. Histoire d'Anna Labrousse, servante, Paris, Éditions Robert Laffont, 1994, p.101-102.
Dans ce roman, Anna Labrousse, petite paysanne de Corrèze montée à Paris pour devenir servante,
rencontre le Tout-Paris littéraire des années 1880. En 1884, elle fait notamment la connaissance
de Guy de Maupassant…
« Dans l'un des fauteuils se tassait un homme qui paraissait pesant et trapu bien que jeune encore ; il se souleva légèrement, hocha la tête et se laissa retomber lourdement.
– Monsieur de Maupassant, je vous présente une jeune payse, Anna Labrousse. Malgré ses apparences
modestes et timides, cette jeune personne est d'une audace folle. C'est elle qui est allée porter
des fleurs à notre ami Magnard. Il bégayait de surprise en me racontant cette anecdote dont je vous
ai parlé. Comment vous appelle-t-il ?
– Cosette, madame. Comme dans
Les Misérables.
– Eh… eh…, murmura M. de Maupassant,
mais c'est qu'elle a des lettres, cette mignonne. Tu connais donc Victor Hugo ?
– J'ai lu Les Misérables, monsieur.
– Elle l'a lu ! s'exclama Mme Chalmette.
Il faudra lire aussi les livres de notre ami. Certains du moins, car il en est qui sont raides, encore
qu'à notre époque… Vous avez entendu parler de lui, je suppose ?
– Oh oui, madame : j'ai lu un article de
monsieur, dans Le Figaro.
– Et de plus, s'exclama l'écrivain,
elle lit Le Figaro !
Anna se demanda ce que cela avait de
surprenant : Mme Gatignol achetait parfois ce journal et l'abandonnait
à Mme Berthe qui le passait à la petite. M. de Maupassant s'excusa de devoir prendre congé. Il baisa
la main de Mme Chalmette qui le raccompagna jusqu'au vestibule. Elle lui disait :
– Ne vous alarmez pas. Allez plutôt
voir le professeur que je vous ai indiqué : Antoine-Emile Blanche.
C'est le meilleur psychiatre de Paris.
Elle fit asseoir Anna à la place
qu'occupait le visiteur et s'installa en face d'elle.
– M. Guy de Maupassant est un
grand malade, dit-elle à voix basse. Il traîne depuis des lustres un
tréponème dont il ne parvient pas à se débarrasser. C'est la conséquence de ses mauvaises fréquentations.
Il est obsédé par les femmes et ne se montre guère exigeant. Pour tout dire, il souffre de syphilis… Ça
se porte au cerveau depuis quelque temps et il se livre à des excentricités. Ça ne l'empêche pas d'écrire ;
il vient de faire publier un nouveau roman : Yvette. Il était ces temps derniers en cure à
Châtelguyon. »
- La Divine. Le roman de Sarah Bernhardt, Paris, Éditions Robert Laffont, 2002 ; rééd. Pocket, 2004, p.164.
« La demeure des « soeurs Bernhardt », comme on disait, n'était pas une réplique de la Maison Tellier de Maupassant. »
C.E. RAIMOND [Elizabeth Robins], « Miss de Maupassant », The New Review, Vol. XIII, n°76, September 1895, p.233-247.
I.
« The firm of Merriman and Streake, Publishers, had sustained certain reverses. It was agreed that they had grave ground of complaint against Mr. Soames, not because of the failure of his graceful old-fashioned novel which they had good-humouredly published, but because, albeit the oldest reader in their employ, he had dissuaded them from accepting the two most successful novels of the past year. So the day came when he was formally confronted with the proofs of his inadequacy. The junior partner quoted the rapidly succeeding editions and record-breaking sales of the books his unwisdom had lost to the firm. But the culprit was unimpressed. « I have saved Merriman and Streake », he said, « from the disgrace of seeing their stamp on these vulgar inanities - and I deserve their thanks. »
Mr. Streake's rejoinder was to point to a rival firm's book list in The Pall Mall of that afternoon. Under the announcement of the third edition of the last book, was a brilliant array of Press opinions. « A good many people think differently », observed the junior partner. « Of course », said the older reader, « there will always be people who mistake indecency for power, and more who don't know the difference between impertinence and genius », and he gazed vindictively at the MS. he had laid down on the table some minutes before.
Mr. Streake stroked his moustache. « As I've ventured to point out », he said slowly, « we don't publish books solely to raise the literary standard. » « No », said the reader stonily, « I keep that in mind. » He laid down his report on the last MS. and abruptly took his departure. Mr. Streake unfolded the paper reflectively. « Very much like the report he made on Phryne's Hour », he thought to himself as he glanced down the brief condemnation. « We'll send that MS. to the new reader and see what he makes of it », he said later to Mr. Merriman. « I'd rather have the opinion of a clever young fellow fresh from the University than of all the fogey men of letters in the kingdom. We'll send Initiation to Johns. »
And they did. And Johns sent them in return, a report that was hallelujah from end to end : « This is the biggest thing since Mme. Bovary. You've got hold of a new Flaubert ! The fellow knows women like the inside of his pockets, and he has the courage of genius. It's a stupendous book. »
« I really must read it myself », thought Mr. Streake. Not that he was a judge of literary values. That was not his business. He performed the far more remunerative office of recognising and selecting what the public would buy. He read Initiation in a whirl of ecstasy. He was glad to hear it was like Flaubert. Not that he had read Flaubert, but that was immaterial. He was glad that Johns (who had enjoyed advantages denied to Thomas Streake) had said Initiation was a work of genius. It was a secondary consideration, but it did count. That the book would sell like hot cakes was a foregone conclusion. That is to say, it would sell if they were allowed to put it on the market. Would the public stand it ? The public would flock to it like lambs. They would devour it like wolves. But wouldn't they think it their duty to howl afterwards ? That would advertise the book, but if the book was suppressed, of what use the advertisement ? Then there was that little inconvenience of the Vigilance Society and criminal prosecution. He would read it again. It seemed more extraordinary than ever. Its calm and colossal audacity left him breathless - staring. « It's a great book », he said to Merriman. « It'll make a fortune - if they'll stand it. »
« They'll stand anything now », said Mr. Merriman. « I'll read it myself. » He found that he was too old and too stiff in his mental joints to bear the impact of this new genius. The book floored him - floored, but did not conquer. « It's simply obscene », he said to Streake the next day. « The fellow's a beast. »
« I assure you Johns compares him to Flaubert. »
« Flaubert's a beast. »
« O very well. I only wish the woods were full of them. »
« But Flaubert isn't such a beast as this man. »
« I told you this fellow had gone one better. »
« That scene about the - you know - that's impossible. »
« And the last chapter. I never read anything like it in my life. »
« I told you we'd got hold of a big thing. »
« It's my impression it's too big to hold. Too big and too slippery. »
« What if I can get him to cut out some of the - a - most original passages ? »
« O well, if he'll do that, we might consider it, I suppose. But I don't believe - »
« I shall have to run down to the Isle of Wight this week end. I'll go and talk to him. »
The next morning Mr. Streake wired, R.P. : « Phil Raglan, 4, Cottage Crescent, Ventnor. - Have read Initiation with interest. Will you dine with me Royal Hotel Ventnor tomorrow, eight. - Thomas Streake. » The reply came back before luncheon : « Sorry unable to dine. Hope to see you here Sunday after eleven. - Raglan. »
Mr. Streake arrived at 4, Cottage Crescent, at a quarter past the hour. He mused upon the unpretending haunts of greatness, while he waited for admittance. He decided off-hand that the man who wrote Initiation had certainly not always lived in the Isle of Wight in a rose-covered cottage. He must have gone the pace, and squandered brilliantly a brilliant inheritance. His wild extravagances had landed him at last at 4, Cottage Crescent. « For the fellow evidently knows society through and through », thought Mr. Streake, who knew only his own small corner of scribbling Bohemia.
« Mr. Raglan ? » he inquired of the servant as she turned her ear to him. The old woman favoured him with the keen sidelong glance of the deaf. « Are you Mr. Streake, sir ? » she asked, watching his lips. « Yes », replied the visitor. « This way, sir. » She opened the second door on the left of the small passage. « Mr. Streake », she announced.
The publisher entered a bright little room, lined with books, and fitted up like a miniature library. Two women sat by the window which overlooked a small garden behind the house. They both rose. The elder came forward. « Mr. Streake », she acknowledged languidly, « we are glad you could come. My daughter. »
« I have only a left hand to offer you », said the girl with soft self-possession. Mr. Streake stared with admiration at the exquisite little person before him. She was like a Dresden China Shepherdess. But she had no crook, and her right hand rested in a sling.
« O, you've had an accident », ejaculated the publisher, with unconscious familiarity.
« Only sprained my wrist », she smiled bewitchingly. They sat down. The Shepherdess framed her loveliness in the rose-wreathed window. The mother sat in a weary attitude on the small sofa, and coughed. Her face was pale, and what cheerful persons call « intellectual. » But so much was evident : she was an invalid with a Roman nose.
« What a charming spot », said Mr. Streake, apparently looking at the curly brown head of the little Shepherdess.
« Yes », said the girl, turning round and looking out of the window ; « I think our roses have never been so beautiful before. » The voice was musical, caressing. It had that beguiling quality of pretty childishness, which many men find more irresistible than a beautiful face.
Mr. Streake's intimate acquaintance with women was more or less confined to the sturdy members of his own family circle, and the dashing creatures who write books, or review them. He was quickly hypnotised by the rose-leaf daintiness of the slim little person before him. She might be seventeen, and certainly Phil Raglan, whether father or brother, had in her a heroine fit to stimulate the most fastidious fancy. She wore a white frock with a kind of lace « pinafore » - (or so the observant Streake described it afterwards to Mrs. Streake) - and her slender wrist tinkled with bangles, whenever she moved the one free hand.
« What fine weather we are having now all over England », the publisher ventured, turning to the elder woman.
« Y-Yes », she said vaguely, « very fine » ; and she regarded her daughter with dreamy adoration.
Mr. Streake began to feel conscious of a growing embarrassment. Why had the author of Initiation turned him over to these charming but irrelevant ladies ? « I'm afraid I have called too early for Mr. Raglan », he suggested, turning again to the anæmic woman on the sofa.
« For Mr. Raglan ? » she said, with a slight start. « Mr. Raglan - my husband » - she looked over helplessly at the girl. « We lost my father some years ago », said the Dresden China Shepherdess with soft promptitude. « We are not business women, but we are glad to talk the book over with you. »
Streake felt himself blushing - or going through some unusual and uncomfortable phase of bodily temperature. « I - a - I », he looked appealingly towards the elder lady. « Did Mr. Raglan leave an executor with whom I could - a - ? » « I am his executor », said Mrs. Raglan with some surprise.
« O ! it was not merely terms that I hoped to see the author of Initiation. I - there are other things - I - I suppose - a - pardon me, but have you read your husband's novel ? »
« My husband's - »
The Dresden China Shepherdess broke into a low peal of laughter. « Do you mean to say », she asked, « you thought a man wrote Initiation ?
Mr. Streake stared speechless. « You mean to say », he faltered, looking at the Roman nose with a new respect - « you mean to say - ? »
My daughter is the writer of the family », said the lady proudly » (Mr. Streake clutched the arms of his chair.) « Since there are things you wish to discuss, I'll leave you » ; and Mrs. Raglan smothered a cough in her handkerchief as she got up.
« No ! no ! I assure you - nothing at all - nothing - that is - that - that - I beg you not to leave us. » His agitation was unmistakable. He kept repeating to himself Merriman's opinion of the last chapter and « that scene about the - you know. » « I - I only wanted to learn », he turned desperately to the little Shepherdess, « how, if - in case - what your views are on the subject of - of - formât - . Initiation is too long for a single volume of my 'Fin-de-siècle Series' - and it isn't long enough for the old regulation three volumes. »
« O ! » said the Shepherdess indulgently ; « you want me to make it longer ? »
« Well - a - I was thinking it might be - a - with some advantage it might be shortened by a chapter or two. »
« O no ! » she ejaculated, with a new note in her voice.
« Now Philippa, darling », admonished her mother timidly, « perhaps Mr. Streake knows best. »
« It's impossible ! Quite impossible. You couldn't cut my book : it would bleed to death. »
« I thought - you are very young, and - I was only suggesting - »
« Well, now, you've read it, Mr. Streake », she said in the voice of a dove. « What is there in Initiation that we could afford to cut ? »
The poor man hesitated. He realised of a sudden that the room was oppressively hot.
« Shall we go over the manuscript together ? » the cooing voice went on.
« Well - I think perhaps - » Mr. Streake struggled inarticulately with his feelings. The girl rose and went to the writing-table.
« If you are going to work you mustn't be disturbed », said Mrs. Raglan in a hushed voice, as she too got up.
« But I assure you » - Mr. Streake sprang to his feet.
« Phil can never write with me in the room », she said, looking reverently at her offspring. The girl was deftly undoing a parcel with one hand. « You always cough », said Phil, without looking up.
« I know, my dear. » She pressed her handkerchief to her lips again, and held out a thin hand to the publisher.
« But the fact is » - he made a clutch at his hat - « I haven't time this morning to go into the matter. Besides, that can be attended to later - if - if we come to terms. »
« O ! » said the girl slowly, pushing the MS. away from her. « Do you mean you haven't made up your mind to publish my book ? » There was a delicate scorn in her face that seemed to Streake to put him to instant disadvantage. As she stood now, with the light falling sideways on her face, it was plain she was not seventeen. « Nearer five and twenty », the publisher commented silently, « but deuced good-looking. » However, he was a man of business. Dimples and pinafores were all very well, but - « I wired you, you remember, that Initiation interested me, and that it would be just at well to - a - »
« Yes », said the girl, her full lips parting in a pretty childish smile ; « I was sorry I couldn't dine. » She looked ruefully down at her bandaged arm. Mr. Streake wondered if she would have accepted his invitation, had she not been physically disabled. « You mean », she continued in melting tones, « first of all we must discuss what my book is worth ? » And both ladies sat down.
« Well - a - not just that - I - Mr. Merriman and I are 'interested,' as I wired you. Initiation is your first book, I suppose ? »
« O no ! » said the girl.
« You haven't published under your own name, have you ? »
« I've never published at all. But Initiation is my third long book. »
« I see. And the other ones - are they - a - are they at all like this one ? »
« Not so likely to be popular, I think. »
« Indeed ? What is your opinion ? » Streake turned to Mrs. Raglan.
« O - a - I don't - »
« My mother doesn't care for literature », said the girl kindly.
The elder lady looked a little ruffled. « You see I am ill a great deal », she said hurriedly. « Straining the eyes is so bad for the head, and Phil has written so many books. It would be impossible for me to read all her stories. »
« Dear, you haven't read one for years. »
« Why, Phil ! »
« Not to the end. » She patted her mother's thin hand, and smiled a heavenly pardon.
« You see », Mrs. Raglan turned nervously to the visitor, « my daughter has written ever since she was a child - long before her father sent her to Rouen. »
« O, you've lived in France ? » His glance swept both ladies.
« I haven't », said Mrs. Raglan, « I don't understand the language, and it would have been awkward. But Mr. Raglan did. These are all his books. »
Streake followed her glance round the little room. He observed for the first time that the books seemed to have foreign titles, while a good proportion of them were in the familiar yellow uniform, « quite impudently French » - even in eyes unable to read them. « You went to school in France ? » he asked the pinafored authoress.
« Yes, I was at the Convent of the Sacré-Coeur for four years. »
« Really ! Then I suppose you're a great student. »
« O, yes ! I don't see how she stands it », said the mother solicitously. « But genius is not subject to the laws that govern most people », she added, like one who carefully cons a lesson.
« I suppose you read a great deal of fiction », Mr. Streake observed, studying the girl. She looked up at him with slightly narrowed eyes. « Not very much », she said demurely, « I haven't time. » She closed her free hand over the little gold heart that hung from a necklace of seed coral, and all the bangles tinkled as they slid up her arm. « You can't expect those who write to spend their time reading other people », she said with dignity.
« No, I suppose not. » Mr. Streake's tone was apologetic. « I only thought - now and then in a leisure hour - »
« In my leisure hours I observe life », said the Shepherdess.
« I see. » Mr. Streake was deeply impressed. « It may interest you to know », the girl went on in the manner of the seasoned celebrity helping along a halting interviewer - « I suppose I'm the only person you've ever met who has never read a line of Thackeray or Dickens, or any of that old lot. »
« Really ! how very interesting. But I suppose you've dipped into - Thomas Hardy, for instance ? »
« Once I began a book of his. But that sort of thing doesn't interest me. » Her long lashes drooped wearily. « Hardy is so obvious. »
« O ! you prefer Meredith ? »
« Heavens, no ! You see if one is born with a sensitive feeling for style one must take care of it. I remember once, travelling from Rouen to Paris some one left Beauchamp's Career behind him in the carriage. I read one chapter, and for weeks after I was not myself. It made me quite ill. I felt as if I had swallowed a sackful of sand and thistles. But perhaps Mr. Meredith is a friend of yours ? »
« « No - O no ! We don't go in much for that kind of thing. »
« I hardly thought it likely », she smiled graciously.
« My daughter reads French works », Mrs. Raglan observed with pride. « She's very like her father. He was one of the Suffolk Raglans. »
« Indeed ! » said Mr. Streake. « Your daughter reminds us of Flaubert. »
« Flaubert ! » the girl ejaculated, dropping the small gold heart in the folds of her pinafore. « I hope I'm not like Flaubert. I don't propose to exhaust myself in one book, and then go mad if I'm found guilty of a double genitive. »
« No - no ! » agreed the publisher glancing at the young lady's mother to see what the deuce a « double genitive » was. Streake's impression was that the phrase was daring if not unfilial.
« I've been told », continued
the girl suavely, « that I'm very like Maupassant. »
« O - ah ! - Mau' - 'm - indeed ! You prefer him ? »
« Well, I used to read him now and then - on long journeys and that kind of thing, when there was nothing else to do. But I've given it up. »
« O ! »
« Yes, some one frightened me once by saying I was getting to write so much like him. »
« You didn't care for that ? »
« Well, one doesn't want to be a mere imitation - does one ? »
« No, certainly not. »
Plainly the girl was a genius, but at this moment she was more like an enchanting little school-girl than ever. She pushed back her soft brown curls and brought her hand round under her chin. She rested the dimple in her pink little palm and asked in a voice of silver : « Tell me what you think of my last chapter, Mr. Streake ? »
The good man gasped at the recollection, and struggled out of his low wicker-chair. « It's wonderful - wonderful », he said fervently, but not knowing quite where to look. « Good-bye, Mrs. Raglan. I will write some time next week. Good-bye. » He took the fragile hand of the young authoress. « Are you ever in London ? »
« No. The climate doesn't suit my mother. I never go anywhere without my mother. Good-bye. »
When Streake met Merriman on Monday morning, he overflowed with enthusiasm about the New Genius. He described her in such terms that Merriman chuckled, and made would-be humorous speeches at Streake's expense. But the junior partner was too well pleased with himself and his « find » to care.
« I'm not surprised your Miss de Maupassant has broken her wrist writing Initiation », said Merriman, interrupting a flow of eloquence. « But the main thing is, will she cut out all that part that isn't fit for publication ? »
Streake felt a secret annoyance at his partner's coarseness. « What did she say », Merriman went on, « about that scene of the - ? » « She didn't mention it », interrupted Streake with an accent of indignation.
« Well, what did she mention ? »
« I've told you we talked about Flaubert and Mau - , the man that writes so like her, and about her being four years in a convent. »
« You mean to say you didn't discuss her book with her ? »
« No. I - we talked of other things. »
« Didn't even tell her we couldn't have that last chapter ? »
« No », said Streake, a little angrily. « You don't think she'd discuss that kind of thing with a perfect stranger. »
II.
It had been decided that Streake should write a carefully-worded letter to the author of Initiation, explaining as delicately as possible certain obstacles in the way of publishing that work in its present form. He laboured long and devotedly over the epistle, and then, with an outburst of ingenious profanity, gave up the job.
Merriman must do it. Merriman did. « How's that ? » he asked after scribbling away for five minutes. The image of the little Shepherdess rose before Streake's eyes as he read. He turned cold at Merriman's brutality of exposition.
« No, for God's sake. That'll never do. I'd rather go and see her myself than send that. »
Merriman's reply was accompanied with a prolonged chuckle. « Yes, you get over such a lot of ground that way. Nothing like it. »
But Streake was not to be laughed out of running down to Ventnor again on Saturday. It was five o'clock. « Mrs. Raglan's ill with one of her headaches », said the deaf servant as she led the way to the little room. « But Miss Phil can see you. » She opened the door. « Miss Phil » had apparently been standing there ever since the previous Sunday. Her arm still hung in a sling ; the gold heart still nestled in the folds of her white pinafore. « How do you do ? » Her voice and her bangles tinkled welcome.
They sat down. « Tea, please », she said, as the old woman shut the door. And Miss Phil nestled back in the chair in the inimitable fashion of the kitten-woman. Let it be understood by the fair, that this accomplishment of subtly caressing and yielding to the arms of a chair, or a sofa nook, is not to be attained by the athletic lady. Her spine has lost the art. It is for ever incompatible with riding the bicycle. Streake regarded Miss de Maupassant with a sense of quickening. « I had given up expecting to hear from you », she said softly.
« Well, you see » - he shifted his position in the creaking wicker-chair - « it is difficult to - One personal interview is better than twenty letters. »
The girl looked at him attentively. He fancied she repressed a smile. Something in her covert satisfaction made him remember that in her leisure moments she « observed life. » He creaked uncomfortably in his low seat, and then said almost brusquely : « The fact is I wrote you a letter on Monday. »
« On Monday ! I never got it. »
« No, I tore it up. »
A new animation shone in her face. « Really ! I believe the only letters worth reading are those that aren't sent. »
« You're very kind. » Streake beamed. He was certain she had paid him a compliment. He was making himself interesting to this young genius, with the keen unerring eye for character, and instinctive - appalling - understanding of men. How had she arrived at that « last chapter » ? Can imagination walk that perilous road alone ? Or was this surface decorum a bit of clever playing ? Was she - ? In any case he was « seeing life » too.
« What did you say in your letter ? » she asked. « Something very rash ? » She smiled in a way that went to his head like wine. He creaked out of his chair, and walked to the open window. « Whether the letter was rash », he said, turning and facing her, « depends on the kind of person you are. »
« O ! » She followed him, smiling, and stood at the other side of the window, leaning daintily against the red curtain.
« I wish I knew you better », said Streake fervently.
« So do I. » She drew her small forefinger along the window-sill, making invisible patterns.
« I could advise you so much better. »
« O ! advise ! » She smiled up at him with the most provocative air in the world. He recalled one of the « steep » scenes in Initiation, and his head, unused to these high altitudes, began to swim.
« You need a friend », he said, « someone who has your interests at heart. » He drew a step nearer. Miss de Maupassant melted into the folds of the curtain, and stared out at him coldly.
« Someone to manage your affairs », he said, feeling unaccountably snubbed. (This was not the way the lady behaved in Initiation.) « Someone who has your confidence, and the privilege of plain speaking. »
« I don't mind any amount of plain speaking. » He did not catch the illuminating emphasis - he only saw the smile. It drew him closer to the enveloping red curtain.
« Be careful ! » she said sharply, and all the bangles rang minute alarums.
« What is it ? » He started back.
« You accidentally jarred my elbow - that's all ! »
« I beg your pardon. »
« You can't imagine how painful my arm is », she smiled apologetically.
« O I'm so sorry ! » - and he looked it.
« I can't think why we don't have our tea. » She crossed the room, and rang. Streake returned to the wicker-chair, a sadder and a wiser man. « It is quite true I do need a friend », said Miss de Maupassant, curling down in her corner once more. « I need someone to realise my capacities, and help me to make the most of them. By-and-bye I shall have plenty to believe in me. » Streake agreed, a trifle gloomily. « But it's now that someone can really help me, as you say. I wonder if you are going to be my friend ? » she inquired, with an air so fetching that Streake revived a little. However, he wasn't going to fall into the same trap again.
« As I was saying », he resumed in his business manner, « you do need someone to advise you. Someone who can speak plainly to you without offence. »
« Exactly », she nodded.
« You may not like my taking the liberty - I don't know if you know, but I'm a married man. »
She stared, and bit her lip enigmatically. Streake felt it was a blow to her. « I hope », she said politely, « I hope Mrs. Streake is quite well ? »
« O - a - thank you - Yes. What I meant to say was, being a family man, I needn't hesitate - »
« No - no - pray don't hesitate. »
But he did. « I like married men », she said encouragingly, as though she were owning to exotic tastes. « Bachelors are so self-conscious. »
« O you find that ? »
« Well, you can't make a friend of an unmarried man. He's always thinking the girl may have designs. »
« Just so. » Streake saw the advantage of his position. Plainly he was the person predestined to be guide, philosopher, and friend to this gifted young charmer.
« In the other case », said the girl slowly, « it is usually the married man who has the designs. »
« You have a very low opinion of human nature. » Streake spoke with severity. He felt his honour impugned.
« I said usually », repeated Miss de Maupassant calmly, as the tea came in.
« Since you recommend plain speaking », said Streake, when the old woman had retired, « I had better say at once that we can publish your book only on certain conditions. »
« And those conditions ? » She handed him his cup, and pushed the milk and sugar towards him across the naked tray.
« That you accept certain alterations suggested by our reader. »
Miss de Maupassant drew herself up and her pinafore down. « And what are these alterations ? »
« You will receive the MS. Monday with the changes marked. » She took in her breath sharply. « We don't ask you to make any radical change - only a few cuts. » Disdain deepened round the full red lips as she asked with dignity : « Who is your reader ? »
« O - a - a man we have great confidence in. »
« Is he a littérateur ? »
« O he's a very clever fellow. »
« What has he written ? »
« You see, we have all read your book. It doesn't depend on any one opinion. »
She eyed the publisher with ill-disguised scorn. « And do you 'all' usually do this kind of thing for your authors ? »
« Well - a - all books are not like Initiation. »
« No ! ! ! » she breathed along a scornful crescendo.
« Frankly, there are things in Initiation that the public won't stand. »
« Then let the public skip if it can't stand. »
« That's just what it won't do. We are running a great risk in publishing your story at all. » She opened wide her heaven-blue eyes. « They stand this kind of thing in France », he quoted, « but here - » He shook his head.
« What 'kind of thing' do you mean ? »
« Well - a - » Streake looked into his saucer. « Your last chapter, for instance. »
« What's wrong with my last chapter ? » He stirred the dregs in the bottom of his cup. « You said you liked it. »
« It's wonderful - very fine indeed. »
« Then why not publish it ? »
« The critics would be awfully down on you. »
« The critics ! » She threw her curly head softly back and laughed. « You haven't got such a thing in this country. »
« Not got any critics ! » Streake stared.
« Not one ! » she said gaily. « As for the book reviewers - » She shrugged, under her pinafore.
« They might say unpleasant things », Streake hastened to observe : « things that would be disagreeable for a lady to hear. »
« I wouldn't hear them ! I know better than to listen. Have some more tea ? »
« No, thank you. You mustn't mind if I tell you that the papers would be sure to say Initiation was immoral. »
« I'd just as soon they'd say that as anything else. » (Streake felt that his Initiation was only beginning.) « The mere fact », she went on calmly, « the mere fact that they bring in the question of morals, shows how little they understand Art. They might as well bother us about Bi-metallism. »
« Yes, but still - »
« Isn't it time for English Letters to be cut loose from the British Matron's apron-string ? » (Streake seemed to consider the proposal.) « Why is Art so flourishing in France ? » the Shepherdess asked. (Streake couldn't on the spur of the moment say why it was.) « Do you suppose we shall ever have great novelists in England while publishers are so timid ? Who dares to write his best ? »
« Well - one 'did,' you know. »
« Exactly. I do, and see the result ! » She threw out her little hand despairingly.
« What are your other books like ? »
She shook her curls. « Farther away from the dull English fairy-tale than even Initiation. Plainly the bourgeois British reader and I won't agree. I look life in the face - as Maupassant did. »
There was a loud double knock at the outer door. « If you don't publish Initiation », she exclaimed in a fresh access of scorn - « I tell you frankly it's been to every publisher in London - if you don't do it, I'll have it translated into French. »
The old woman came in with a telegram. « Why, it's for you », said the Dresden Shepherdess, handing the yellow envelope across the tray. Streake tore it open and read : - « Johns has found story of 'Initiation' in obscure French novel. All the striking part sheer plagiarism. - Merriman. » He read the message twice, and folded it carefully.
« I'm afraid you have bad news », said Miss de Maupassant gently.
« Yes - at least - O it doesn't matter. » He put the telegram in his pocket. « No answer, thank you. » The old woman vanished. « A - you were saying ? » said Streake vaguely.
« That if you didn't take my book, I'd bring it out in Paris. »
« That would be very daring. » He looked at her steadily. The liquid blue of her eyes was cloudless and untroubled. He drew out his watch. « Ha ! I'm late. Good-bye, I'll write you finally about your book on Monday. » It was a hurried leave-taking. Miss de Maupassant clasped her heart of gold, and said a wistful good-bye. For one moment Streake wavered. Then he turned and fled.
He permitted Merriman to dictate the letter that went back with the MS. on Monday.
Léon RIOTOR, Les Taches d'encre, roman, Paris, Lemerre, 1931, p.47-48.
« Rue Montmartre, milieu traditionnel des journaux, on s'entretenait du succès du Flambeau. Au café de la Presse, Bellart attendait Laroudie, en compagnie du docteur Magnan. A une table voisine, s'agitait Guy de Maupassant, dont Gil Blas publiait en feuilleton « Une vie ». On disait ce jeune normand, rond-de-cuir intermittent au ministère de la Marine, fils naturel de Gustave Flaubert. Large, sanguin, teint de brique, cheveux bouclés sur le front, garçon boucher calamistré, il parlait à un serveur. Sa voix sourde, fêlée, ses gestes brusques, attirèrent l'attention du médecin aliéniste.
– Regardez, murmura-t-il. Cet homme tuera quelqu'un, ou bien, il se tuera lui-même. Abus des excitants, de la femme peut-être, paroxysme des centres nerveux.
Laroudie entrait, exubérant, souriant, les mains tendues. « Ah ! ah ! vous voilà, beau gas (sic) de Vire… » Il n'acheva pas : Maupassant se dressait, véhément, le verbe haché. « C'est bien ! c'est bien ! » fit l'autre interloqué, tandis que le romancier retombait sur sa chaise.
– Vous voyez, murmura le docteur, cet étrange accès de surestimation de son moi, sa fureur devant une familiarité qu'il juge insolente. C'est ce que nous nommons un paranoïaque. Il ira du simple délire mental au délire confirmé…
Par la suite, Bellart devait se souvenir de ce diagnostic, lorsque, après l'ascension dans le « Horla » du capitaine Jovis, on sut que Maupassant se croyait Dieu et qu'il jugeait malséant, irrespectueux, qu'on osât lui parler.
– En résumé, ajouta le docteur Magnan, la paranoïa sévit de préférence dans les milieux intellectuels. Vous avez lu ce matin encore, Maupassant affirmant « Coram populo » : « Deux choses déshonorent un écrivain, la décoration et l'Académie ». Ces agressions injustifiées, c'est de la paranoïa.
– Alors, répliqua Laroudie, qui n'aimait ni la chasse ni la pêche, si je lui criais que la chasse et la pêche sont des passe-temps de brutes et de crétins, je ferais de la… comme vous dites ?
– Vous semblez insinuer, docteur, observa Bellart, que nous sommes tous plus ou moins fous ?… »
Jules ROMAINS, Les Hommes de bonne volonté, t. XVIII, La Douceur de la vie (1939), Paris, Flammarion, 1939 [s.d.], p.93-94.
A Nice, hiver 1919-1920, Pierre Jallez assiste à une conférence intitulée « Maupassant et l'amour », donnée par George Allory, de l'Académie Française.
« Vers les cinq heures dix, George Allory est apparu sur l'estrade. C'est un de ces hommes qui n'appellent pas la description. Il ressemble à ses photographies, avec un visage un peu plus fatigué, une calvitie plus gênante (il se penche souvent sur ses notes), des moustaches beaucoup plus courtes. Pour un homme que l'Académie a repoussé tant de fois, il ne fait pas vieux ; à moins que ce ne soit sa récente élection qui l'ait rajeuni. Il a le teint rose, le regard assez doux. Je dois dire que sa voix n'est pas désagréable ; et que si l'on parvenait à l'écouter sans attacher aucune importance à ce qu'il dit, on lui accorderait un talent de causeur.
Malheureusement, il y a ce qu'il dit. Ce n'est pas très agressif ; ce n'est pas d'une fausseté criante, ni d'une bêtise à pleurer. Dans ces travaux
de la paix revenue, on ne reconnaît pas le prodigieux bélître du Poilu de Verdun. Donc,
c'est que dans ses ordures du temps de guerre, il y avait une bonne part d'ânerie voulue, de mimétisme laborieux, de lâcheté militante (le contraire étonnerait). Aujourd'hui il serait odieux – si le mot n'est pas trop gros – d'une autre façon. Pas une seule de ses phrases n'a un son d'authenticité. Tout son effort,
semble-t-il, est de deviner ce qui, à un public d'une bonne ignorance et d'une bonne hypocrisie moyennes, va sembler distingué, un peu piquant, rassurant et moral en dernière analyse. Le plus intolérable, c'est l'accent non de la voix, mais de la pensée ; le ton protecteur qu'elle se donne, la modération
apitoyée des jugements. Il s'est arrangé pour être perpétuellement à côté (du moins quand j'écoutais). Tout ce qu'il a dit de Maupassant, un homme bien ne l'aurait pas dit. Et inversement. Par exemple, chez cet écrivain robuste mais épais, dépourvu de toute transparence comme de tout mystère, chez ce jouisseur
dont les mélancolies ne dépassent guère celles d'un patron boucher, il a justement loué les descriptions et les couplets faussement poétiques, déjà vulgaires et tocards quand Maupassant les écrivait, comme on peut s'en convaincre en voyant à quel point des pages plus anciennes de Flaubert, ou beaucoup plus anciennes, de Hugo, même de Chateaubriand, sont infiniment moins devenues poncives et coco. C'est ailleurs ce Maupassant-là qui a fourni des plus écoeurants clichés la plèbe d'auteurs de contes et nouvelles qui a sévi
pendant toute ma jeunesse dans les journaux, toute cette humble littérature de chez Dufayel, où se sont perdus quelques vrais talents, littérature qu'heureusement la guerre semble avoir un peu démonétisée : « Ils s'enlacèrent éperdus dans la gloire du soleil couchant... ». « Sa chair frissonnait dans l'extase de la caresse... ».
En revanche, tout ce que Maupassant possède de franchise, de verdeur, de lucidité cynique, de santé, tout ce qu'il tient de la tradition française « sans coeur » et du fabliau, notre Allory l'a condamné ou enveloppé d'un regret indulgent. Il a spécialement déploré le caractère charnel qu'a toujours la passion amoureuse chez Maupassant, et les éléments malsains qui plus d'une fois s'y glissent. Notre Allory est évidemment un idéaliste en amour. Un de ces idéalistes qui vous donnent aussitôt envie de relire Rabelais. »
François-Olivier ROUSSEAU, Sébastien Doré, roman, Paris, Le Mercure de France, 1985, p.367-368.
Comblé par la gloire et déçu par la vie, Sébastien Doré, pianiste virtuose applaudi par le tsar de Russie, se retourne sur le jeune homme qu'il fut.
« C'est que la véritable consécration d'un don exceptionnel, l'apothéose d'un artiste, ne sont pas dans le triomphe mais dans l'abaissement qui suit quelquefois le triomphe. Il faut survivre à ses succès le temps de goûter cette défaveur, cette dérision, cette déchéance parfois, qui marquent in extremis la carrière des plus grands. Devenir célèbre, ce n'est rien. Être fêté, applaudi, ce n'est rien. Mais ouvrir la main sur tout cela et, dans l'humiliation délibérément recherchée de soi-même et de son art, bafouer sa gloire passée en trahissant l'admiration quiète de ceux qui vous l'ont donnée, c'est révéler la nature essentielle du talent qui ne se possède tout à fait ni ne se soucie d'être apprécié. C'est aussi, en lui donnant cette forme d'antithèse, relever sa vie d'un effet clair-obscur qui caractérise les destinées hors pair. Ce dément malmené par des infirmiers brutaux était Schumann ; ce syphilitique qui, dans une identification dans fonctions du corps à la métaphore même de la création, croyait avoir le ventre plein de pierres précieuses, s'appelait Maupassant et ce pochard que l'on expulsait des cafés, Oscar Wilde… Si un détail de sa vie pouvait convaincre malgré tout que Corneille avait du génie, c'est l'image du vieux poète tragique attendant dans l'échoppe d'un cordonnier qu'on ait réparé son unique paire de chaussures… Le public, disait Gustave Berg avec un ricanement, est une entité qui n'existe que par le mépris que les vrais artistes, à leur tour, ne se discernent que par le mépris où le public les a longtemps souillés de son estime les laisse retomber. Je n'aurai pas connu la cruauté du personnel des asiles de fous, ni les mirages scatologiques du tabès, ni la misère des semelles percées, ni l'opprobre des sodomites. Il n'y a rien dans ma vie qui puisse donner prise à la légende et c'est juste car j'aurai été tout du long un médiocre. »
Arthur SCHNITZLER, « Mademoiselle Else » (1924), dans Romans et Nouvelles, II (1909-1931), édition préfacée et annotée par Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent, traduction de Henri Christophe, Paris, L.G.F., La Pochothèque, Classiques Modernes, 1996, p.488-489. [titre original : Fraülein Else].
« Etrangement inquiétant, gigantesque, le Cimone, comme s'il devait s'abattre sur moi ! Pas d'étoiles dans le ciel, pas encore. Cet air, c'est du champagne. Et l'odeur des prés ! Je vivrai à la campagne. J'épouserai un gros propriétaire et j'aurai des enfants. Le docteur Froriep est le seul peut-être avec qui j'aurais pu être heureuse. Quelles belles soirées, coup sur coup, l'une chez Kniep, et l'autre au Bal des Arts. Pourquoi a-t-il disparu si subitement… pour moi, du moins ? A cause de Papa ? Probable. J'aimerais lancer un salut à cet air, dehors, avant de redescendre parmi la racaille. A qui adresser ce salut ? Je suis toute seule. Je suis terriblement seule, personne ne peut l'imaginer. Salut à toi, mon bien-aimé. Qui ? Salut à toi, mon fiancé ! Qui ? Salut à toi, mon ami ! Qui ?... Fred ?... Penses-tu ! Voilà, la fenêtre restera ouverte. Même s'il fait frais. Eteindre la lumière. Voilà… Ah, la lettre ! Je la prends avec moi, au cas où. Mon livre sur la table de chevet ; je continuerai Notre coeur cette nuit, quoi qu'il advienne. Bonsoir, belle demoiselle dans la glace, gardez un bon souvenir de moi, et au revoir. »
Christian SIGNOL
- Bonheurs d’enfance, Paris, Albin Michel, 1996, p.82. idem, Trésors d’enfance, Paris, France Loisirs, 1995, p.49-50.
L’auteur se remémore des souvenirs d’enfance.
« Pas plus que le ronronnement des heures de lecture et des textes ânonnés dans les langueurs des après-midi interminables. Les auteurs en étaient des écrivains d’avant-guerre, le plus souvent d’origine provinciale : André Chamson, Joseph de Pesquidoux, Louis Guilloux, Eugène Fromentin, Jean Guéhenno, Maurice Genevoix, Jules Renard ; des classiques aussi : Chateaubriand, Balzac, Lamartine, Guy de Maupassant. Je ne me souviens pas du nom de l’auteur, mais je n’ai jamais oublié ces lignes qui évoquaient tour à tour une vieille femme paralysée à qui son petit-fils faisait visiter une dernière fois son domaine en automobile ; un enfant dont le père rentrait le soir, abattu, et à qui sa mère apprenait « qu’il venait de perdre son travail » ; ces élèves, qui, sur une route mystérieuse, devaient se ranger pour laisser passer des troupeaux dévastant tout sur leur passage ; une chasse au faucon, enfin, lue un lundi après-midi, j’en suis certain, comme si cela ait eu une importance qui m’échappe aujourd’hui. Pourquoi ces pages-là et non pas d’autres ? Il serait intéressant de connaître à quelles lois obéit la sélection effectuée par notre mémoire. »
- Les Chênes d’or, roman, Paris, Albin Michel, 1999, p.132 rééd. Paris, Le Livre de Poche ; 15072, 2004, p.134.
Le roman se passe en Dordogne. Mélina connaît la terre depuis toujours. Dès l’enfance, son père lui a fait découvrir les secrets de la truffe qui pousse sous les chênes des forêts périgourdines.
« Le mari de leur hôtesse apparut bientôt, et Mélina comprit qu’Albine en était contrariée. C’était un homme sévère, en costume noir et col dur, qui travaillait à la préfecture. Heureusement, il déjeuna très vite et ne s’attarda pas. Une fois qu’il fut parti, Albine et son amie envoyèrent Mélina dans la bibliothèque afin de pouvoir discuter à leur aise. Elle se mit à feuilleter un livre de Guy de Maupassant, mais elle renonça bien vite à la lecture et s’approcha de la fenêtre pour essayer d’apercevoir le champ de foire qui ne se trouvait pas très loin. Elle observa avec amusement les gens : femmes en toilette, hommes en costume, marchands en blouse, ménagères en tablier noir qui s’y rendaient ou en revenaient avec une sorte d’agitation, de fébrilité, qui l’étonnait beaucoup. »
- Un matin sur la terre, roman, Paris, Albin Michel, 2007, p.152-153.
Soldat durant la guerre de 1914-1918, Pierre Desforest attend l'armistice à 11h en ce 11 novembre 1918. Il se remémore son enfance et ses lectures.
« Il se mit à lire beaucoup, le plus souvent en cachette, car la censure était stricte, au collège, et la surveillance permanente. Mais de nombreux livres circulaient sous le manteau, et de toute façon il pouvait lire en toute liberté à Lanouaille. London, Kipling, Daudet, Balzac, Maupassant, bien d'autres s'ajoutèrent à tous ceux qui étaient autorisés à Périgueux, et dont l'étude, dès le début, avait passionné Pierre. D'autant que son professeur de lettres était également son confesseur : le père Paret, lequel avait décelé chez son élève des qualités peu ordinaires. À tel point qu'il tenta de l'influencer, lui suggérant que le grand séminaire lui permettrait d'effectuer de brillantes études dans lesquelles il trouverait l'épanouissement auquel il aspirait.
Pierre eut l'intelligence de ne pas heurter son confesseur, mais il n'avait pas la vocation. En outre, il était hostile de tout son être à ce milieu clos sur lui-même qui interdisait la perception du monde sensible, un monde qui lui était aussi nécessaire que l'air qu'il respirait. »
Georges SIMENON
- Les Quatre Jours du pauvre homme (1949), Oeuvre romanesque, Paris, Presses de la Cité, 1988, t. III, p.675.
« Ce n'étaient pas des châteaux, que Raoul désignait, mais d'importantes maisons de campagne, comme en possédaient les gros bourgeois du siècle dernier.
– On te l'a montrée en passant, n'est-ce pas ? Tu te souviens de l'air résigné de maman quand elle soupirait :
« – C'est ici que je suis née. Jusqu'à l'âge de quinze ans, j'ai eu ma femme de chambre personnelle, mon institutrice, mon poney…
Tu veux que je te récite la litanie ? Tu es né longtemps après moi, mais on a dû te bercer avec les mêmes chansons. Maman était intarissable.
– Tout près de nous, c'était la maison de Maupassant, et, de l'autre côté, habitait un roi en exil…
Peut-être t'a-t-elle cité Émilienne d'Alençon et quelques autres horizontales de l'époque qui avaient leur maison d'été dans les environs. »
- Maigret à Vichy (1967), Oeuvre romanesque, Paris, Presses de la Cité, 1988, t. 13, p.820.
L'inspecteur Maigret enquête sur la mort d'une vieille dame solitaire.
Derrière la librairie, une pièce était couverte du plancher au plafond de livres reliés de toile noire.
– Elle passait souvent une demi-heure, voire une heure, à examiner les volumes, lisant quelques lignes par-ci par-là…
– Sa dernière lecture a été Lucien Leuwen, de Stendhal.
– Stendhal était sa plus récente découverte… Elle a lu auparavant tout Chateaubriand, Alfred de Vigny, Jules Sandeau, Benjamin Constant, Musset, George Sand… Toujours les romantiques… Un jour, elle a emporté un Balzac, je ne sais plus lequel, et elle est venue le rendre le lendemain… Je lui ai demandé si cela lui avait déplu et elle a répondu quelque chose comme :
« – C'est trop brutal… »
Balzac, brutal !...
– Pas d'auteurs contemporains ?
– Elle n'a jamais essayé… Par contre, elle a lu et a relu la correspondance de George Sand et celle de Musset…
– Je vous remercie…
Il atteignait presque la porte quand le libraire le rappela.
– J'oubliais un détail qui vous amusera peut-être. Je m'étais étonné de trouver des livres annotés au crayon. Des phrases ou des mots étaient soulignés. Parfois il n'y avait qu'une croix en marge. Je me suis demandé quel client avait cette manie et j'ai fini par découvrir que c'était elle…
– Vous lui en avez parlé ?
– Il le fallait bien… Mon commis ne pouvait passer son temps à gommer ces marques…
– Quelle a été sa réaction ?
– L'air pincé, elle a dit :
« – Je vous demande bien pardon… Lorsque je lis, j'oublie que les livres ne sont pas à moi… »
Les curistes, les troncs clairs des platanes, les taches de soleil étaient à leur place ainsi que les milliers de chaises jaunes.
Elle trouvait Balzac trop dur… Elle voulait sans doute dire trop réaliste… Elle se cantonnait dans la première moitié du XIXe siècle, ignorant superbement Flaubert, Zola, Maupassant…
- Le Coup de lune [1975], Paris, Édition du Club France Loisirs, 1983, p.94.
Le roman suit la vie du personnage, Joseph Timar, jeune ambitieux qui se rend au Gabon pour s’occuper d’une concession forestière. Il tombe amoureux d’Adèle, la propriétaire d’un hôtel.
« Elle avait trouvé quelques livres aux pages piquées parmi les objets laissés par le vieux Truffaut. Il y avait un Maupassant, un Loti et un traité de chimie.
Il fut incapable de lire les romans. En Europe, il les dévorait. Ici, il se demandait pourquoi on s’était donné la peine d’imprimer tant de phrases.
Antonio TABUCCHI, Pereira prétend, traduction de l'italien par Bernard Comment, Paris, Christian Bourgois éditeur, 1995, p.52-53.
[titre original : Sostiene Pereira (1994)].
Le roman raconte le mois d'août 1938 au Portugal à travers Pereira, vieux journaliste solitaire qui écrit dans Le Lisboa.
« Il songea à revoir l'article qu'il avait écrit sur Pessoa pour la rubrique « Ephémérides », mais il décida que ça allait bien ainsi. Alors il se mit à lire le récit de Maupassant qu'il avait traduit lui-même, pour voir s'il y avait des corrections à faire. Il n'en trouva pas. Le récit était parfait et Pereira s'en félicita. Du coup, il se sentit un peu mieux, prétend-il. Puis il sortit de la poche de son veston un portrait de Maupassant qu'il avait trouvé dans une revue de la bibliothèque municipale. C'était un portrait au crayon, fait par un peintre français inconnu.
Maupassant avait un air désespéré, avec une barbe mal rasée et les yeux perdus dans le vide, et Pereira pensa que c'était parfait pour accompagner le récit. Du reste, c'était un récit d'amour et de mort, cela demandait un portrait qui penchât vers le tragique. Il fallait un encadré au milieu de l'article, avec les principales informations biographiques sur Maupassant. Pereira ouvrit le Larousse qu'il avait sur son bureau et se mit à recopier. Il écrivit : « Guy de Maupassant, 1850-1893. Avec son frère Hervé, il hérita de leur mère une maladie d'origine vénérienne qui le conduisit d'abord à la folie, puis jeune, à la mort. A vingt ans, il participa à la guerre franco-prussienne, et travailla au Ministère de la Marine. Ecrivain de talent, à la vision satirique, il décrivit dans ses nouvelles les faiblesses et la méchanceté d'une certaine société française. Il écrivit aussi des romans à grand succès comme Bel-Ami et le roman fantastique Le Horla. Atteint d'une crise de folie, il fut hospitalisé dans la clinique du Docteur Blanche, où il mourut pauvre et abandonné. » »
Anton TCHEKHOV
– « Au royaume des femmes » (1894), dans Nouvelles, préface, traduction et notes de Vladimir Volkoff, Paris, L.G.F., La Pochothèque, Les Classiques modernes, 2002, p.731-732.
« –Toute la littérature nouvelle, comme le vent dans la cheminée, geint et
hurle : « Ah ! infortuné ! Ah ! ta vie est comparable à une prison ! Ah ! comme ta prison est obscure et humide ! Ah ! tu périras sûrement, il n'y a point de salut pour toi ! »
C'est sublime, mais je préférerais une littérature qui enseignerait à s'évader de la prison. D'ailleurs, de tous les écrivains contemporains, je ne lis guère – un peu – que Maupassant. (Lyssévitch ouvrit les yeux.) C'est un bon, un excellent écrivain ! (Lyssévitch commença à bouger sur son divan.) Un artiste étonnant ! Un artiste terrible, monstrueux, surnaturel ! (Lyssévitch se leva et dressa sa main droite.) Ah ! Maupassant ! dit-il en extase. Ma charmante, lisez Maupassant ! Une page de lui vous donnera davantage que toutes les richesses de la terre ! A chaque ligne, un horizon nouveau. Les états d'âme les plus doux, les plus tendres, font place à des sensations fortes, passionnées ; votre âme, comme sous la pression de quarante mille atmosphères, se transforme en un fragment insignifiant d'une substance indéterminée de couleur rosâtre qui, me semble-t-il, si on pouvait le poser sur sa langue, produirait un goût âpre et voluptueux. Quelle débauche de liaisons, de motifs, de mélodies ! Vous reposez sur un lit de roses et de muguets, et soudain une pensée épouvantable, sublime, irrésistible vous fonce dessus à l'improviste, comme une locomotive, vous noie dans sa vapeur brûlante et vous assourdit de son sifflement. Lisez, lisez Maupassant. Ma charmante, je l'exige.
Lyssévitch gesticula avec ses bras, et, très agité, traversa la pièce en diagonale.
–Non, c'est impossible, proféra-t-il, apparemment
désespéré. Son dernier récit m'a épuisé, m'a enivré ! Mais je crains que vous n'y restiez indifférente. Pour en être possédé, il faut déguster, exprimer lentement le suc de chaque ligne, il faut boire... Il faut le boire ! »
– La Mouette (1896), traduction de 1973 due à Génia Cannac et à Georges Perros, dans Théâtre complet,
Gallimard, Folio n°393, 1999, p.292-293.
A l'Acte I, Constantin Gavrilovitch Tréplev, fils de Madame Trepleva, actrice, discute du théâtre contemporain avec son frère Piotr
Nickolaévitch Sorine.
« Quand le rideau se lève, et qu'à la lumière artificielle, dans une pièce à trois murs, ces fameux talents, ces archiprêtres de l'art sacré nous montrent comment les gens mangent, boivent, aiment, portent
le complet-veston ; quand avec des phrases et des tableaux triviaux on essaie de fabriquer une morale de trois sous accessible à tous, utile dans le ménage ; quand, grâce à mille variantes, on me sert, encore et encore, la même sauce triste, alors je fuis, je fuis comme Maupassant fuyait la Tour Eiffel, dont la vulgarité lui broyait le crâne. »
Catherine TEXIER, Victorine, Paris, Calmann-Lévy, 2009, p.185.
En 1899, Victorine, institutrice, part en Indochine avec son amant, quittant mari et enfants. Sur le bateau, « Le Tonkin », elle lit des romans.
« Voilà Victorine, en camisole et jupon de teinte claire, allongée sous un parasol, les chevilles croisées, un livre à la main : Une vie ou Bel-Ami, de Guy de Maupassant, ou Le Comte de Monte-Cristo de Dumas père, ou encore un roman de Pierre Loti. »
TRÉBLA [Albert DELVAILLE], « La troublante aventure de Simonin Peschet », Le Figaro, supplément littéraire, n°88, 5 décembre 1920, p.2.
« Cela se passait entre intimes, dans le fumoir du docteur B… La présence d’un petit guéridon sur quoi reposait un cendrier avait orienté la conversation vers les tables tournantes. Notre hôte, par un haussement d’épaules significatif, ratifiait les sarcasmes que ne manque jamais de soulever un pareil sujet.
– Et pourtant, elles tournent ! s’écria Max Hovard, moins empressé d’affirmer sa conviction que de parodier le mot de Galilée.
Comme nous le regardions, étonnés :
– Oh ce n’est pas, repartit l’élégant attaché d’ambassade, que je sois le spirite militant que vous pensez, mais je ne puis me défendre d’une certaine foi dans l’occultisme et d’une confiance très ferme dans son avenir.
– Sur quels faits, vous basez-vous ? questionna l’un d’entre nous.
– Sur une simple histoire, répondit Max Hovard. Elle n’a trait aucunement à ces expériences suspectes dont les comptes rendus parcourent le monde, mais elle relate une aventure inquiétante et rigoureusement authentique.
– Racontez.
– Soit !
Et tandis qu’un fin sourire éclairait son visage glabre aux yeux clairs, ayant poussé au plafond la fumée de sa cigarette, il commença :
– Vous n’ignorez pas, messieurs, qu’avant d’aborder la carrière diplomatique, j’ai quelque peu trempé dans le journalisme. Ne mène-t-il pas à tout ? Or, je fis, à cette époque, la connaissance, parmi les salles de rédaction, d’un certain Simonin Peschet, dont j’ai, depuis, complètement perdu la trace.
Ce Simonin Peschet, bien qu’il dût se contenter de n’être encore qu’un vague reporter, nourrissait de grandes ambitions. Imbu de qualités soi-disant merveilleuses de son imagination et de son style, d’avance il en escomptait la réussite et rêvait la gloire de nos littérateurs les plus fameux.
Jugez des rancœurs amères que se préparait le malheureux garçon, quand je vous aurai dit que son talent se réduisait à peu de chose et que, malgré son esprit délicat – on peut être à la fois un analyste subtil et un piètre écrivain – il n’était l’auteur, au demeurant, que de médiocres élucubrations.
On le lui fit bien voir ; on essaya du moins, car de directions en directions, de librairies en librairies, il promena longtemps et vainement ses manuscrits précieux.
Á ce jeu déprimant et cruel, il s’aigrissait tous les jours davantage.
– Cela se conçoit, dit quelqu’un.
– Oui, mais le dépit de Simonin Peschet, spécifia Max Hovard, avait ceci de particulier, qu’il se concentrait en quelque sorte dans une haine obsédante à l’égard, non point de vivants, mais de quelques écrivains morts.
Sans raison déterminée, il vouait à Guy de Maupassant une aversion particulière.
– D’où vient sa réputation surfaite de conteur et de romancier à ce photographe banal des gens et des choses ? Oh ! ce Maupassant, se plaisait-il à répéter… Ce Maupassant !...
Cela tournait à l’idée fixe.
Certain jour, Simonin Peschet écrivit une nouvelle qui lui parut remarquable, il en avait trouvé spontanément l’intrigue et l’avait rédigée avec une facilité qui l’étonna lui-même. Plein d’espoir dans le résultat, il la recopia soigneusement et l’adressa bien vite à l’une des revues les plus en vogue. Cette nouvelle était intitulée : La Peur, et contenait entre autres paragraphes, celui-ci :
« C’était l’hiver dernier, dans une forêt du nord-est de la France. La nuit vint deux heures plus tôt, tant le ciel était sombre. J’avais pour guide un paysan qui marchait à mon côté, par un tout petit chemin, sous une voûte de sapins dont le vent déchaîné tirait des hurlements. Entre les cimes, je voyais courir des nuages en déroute, des nuages éperdus, qui semblaient fuir devant une épouvante.
» Parfois, sous une immense rafale, toute la forêt s’inclinait dans le même sens, avec un gémissement de souffrance ; et le froid m’envahissait, malgré mon pas rapide et mon lourd vêtement. »
– Saisissant tableau, observa le docteur B…, mais, tudieu ! mon cher Hovard, comment diable vous rappelez-vous si nettement ces lignes ?
– Je pourrais vous citer les autres, de la première à la dernière, répondit l’attaché d’ambassade. Ma mémoire a ses raisons ; vous les comprendrez tout à l’heure.
La nouvelle de Simonin Peschet se poursuivait ainsi dans une forme élégante et robuste, messieurs, joliment colorée, admirablement sobre et nette. Elle en arrivait au récit poignant des affres d’un halluciné, qui prenait pour ceux d’un spectre, les deux yeux de son chien, sur lui fixés dans la nuit.
– Excusez mon interruption, fit une voix dans l’assistance, mais quel rapport tout cela peut-il bien avoir avec le spiritisme ?
– Patientez, répliqua Max Hovard, et il continua :
Peu de jours après, l’auteur de La Peur reçut une lettre des bureaux de la revue où il avait adressé son manuscrit. On le priait de passer, pour affaire le concernant, et je vous laisse à deviner l’empressement avec lequel il se rendit à cet appel prometteur.
Ce fut chez le secrétaire de la rédaction qu’on l’introduisit :
– M. Simonin Peschet, n’est-ce pas ? interrogea celui-ci. Il n’attendit aucun salut ni acquiescement, se renversa dans son fauteuil pour mieux toiser son visiteur, puis après une pause qui parut un siècle, il reprit :
– Eh bien, monsieur Simonin Peschet, j’ai rencontré dans ma vie des gens audacieux, mais qui le fussent autant que vous, jamais !... Connaissez-vous Guy de Maupassant ?
– Trop, beaucoup trop, fut la réponse, prélude d’imprécations nouvelles contre le célèbre et délicieux écrivain de la Petite Roque.
Mais le secrétaire de la rédaction arrêta cet élan et dit :
– Je me suis rendu compte, en effet, que vous le connaissiez très bien, puis il ajouta, sarcastique : Vous n’ignorez pas qu’il est, comme vous, l’auteur d’une nouvelle qui s’appelle la Peur, laquelle, d’un bout à l’autre est pareille à la vôtre ?... Quoi ?... Vous paraissez douter ?... Ne vous donnez point cette peine, monsieur, consultez ce volume qui vous convaincra, je l’ai mis de côté tout exprès pour vous.
Il tendit à Simonin Peschet un livre ouvert à la page même où celui-ci put
lire : la Peur. Le texte imprimé suivait, mot pour mot, alinéa pour alinéa, absolument identique à celui du manuscrit déposé.
– Parbleu s’écria-t-on, l’un avait été copié sur l’autre.
– Non, monsieur, affirma vigoureusement Max Hovard, et c’est bien ce qui vous trompe. Le pauvre auteur de la seconde Peur était un honnête homme ; il ignorait sincèrement la première.
– Je vous vois venir avec vos gros sabots, ricana le docteur B..., vous voulez insinuer, mon cher ami, que c’était M. de Maupassant, l’esprit de M. de Maupassant qui jouait un vilain tour à son détracteur ?
– Pardon, fit le narrateur, je n’insinue rien et je ne conclus pas. C’est à vous tous que je laisse le soin d’induire de cette aventure ce qui vous plaira.
– Vous êtes un naïf, Max Hovard, riposta le maître de la maison, et votre Simonin Peschet n’était qu’un vulgaire plagiaire !
La physionomie de l’attaché d’ambassade devint grave, il fixa sur nous ses prunelles glauques et sur un ton qui, cette fois, n’admettait plus de réplique, il prononça :
– Simonin Peschet, messieurs, je vous le répète encore, était un honnête homme, Simonin Peschet ignorait totalement et n’avait donc pas copié la nouvelle de Guy de Maupassant, Simonin Peschet pourrait vous le jurer, Simonin Peschet vous le jure, car Simonin Peschet – c’est de ce nom que j’ai signé, jadis, mes premiers essais – Simonin Peschet… c’était moi ! »